Et trois, et six : l'iconoclaste savoyard a fait le plein d'étoiles chez Michelin. Après l'Auberge de l'Eridan à Veyrier-du-Lac, sa Ferme de Mon Père a décroché la note maximum du Guide Rouge. S'il affirme qu'âge aidant il est désormais "plus sage", il n'en continue pas moins son combat pour le beau et le bon, affirmant même que "le terroir est mort". Paradoxal pour un homme qui s'est identifié à celui de sa Savoie natale...
m Jean-François Mesplède
En mars 2000, à la sortie du Guide Rouge,
Marc Veyrat est un peu déçu. Alors qu'il espérait une pluie d'étoiles sur son
restaurant de Megève, il reste bredouille. Un an plus tard, il fait le plein.
Explications. "Avant tout, on raconte chez nous l'histoire d'un homme, d'un lieu
et d'une région. L'assiette et la philosophie de notre cuisine, c'est ça. Ce qui a
fondamentalement changé est que nous avons une cuisine d'hiver feutrée et une cuisine
d'été beaucoup plus florale." Les deux sont réalisées par une équipe qui ne
change pas davantage que son... maître à penser. Le chapeau vissé sur la tête, Marc
Veyrat vit à 300 à l'heure. Du lundi au mercredi à Paris, où le mènent ses affaires
et où il parle d'ouvrir un nouveau restaurant. Du jeudi au dimanche à Megève ou à
Veyrier (1), où il se contente désormais de huit services hebdomadaires. "Je ne
mélange pas le business et la cuisine. Je suis là pour mes clients à tous les
services... et je pense que Michelin apprécie les cuisiniers qui sont dans leur
maison."
Autre changement, fondamental : à 6 étoiles, il existe désormais une forte résonance
de la presse internationale. Le monde entier découvre Marc Veyrat et le très sérieux New
York Times le met à la une de son édition du 14 mars 2001 avec un titre éloquent : "Marc
Veyrat climbs past Ducasse at the new French superstar" (Veyrat ravit à Ducasse
la place de superstar de la cuisine française). Dans un article de deux pages, le
quotidien insiste en affirmant "In the Alps Reaching the Pinnacle" (dans
les Alpes, on touche au pinacle).
La nature dans l'assiette
"Ils définissent une nouvelle cuisine axée sur la nature et sur les produits
sauvages, une cuisine environnementale où nous amenons la nature dans l'assiette.
Complètement allégée puisque nous utilisons très peu de beurre et très peu de
crème..., mais où nous mettons six ufs dans notre crème brûlée." Selon
le chroniqueur, une "véritable révolution" dans la cuisine française.
Marc Veyrat poursuit sur sa lancée. "C'est une forme et une hygiène de vie. Avec
les problèmes alimentaires dévoilés aujourd'hui, nous sommes dans le vif du sujet. En
utilisant davantage le végétal que l'animal, j'ai le sentiment d'avoir joué les
précurseurs."
La discussion roule sur cette cuisine qui fleure bon ce terroir cher au gars de Manigod.
Le terroir justement, objet de toutes ses attentions. Là encore, Marc Veyrat est
intarissable. "J'ai toujours pris le terroir avec précaution et je dis
aujourd'hui le terroir est mort, vive le terroir. Nous sommes au XXIe siècle. Les
produits ont changé, les moyens de transport aussi et il existe une redéfinition de
l'alimentaire. Il y a belle lurette qu'il n'y a plus de grenouilles dans les Dombes, de
saumon dans la Loire, qu'une partie de la production du reblochon d'hiver est faite avec
le foin du Midi et qu'une grande partie du jambon savoyard provient de jambons crus
d'ailleurs. Je peux multiplier les exemples, même si je crois que, les modes de transport
et d'hygiène ayant changé, on peut retrouver nos racines dans l'échange de produits
existant désormais à travers l'Europe. C'est le jambon qui peut très bien provenir
d'excellents cochons élevés en Hollande, tout en étant fabriqué dans les règles de
l'art : amoureusement soigné par un type complètement fou de son boulot et fumé au
genévrier de chez nous dans une cheminée savoyarde."
Sur sa lancée, Marc Veyrat poursuit sa démonstration en soulevant les vrais problèmes. "Si
l'on considère que ces dernières années la production a été multipliée par vingt, et
en sachant qu'il y a de moins en moins de porcs dans le monde paysan, je pose simplement
la question : où prend-on les cochons ? Arrêtons de raconter des blagues aux gens et
adoptons un nouveau langage de vérité. Là, nous irons vers l'honnêteté et la qualité
des produits auxquels je crois, vers une reconnaissance du bon produit et une véritable
traçabilité. L'Europe devrait être la garante de la qualité. Elle est seulement
garante de l'hygiène alimentaire. Avec tellement de règles en vigueur, on est en train
d'uniformiser le goût. L'Europe doit être celle des régions avec de véritables
produits artisanaux, des petits producteurs, des petits commerçants."
Redéfinir les produits régionaux
Marc Veyrat s'enflamme et se lâche. "Il faut arrêter de raconter tout et
n'importe quoi. J'en ai un peu marre du terroir. Je vais prendre l'exemple de la
tartiflette, une pure création d'il y a dix ans. La Savoie et la Haute-Savoie sont
identifiées à la tartiflette : pourquoi ne pas dire que c'est une création savoyarde ?
Pour mieux la vendre et sans doute se donner bonne conscience, on commence déjà à se
voiler la face en disant que c'est une tradition. Ce n'est pas vrai : la tradition n'a
jamais voulu faire fondre un reblochon. Et nos amis suisses font bien mieux la fondue et
la raclette : ce sont leurs traditions, pas les nôtres."
Problème de langage ? Bien sûr, mais à en croire Veyrat, le mal est plus profond. "Je
dis que la bonne nourriture de demain va repasser par une bonne définition des produits
de région. Pas des produits de terroir, le terroir est mort. Il ne peut exister que pour
deux choses : le vin et la botanique naturelle. Ailleurs, la tradition a été partout
transformée et adaptée à nos siècles. N'oublions jamais que l'on vit au XXIe siècle
et qu'il reste quand même dans les régions des gens très respectables, amoureux et
passionnés par leur travail et qui le font bien. J'ai simplement envie de leur dire
bravo, continuez ! Quand on me parle des produits de terroir, je pense à une émission de
télévision complètement nostalgique sur des vanniers de 70 ou 80 ans. J'avais envie de
voir des jeunes et je ne comprenais pas. C'était bien de voir ces gens-là..., mais on
nous apprenait qu'eux disparus, il n'y aurait plus de vanniers. La tradition s'en va, la
tradition se meurt. Pour qu'elle se perpétue, il faut des créateurs, des gens qui
amènent de l'ouverture d'esprit. C'est vrai dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la
peinture, de la litterature ou de la cuisine." n
(1) Des rumeurs évoquent, à terme, la vente possible de l'Auberge de l'Eridan en appartements. Marc Veyrat se contente d'en sourire...
La Ferme de Mon Père
367, route du Crêt
74120 Megève
Tél. : 04 50 21 01 01
Fax : 04 50 21 43 43
Trois et trois ou six ? |
"Le Guide Rouge reste la référence du métier. Son intégrité fait sa
force. S'il n'existait pas, les chefs feraient leur propre classement et ce serait la
guerre. Mes étoiles me confortent dans ma philosophie de n'avoir raté l'année dernière
que deux services dans l'année, en disant à mes clients : venez me voir dans ma maison,
je suis présent. C'est une forme d'idée à laquelle j'ai adhéré, mais je respecte tout
à fait celle de chefs moins présents dans leur cuisine mais qui ont su déléguer. Moi
je ne sais pas, je ne l'ai jamais appris." |
En chiffres |
Investissements 35 MF autofinancés Nombre de couverts 130 Prix menus 900 et 1 400 F Chiffre d'affaires mensuel 4 MF HT Effectif 65 personnes |
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L'HÔTELLERIE n° 2716 Magazine 3 Mai 2001