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Quand Val d'Europe sert de laboratoire

Au milieu des champs, pas loin de Disneyland Paris, 20 points de restauration se partagent un flux moyen de 40 000 personnes par jour. C'est le nouveau centre commercial Val d'Europe qui mise enfin sur la restauration pour attirer et retenir le chaland.

m Nadine Lemoine

Qu'est-ce que Val d'Europe ? Imaginez un centre commercial avec une allée centrale couverte et des boutiques de chaque côté. Imaginez également une rue assez large bordée de maisons colorées comprenant chacune un commerce. Et imaginez, reliant les deux parties, un espace consacré à la restauration que l'on a baptisé d'un doux nom : Les Terrasses. Vous êtes à Val d'Europe ! Trois zones distinctes, l'hypermarché Auchan et les boutiques, Les Terrasses (les restaurants), et la Vallée shopping center (la rue en plein air) où sont regroupées des marques de textile haut de gamme qui écoulent leurs produits des années précédentes.
Val d'Europe, c'est en tout près de 200 magasins (84 000 m2 de surface commerciale), une fréquentation annuelle estimée à 15 millions de visiteurs (100 000 les samedis de décembre), et un investissement total qui se monte à la bagatelle de 2 milliards de francs. L'investisseur Sécovalde comprend 30 % pour Axa, la Société Générale 30 % et Klépierre 40 % (dont la Ségécé est une filiale - lire encadré p.43). Au milieu des champs, certes, mais au centre d'un projet urbain, la ville de Val d'Europe. Avec une attraction de taille, le parc Disneyland Paris à deux pas. C'est-à-dire 4 autoroutes, 2 gares RER et 32 TGV par jour pour l'Europe entière. Un deuxième parc à thème est prévu. Un quartier résidentiel, un autre mêlant bureaux et habitat... La population de Val d'Europe est passée de 5 000 habitants en 1992 à 12 000 aujourd'hui. Les projections à l'horizon 2015 estiment à 40 000 le nombre d'habitants et plus de 40 000 emplois. Val d'Europe a bien pour vocation de devenir un pôle économique majeur pour la région pour lequel travaillent activement les collectivités locales. Le centre commercial vise actuellement une zone de chalandise de 1 million de personnes. Ses clients viennent en partie des alentours proches mais aussi de bien plus loin.
Le credo ? "Les courses ne doivent plus être une corvée. A Val d'Europe, le centre commercial est un lieu d'accueil et de quiétude. Les visiteurs ne deviennent des consommateurs que lorsqu'ils pénètrent dans les boutiques. Il n'y a aucune sollicitation publicitaire dans les parties communes", explique Charles Maillet, directeur de Val d'Europe. En bref, les 'visiteurs' peuvent se promener tranquillement dans le centre où tout a été travaillé, de l'architecture à l'accueil, pour qu'ils s'y sentent bien.

Les Terrasses
Le centre commercial a ouvert ses portes en novembre dernier, mais il a fallu attendre le mois de décembre pour voir apparaître les premiers restaurants. Des établissements dans la zone marchande dans le flux des clients, mais aussi dans le pôle restauration, Les Terrasses, conçu sur le modèle des serres d'Auteuil. 4 000 m2 où sont concentrées 11 enseignes. "Nous avons isolé 11 restaurants. C'est un espace autonome qui peut ouvrir indépendamment du centre. Nous tentons là une expérience", explique Charles Maillet, directeur de Val d'Europe. Dans l'allée centrale, une fontaine, un immense kiosque à l'ancienne où des musiciens viendront jouer des airs jazzy, des palmiers et des fauteuils en osier. De part et d'autre, les restaurants se font face et offrent chacun, bien sûr, une... terrasse. Le client n'a plus que l'embarras du choix ! Sans compter que dans quelque temps, sous les restaurants, on trouvera un aquarium géant avec 30 bassins différents pour accueillir 300 espèces de poissons. Une attraction à lui tout seul. "Nous sommes à la limite du tourisme commercial. Le centre est devenu un produit dont l'offre est banalisée. Nous devons donc fidéliser notre clientèle en jouant sur l'environnement de l'offre. Les restaurants en font partie", résume Charles Maillet.

Le mix des enseignes
Le choix des enseignes ? "C'est un puzzle qui se construit petit à petit", explique Gontran Thüring, directeur commercial de la Ségécé. Deux ans de travail et de négociations. Faciles pour certaines, car les partenaires se connaissent bien, et ont déjà fait une longue route ensemble. Complexes lorsque les professionnels font leurs premiers pas dans cet univers à part entière. Interminables pour d'autres puisqu'il faut convaincre les restaurateurs d'y aller. Gontran Thüring ne pratique pas la langue de bois. S'il a misé sur la restauration, c'est bien parce qu'il n'y avait pas de complexe de cinéma pour attirer le chaland. Ensuite il faut faire le puzzle. "Pour le mix des enseignes, nous avions tout d'abord la proximité de Disney Village avec ses restaurants plutôt mode et fun. Nous avons donc décidé de mettre des enseignes complémentaires. En fait, nous proposons une offre classique au regard des offres des centres commerciaux", explique-t-il.
C'est par la cafétéria que la Ségécé a commencé à former son pôle de restauration. "La cafétéria étant à la restauration ce que l'hypermarché est au centre commercial, c'est-à-dire une locomotive", souligne Gontran Thüring. Casino remporte l'emplacement (853 m2). Il fallait une enseigne de restauration rapide à l'américaine : McDonald's, partenaire de Disney, est évidemment choisi. Puis, "autre incontournable, une enseigne de viande, et Hippopotamus, c'est la meilleure". Le restaurant de poisson face à celui de viande ("un vieux rêve"), ce sera La Criée, groupe Saros, après de très longs mois de négociation pour convaincre Jean-François Damour, p.-d.g. de Saros, de mettre les pieds dans un centre commercial. La Criée ouvrira mi-mars 2001. Gontran Thüring, très sollicité par les restaurateurs chinois à chaque ouverture d'un centre commercial, choisit un restaurateur indépendant local. "J'ai vu beaucoup d'indépendants et ils sont souvent à mille lieues des méthodes de fonctionnement des centres commerciaux. Nous sommes obligés de surveiller de très près les aspects techniques et esthétiques par exemple." Pour les enseignes Paul (Holder) et Nicolas, "le pain et le vin, c'est complémentaire". En fait, Holder et le groupe Le Duff arrivent en tête des sociétés auxquelles la Ségécé a loué des espaces dans les centres commerciaux qu'elle gère.
Et toujours dans Les Terrasses, on trouve les trois restaurants gérés par Select Service Partner : nouvelle version design de Scappucci Caffè, idem pour Tarte Julie et le pub Katie O'Connors. "L'intérêt de travailler avec un ensemblier comme SSP, c'est la diversité des concepts en portefeuille. C'est un groupe solide qui peut substituer une enseigne à une autre très rapidement. L'inconvénient, c'est que tout peut arriver. Les baux sont de 12 ans, mais tous les 3 ans, ils peuvent être résiliés. Cela veut dire que tous les restaurants peuvent s'arrêter d'un coup tous les 3 ans s'ils sont gérés par le même groupe. Mais je ne pense pas que cela soit possible compte tenu de la valeur des fonds de commerce. Pour nous, cette opération est un test", dit Gontran Thüring.

L'effet Disney
Le terrain appartient à Disney qui a imposé des conditions draconiennes à tout le monde. En clair, la Ségécé devait s'engager à présenter un projet de centre commercial haut de gamme quasi féerique. Proximité du parc Disneyland Paris oblige ! Et chez Disney, ça ne plaisante pas en matière d'accueil et de qualité de service. Retrouver dans un centre commercial les standards Disney, c'est le challenge que doit relever la Ségécé. Il faut donc tout contrôler. Y compris en matière de restauration. Dans leur contrat, les restaurateurs doivent par exemple s'engager à réaliser des enseignes en harmonie avec l'architecture du centre commercial. Des enseignes ni sonores ni à variations lumineuses (clignotantes)... Le tout soumis à accord. En contrepartie, les restaurateurs sont assurés d'intégrer un centre commercial haut de gamme avec une foule de services rendus à la clientèle qui sont autant d'arguments de vente et de promotion. Les professionnels connaissent bien les problèmes de parking. Pas de places, moins de clients. A Val d'Europe, il n'y a que 5 200 places de parking sur 15 hectares ! Ils ont même pensé au service voiturier facturé 15 francs. Ceux qui souhaitent se garer tout seul peuvent interpeller la navette gratuitement pour aller plus vite dans le parking. Si le client tombe en panne, un service de dépannage immédiat intervient sur place.
Quant à ceux qui souhaiteraient faire leurs courses tranquillement avant d'aller déjeuner ou dîner, un service steward récolte les achats dans tous les magasins (15 francs par magasin). Le client n'a plus qu'à rechercher sa voiture, le steward met les achats dans le coffre.
Il y a aussi les services pour les petits. Val d'Europe possède 4 espaces enfants gratuits dont un ouvert jusqu'à minuit (heure de fermeture des Terrasses). La nursery propose même des couches et petits pots gratuits et, toujours gracieusement, le prêt d'une poussette. Des animations, spectacles et goûters... Tout est prévu ! De parents pauvres des centres commerciaux, la restauration passe au rang des incontournables. Pourtant, avec un loyer indexé sur le chiffre d'affaires (que le restaurateur doit indiquer tous les mois au gestionnaire), les restaurants ne sont pas les commerces les plus rentables. Les frais d'installation sont plus lourds que pour une simple boutique. Les charges salariales, les coûts matières et autres minimisent la marge. En résumé, au m2, les restaurants ne sont pas du meilleur rapport. Mais voilà, les centres commerciaux sont en pleine mutation. Ils se présentent de plus en plus comme des lieux de détente et de loisirs. Des lieux de vie. Et pour le commerce, il est bon que le client se sente bien et choyé. Alors, on en prend soin et, d'un point de vue purement physiologique, si les centres commerciaux veulent inciter les clients à rester dans leur enceinte le plus longtemps possible, ils doivent les nourrir ! La restauration a donc de beaux jours devant elle dans cet univers qu'elle ne connaît pas encore très bien.
Val d'Europe va ainsi servir de test grandeur nature pour l'environnement commercial autant que pour la restauration. Les premières semaines sont prometteuses. "La zone doit se faire connaître, admet Gontran Thüring. Dans le grand est parisien, le centre-ville est mort le soir. Pour les gens de la région, c'est Disney ou Paris le soir. Nous pouvons devenir un nouveau point de focalisation."

"Ce n'est pas la panacée"
"Pour les restaurateurs, un très bon emplacement, c'est un emplacement où l'on travaille bien midi et soir. Dans les centres commerciaux, on travaille bien le midi, mais on est pénalisé par le soir et le dimanche. Et ce n'est pas le centre commercial qui fait venir les clients en soirée, explique Pierre Cassagne, p.-d.g. d'Hippopotamus. Pour Val d'Europe, je dirais que c'est un bon emplacement. On fait 700 à 800 couverts le samedi, mais en décembre, c'est normal. Le midi, ça marche très bien aussi, mais le soir... J'attends les chiffres de fréquentation sur janvier." Serein et pragmatique, Pierre Cassagne, qui compte déjà plusieurs unités en centre commercial, en connaît bien les limites. Les avantages, ce sont bien sûr les 6 millions de francs d'investissements pour l'aménagement contre 10 millions de francs s'il s'agit d'un bâtiment solo. Mais c'est la fréquentation effective qui déterminera si l'investissement est un bon choix. En tout cas, pour le patron d'Hippo, "les centres commerciaux, ce n'est pas la panacée pour la restauration".

Un marché à prendre
"C'est un pari bien engagé", dit Hervé Jubin, directeur général de Select Service Partner, qui détient 6 points de vente dont 3 dans Les Terrasses (près de 700 m2). Dès l'ouverture, les restaurants et bars ont réalisé des chiffres d'affaires record. "Nous sommes conscients de l'aspect saisonnier des premiers résultats, et nous attendons calmement le mois de février et mars, complète-t-il. Nous misons, de toute façon, sur du long terme avec la connexion RER, le deuxième parc à thème et le programme immobilier." SSP a investi entre 12 000 et 15 000 francs le m2. Pour le restaurant Tarte Julie, toute nouvelle version, l'investissement serait compris entre 1,5 et 1,8 million de francs.
Pour Select Service Partner, Val d'Europe est une étape stratégique importante dans sa prise de position au cœur des centres commerciaux. "C'est la première fois que l'on offre des compléments aux poids lourds traditionnellement présents dans les centres commerciaux. On aurait pu pratiquement tout prendre puisqu'on a en portefeuille presque toutes les marques. Disons que nous avons limité les risques, explique Hervé Jubin. A Val d'Europe, nous avons aidé la Ségécé à agencer l'ensemble des enseignes pour qu'il y en ait pour tout le monde et pour tous les goûts." Le directeur général de la SSP entend bien profiter de cette vitrine unique : "Val d'Europe, c'est joli, propre, sécurisé, accessible et ouvert tous les jours (N.D.L.R. : uniquement les restaurants). Et on a l'ambition d'amener les consommateurs à avoir une vue nouvelle sur les services que peut rendre un centre commercial." Créteil Soleil (3 enseignes), Usines Center à Parinor 2 en banlieue Nord (6 enseignes), dont la restauration a été inaugurée le 19 décembre dernier, Carré Sénard à Melun-Sénard (8 enseignes) en 2002... Service Select Partner multiplie les sites. "Dans les centres commerciaux, il y a souvent un mauvais bar qui donne une mauvaise image du centre. Nous leur proposons de les aider à régler ce problème", dit Hervé Jubin.

Méfiance
C'est en mars prochain que La Criée ouvrira ses portes. Après de longues négociations, Jean-François Damour s'est donc laissé convaincre et fait ses premiers pas dans l'univers des centres commerciaux. Pourquoi ne pas avoir sauté directement sur l'occasion ? "J'ai une aversion envers les centres commerciaux en général, en raison des conditions contractuelles qui me sont imposées, dit le patron de La Criée sans mâcher ses mots. Mon chiffre d'affaires ne les regarde pas. La non-maîtrise des charges m'énerve. Les conditions du bail aussi m'inquiètent. C'est un bail avec déplafonnement au bout de 12 ans. Que se passera-t-il à ce moment-là ? En fait, je ressens un grave manque de liberté." Et pourtant, Jean-François Damour a franchi le Rubicon.
Pour lui, Val d'Europe a bien sûr valeur de test, mais surtout, il a l'avantage d'être conçu pour devenir "un lieu de passage international très important qui contribuera à notre notoriété". C'est l'effet Disney ! Les standards imposés par le groupe américain quant à la qualité du centre et des services rassurent. "Les dirigeants de Disney eux-mêmes ont insisté pour que je vienne", confie-t-il. De plus, l'espace qui lui était proposé comportait pour la salle en sous-sol une vue sur l'aquarium géant. "Etant leader en région parisienne sur le poisson, ça m'aurait embêté de laisser passer cet emplacement", lance Jean-François Damour. Résultat : "Un investissement supérieur à 6 millions de francs" pour une unité qui devrait compter entre 180 et 200 places. Reverra-t-on un restaurant La Criée dans un centre commercial ? Jean-François Damour reste dubitatif. Faut-il voir les centres commerciaux comme des aubaines ? La restauration y fait ses premières armes avec une extrême vigilance.
"Un restaurateur qui souhaiterait s'installer dans un centre commercial doit se poser quatre questions : est-ce que j'intéresse ce public ? Mon produit est-il en cohérence avec le centre commercial ? Est-ce que je suis rentable ? Suis-je capable d'intégrer à titre culturel une communauté de travail ?", souligne sobrement Charles Maillet. Aujourd'hui, on estime à 30 % la part du commerce en général qui passe par les centres commerciaux. La tendance est exponentielle. La restauration s'est mise elle aussi à la concentration. On se rassemble pour attirer plus de monde. Est-on condamné si l'on est isolé ? La qualité et le talent font faire des détours, et les bonnes adresses bénéficient du bouche à oreille. n


Un kiosque à musique, une végétation luxuriante, des fauteuils en osier. Un espace qui se veut convivial.


Une verrière gigantesque couvre une allée centrale bordée de part et d'autre par les restaurants et leurs... terrasses.


Des hôtesses tout sourire pour un accueil personnalisé.

 

En chiffres

Surface totale du terrain : 24,5 hectares
Surface commerciale totale utile : 84 000 m2
Parking : 5 200 places
Investissement total : 2 milliards de francs
Fréquentation annuelle prévue : 15 millions de personnes

 

 

La Ségécé

Le gestionnaire de Val d'Europe
La Ségécé, filiale de Klépierre (BNP-Paribas), gère une cinquantaine de centres commerciaux (dont 36 en France). Leader en Europe continentale, la Ségécé trouve des sites et des investisseurs, réalise le projet et le gère sur le long terme. Le chiffre d'affaires des centres français, qu'elle gérait en 1999, s'est élevé à 25 milliards de francs. Les honoraires de la Ségécé ont été facturés à 177,5 millions de francs.

w Projets d'ouvertures en 2001 :
Annecy - Boulogne-Billancourt - Poitiers
w En développement :
- Gare Saint-Lazare, Paris
- Gare de Lyon, Paris
- Montpellier (Odysseum)
- Porte d'Aubervilliers
- Valenciennes

 

Val d'Europe en détail

Centre commercial

Chuck's
Café Ritazza (SSP)

 

Jeff de Bruges
Ben Jerry's (SSP)

 

Brioche Dorée (Le Duff)
Café Select (SSP)

Les Terrasses - Espace restauration


Paul (Holder) 90 places assises


Hippopotamus (Groupe Flo) 180


Casino Cafétaria (Casino) 424


Dragon d'Europe (indép.) 130


Nicolas bar à vins 50


Pizza del Arte (Le Duff) 176


Tarte Julie (SSP) 40


Katie O'Connors (SSP) 64


Scappucci Caffè (SSP) 28

Mc Donald's - ouverture récente La Criée (Saros) - ouverture prévue mi-mars 2001

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L'HÔTELLERIE n° 2707 Magazine 1er Mars 2001


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