Un taux d'occupation de 80,6 % en l'an 2000. Un chiffre d'affaires global de quelque 288 millions de francs. L'Hôtel Le Bristol à Paris affiche une santé financière insolente et une réputation d'envergure internationale. A la tête de ce palace, un homme simple et humble. Portrait.
m Claire Cosson
Il arrive d'un pas élégant, mais l'air assez
préoccupé. Au début de l'interview, Pierre Ferchaud, président du directoire de la S.A
l'Hôtel Le Bristol, l'un des palaces les plus discrets de Paris, a même du mal à tenir
en place. "Qui n'est pas anxieux, quand on dirige une maison de cette réputation
?", défend Vincent Smarrela, responsable du service hébergement de
l'établissement concerné. En fait, rien ne semble apaiser l'inquiétude 'intérieure' de
ce quinquagénaire séduisant, à la voix douce et monocorde. Ni la notoriété (l'hôtel
est en effet considéré comme le meilleur de France et de Paris selon une enquête du
magazine américain Condé Nats Traveler publiée en 1999), ni les années qui
passent.
D'ailleurs très vite, le regard plissé embrasse le lobby du Bristol. D'emblée, le
maître des lieux se lève et s'excuse d'un ton profondément navré. "Je dois
impérativement aller saluer ce client. Il n'est de passage parmi nous que durant quelques
heures seulement", explique-t-il de manière courtoise. Quelques instants plus
tard, vêtu d'une veste sombre qui s'ouvre sur une chemise à fines rayures, l'homme finit
néanmoins par se caler dans un petit fauteuil pour se livrer au jeu des
questions-réponses.
Sa façon de répondre, accompagnée de longs silences réfléchis, suggère assez vite
une certaine timidité, une appréhension évidente à parler de lui-même. Nul doute
cependant quant à sa gentillesse et sa sincérité. Une sincérité aux allures
romantiques, qui est, du reste, particulièrement touchante dans un milieu professionnel
bien souvent cruel.
© Atelier
Proust |
|
© Atelier
Proust |
"Père spirituel"
Pourtant, cet honnête homme-là, comme le décrit si bien l'une de ses anciennes
collaboratrices, Monique Garnier, n'a vraiment pas à rougir. Au contraire. Il y a
sacrément de quoi raconter sur lui. Et de belles choses apparemment. "Jamais je
n'ai rencontré un directeur de cette trempe-là. Il a véritablement éclairé ma vie
professionnelle", avoue Paul Chevalier, jadis attaché commercial aux côtés de
Pierre Ferchaud, aujourd'hui patron du Château de Grande Romaine (77). Et Jean-Christophe
Vittet directeur des ventes grands comptes courts séjours Accor, d'ajouter : "C'est
comme un père spirituel ! Un grand bonhomme sur qui l'on peut compter à tout moment."
En réalité, on connaît plutôt assez mal l'histoire de ce dévoreur de romans. Celle
d'un petit-fils de viticulteurs en Anjou qui aspire très jeune à voyager, à rencontrer
les autres, à apprendre leur langue, à s'ouvrir sur le monde pour y découvrir des
cultures différentes, parfois mêmes oubliées. Le longiligne Pierre a certes très tôt
côtoyé les 'éminences grises' de notre société comme Jean Arthuis par exemple, ancien
ministre des Finances, avec lequel il allait au collège. Reste que, lorsqu'il sue sang et
eau devant les pianos de l'école hôtelière de Strasbourg, il ignore encore qu'un jour
il recevra chez 'lui' les chefs d'Etat, les écrivains et autres stars les plus en vogue
du moment. "J'étais candide étant jeune, confie l'intéressé. Une fois
mes études achevées, j'ai ainsi rapidement envisagé d'abandonner le secteur de
l'hôtellerie et de la restauration. J'aurais en effet aimé être architecte."
Une passion à laquelle il s'adonne, au bout du compte, bien volontiers depuis de
nombreuses années, grâce aux multiples rénovations et créations effectuées au sein
même de l'Hôtel Le Bristol.
Car, au final, l'adolescent hésitant d'autrefois a bel et bien choisi l'hôtellerie comme
terrain de jeu, et plus précisément le créneau haut de gamme. "Poussé par mon
proviseur, j'ai fini par mordre à l'hameçon", raconte Pierre Ferchaud, un
sourire troublé au coin des lèvres. D'autant plus aisément peut-être que, comme toute
bonne 'vierge' qui se respecte, son signe zodiacal lui confère de fortes dispositions
pour le raisonnement, les contacts et la communication.
Données | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|
Main-d'uvre | 41 % | 40 % | 40 % | 40 % | |||
Maintenance/entretien | 6 % | 5 % | 6 % | 6 % | |||
Blanchisserie/linge | 3 % | 3 % | 3 % | 3 % | |||
Décoration florale/vaisselle | 1 % | 1 % | 1 % | 1 % | |||
Administration/gestion | 9 % | 9 % | 8 % | 8 % | |||
Marketing/ventes | 4 % | 4 % | 4 % | 4 % |
Londres, Paris, Madrid
Sans oublier le destin, qui tôt ou tard, fait lui aussi des siennes. Sur son chemin,
Pierre Ferchaud croise en effet plusieurs grands noms de la profession tels Robert Verney
ou bien encore Dario Del Antonia, qui l'influencent énormément. "J'ai eu de la
chance de travailler avec des gens dont j'ai ambitionné les talents et qui constituaient
pour moi de véritables modèles", raconte le président de la SA Hôtel Le
Bristol. La Grande-Bretagne, au Grosvenor House Hotel à Londres, et très vite l'Hôtel
Meurice à Paris, puis l'Hôtel Palace à Madrid... le jeune Ferchaud n'hésite pas à
plier bagages pour se construire un avenir. Le tout en s'épanouissant bien sûr dans des
activités où il peut servir les autres et se sentir utile. Résultat : il intègre la
Société Nouvelle du Grand Hôtel (SNGH) à l'âge de 27 ans. Il y assume différentes
responsabilités tant au niveau fonctionnel qu'opérationnel. Une école riche
d'enseignements qui le conduit, sept ans plus tard, à rejoindre le groupe
Intercontinental Hotel, en qualité de directeur général du Grand Hôtel (1978).
Hanté par le souci de bien faire et surtout de prouver qu'on a eu raison de lui accorder
sa confiance, Pierre Ferchaud s'investit à fond dans ses nouvelles tâches. Il va même
jusqu'à suivre des cours au Centre français de management pour parfaire ses
connaissances. Sa soif d'apprendre est telle qu'elle paraît aujourd'hui encore difficile
à assouvir. "J'aimerais maintenant étudier la physique", indique-t-il
avec une pointe d'humour.
En attendant, notre homme sait aussi saisir les opportunités. Dès 1983, il s'embarque
ainsi dans une nouvelle aventure en ralliant les rangs de la compagnie américaine
Marriott Hotels & Resorts. "Un modèle d'organisation", reconnaît
l'intéressé, nommé à cette occasion à la direction générale de l'Hôtel Prince de
Galles. Cinq années passent et voilà que la famille Taittinger recourt, elle aussi à
son tour, aux talents de Pierre Ferchaud en tant que directeur adjoint du groupe des
Hôtels Concorde d'abord, puis à la tête du vaisseau amiral parisien, le Concorde
Lafayette.
Autant de maisons diverses et variées qui procurent à ce professionnel de l'hôtellerie
haut de gamme une expérience unique, et l'amène tout naturellement à prendre les rênes
de l'un des six palaces de la capitale : l'Hôtel Le Bristol en 1994, propriété du
groupe allemand Dr August Oetker. Dans ce genre de parcours, un hôtel de luxe s'apparente
évidemment à un bâton de maréchal. Parole d'hôtelier. Pourtant, Pierre Ferchaud garde
la tête froide. "Il a toujours fait preuve d'une humilité et d'une grande
simplicité", témoigne Jean-Paul Lafay, patron d'Unifhort. Mais mieux encore !
Notre homme refuse de s'endormir sur ses lauriers. "Il y a toujours quelque chose
à entreprendre. Quand on arrête de pédaler, on tombe", déclare-t-il en
plaisantant.
"Pierre est une personne qui se remet sans cesse en question. C'est tout
simplement un perfectionniste", confesse Monique Garnier. Au fond, Pierre
Ferchaud ne se contente de rien et le sens de la perfection qui l'habite, associé à une
grande rigueur, le pousse à aller de l'avant. Jusqu'à faire de l'Hôtel Le Bristol (180
chambres) une maison de très haute volée. Et qui plus est rentable ! "J'ai
d'abord la chance d'avoir des propriétaires extraordinaires qui ont su investir dans une
logique de long terme. Parallèlement, nous avons également travaillé sans cesse sur la
productivité et tout mis en uvre pour coller au marché. Au final, notre
endettement est nul. Quant à nos investissements (maintenance et création), ils sont
toujours réalisés en autofinancement", assure le président du directoire de la
SA Hôtel Le Bristol.
Données | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 |
---|---|---|---|---|
Taux d'occupation | 64,4 % | 78,9 % | 81,4 % | 80,6 % |
Chiffre d'affaires global | 211 MF | 259 MF | 270 MF | 288 MF |
Revenu moyen/chambre | 3170 F | 3475 F | 3455 F | 3779 F |
Dette | 0 | 0 | 0 | 0 |
Effectif/personnel | 317 | 323 | 368 | 391 |
Un fédérateur
De fait, l'établissement réalise de très belles performances. A savoir un chiffre
d'affaires de 288 millions de francs l'an passé (dont 69 % en hébergement et 25 % en
restauration), avec un taux d'occupation de 80,6 % et un revenu moyen par chambre de 3 779
francs. De quoi faire pâlir d'envie quelques-uns. D'autant que le taux de fidélisation
des clients atteint lui aussi des sommets : aux environs de 80 %.
Alors, Pierre Ferchaud aurait-il une potion magique ? Le Bristol Paris, eau de parfum
créée récemment par Blaise Mautin pour l'établissement par exemple ? A 'sentir'
l'atmosphère qui règne parmi les quelque 400 collaborateurs, la réponse est claire.
C'est l'homme, sa philosophie du métier, sa façon de manager, son sens de l'écoute, son
humanité et son professionnalisme qui fait la différence.
"On a envie de travailler pour lui", reconnaît Vincent Smarrela. "C'est
un fédérateur né", surenchérit Patrick Laborieux, responsable du cabinet de
recrutement ITC Development. Rien de surprenant à cet engouement puisque Pierre Ferchaud
déclare lui-même sans détour : "Il ne faut pas donner un ordre, mais susciter
l'adhésion des équipes pour qu'une entreprise fonctionne."
En clair, la réussite s'acquiert grâce à l'amour des choses bien faites et le respect
de l'autre. Un choix qui pourrait s'avérer fragile diraient les vieux de la vielle.
"La plus grande caractéristique du succès, c'est la fragilité",
conclut tout simplement Pierre Ferchaud. n
|
|
|
Ses dates1944 |
Vos commentaires : cliquez sur le Forum des Blogs des Experts
L'HÔTELLERIE n° 2707 Magazine 1er Mars 2001