Un macaron au Guide Rouge pour une enseigne Relais & Châteaux à Montreuil-sur-Mer près du Touquet Paris-Plage (62) et des convictions personnelles exigeantes, cela donne pour Lindsay et Christian Germain l'honneur de gérer un beau et lourd navire sur un marché qui ne fait pas de cadeau.
Alain Simoneau
Lindsay et Christian Germain, bientôt 20 ans d'améliorations au Château de
Montreuil.
Depuis 19 ans, il faut donc
investir en permanence dans le confort et le décor, dans la cuisine et la technique pour
garder son rang. Et dans la capacité d'accueil pour améliorer la rentabilité.
L'hôtel Château de Montreuil s'offre pour 380 000 e (2,5 MF) trois chambres de plus de
style cottage à l'extérieur du bâtiment principal. Les travaux, lancés à l'été
2001, s'achèvent pour mettre en service les chambres cette saison. Ce Relais &
Châteaux catégorie Bleue passe ainsi de 14 à 17 chambres. Les trois nouvelles chambres,
des suites indépendantes dans de petits pavillons en fait, seront idéales pour réunir
des familles. Elles présenteront, comme chacune des 14 précédentes, un caractère
particulier. Les unes claires, tendues de tissu, les autres foncées, toutes en boiseries.
Les unes début de siècle, les autres quasi médiévales. Certaines très précieuses
avec leurs tentures et tapis d'orient, d'autres encore carrément surprenantes comme cette
Chambre des singes décorée de primates plutôt élégants, presque snobs, en moulures de
plâtre. Deux salles de bains invraisemblables, garnies de cuivre au plafond. Certaines
chambres pour amateurs et habitués, dont on veut absolument ou pas du tout. D'autres plus
douces, aimées d'une large clientèle. Ces chambres traduisent une vie professionnelle et
personnelle de recherche de décors, 19 années de travail en grande part sous la
direction de la Britannique Lindsay Germain, la maîtresse de maison.
Chaque chambre a son propre caractère et ses amateurs.
De ces trois cottages, les Germain attendent une amélioration de la rentabilité de leur
affaire en augmentant le chiffre d'affaires, sans besoins excessifs de personnel
supplémentaire. Le Château de Montreuil représente une charge fixe considérable.
L'hôtel et le restaurant (sans oublier le jardin) emploient de 38 à 39 salariés à
l'année, passés aux 39 heures sans subvention (pour éviter toute contrainte à
l'embauche), auxquels s'ajoutent les patrons. Lourde de personnel, l'entreprise est aussi
impressionnante en capital immobilisé. D'abord pour des raisons physiques. Cet ensemble
immobilier ancien, quasi intégré dans l'enceinte médiévale de Montreuil-sur-Mer, est
immense pour relativement peu de place fonctionnelle. C'est son attrait et aussi sa
contrainte. Le manoir est séduisant, entouré d'un jardin à mystères, enrichi d'un
potager. Plutôt français de l'extérieur, il est plein de détails anglais comme ces
petits carreaux de couleurs pastel aux fenêtres des chambres.
Un effort permanent
L'investissement, c'est donc une manière de faire vivre cette maison et une manière de
se remettre en question. A l'hiver 2000, Christian Germain a modernisé sa cuisine pour
183 000 e, dont 58 700 e pour le piano Bonnet Cidelcem (lire encadré ci-contre). Après
les cottages, ce sera encore autre chose. Par exemple, le bar sera déplacé, l'accueil
amélioré. Le côté luxe sera encore travaillé. Une nécessité, selon les Germain. En
témoigne cette piscine chauffée à 30 °C toute l'année qui fume l'hiver non loin de la
véranda. Mais ni le prix des chambres, ni le ticket moyen de ce restaurant étoilé, loin
des tarifs des palaces métropolitains, ne permet le moindre écart de gestion. L'affaire
présente en exagérant (un peu) un côté sacerdotal : gagner sa vie sans doute, mais
surtout travailler énormément, et réinvestir sans cesse.
La passion de Lindsay Germain pour la décoration n'est pas tout à fait un hasard. Elle
est la fille d'un commissaire-priseur du Kent. Christian travaillait, lui, dans un
restaurant à Westerham où les parents de Lindsay étaient clients. Elle-même était
l'assistante d'un avocat. Elle avoue avoir été, au départ de l'action, beaucoup plus
attirée par le cuisinier que par le métier. Christian Germain, lui, a cultivé un
terrain familial. Originaire de l'Avesnois, pays de bocage au sud du département du Nord,
pays de lait, de fromages, de légumes et de vergers, où son père tenait la
Crémaillère, il est parti tenter sa chance ailleurs et a eu "la chance de faire
un véritable apprentissage" chez Jean-Louis Le Lorrain en 1966. "Je
voulais être maître d'hôtel", se souvient-il. "Si tu veux être
intelligent en salle, il faut connaître la cuisine", a plaidé son patron. Et il a
finalement découvert que la cuisine était "l'expression de soi-même".
Au restaurant, le menu vedette est le menu carte à 53,35 e.
Manager à deux
Ce grand bateau se pilote avec précision et à deux. "Avec 14 chambres et des
prix modérés, il faut être complet tous les jours ou presque", explique
Christian Germain. "Nous avons la chance d'être très peu de Relais &
Châteaux au nord de Paris et l'un des moins chers. L'enseigne caractérise vraiment notre
clientèle qui vient du monde entier avec, bien sûr, une forte proportion de
Britanniques. La centrale est très efficace, le programme de fidélité très utile. Mais
il ne faut pas se tromper dans la gestion des réservations, éviter le no show et toute
perte. Tout comme au restaurant d'ailleurs", précise-t-il. Gérer les
réservations est une des spécialités de Lindsay Germain qui opère cette année le
passage à une informatisation complète. La connaissance des clients, la finesse de
l'anticipation des achats seront encore améliorés. Il ne faut pas non plus décevoir. Le
jugement au départ est implacable. Beaucoup reviennent. Pour retrouver au moins les
sensations qu'ils ont appréciées une fois et aussi dans l'espoir d'être de nouveau
surpris. Ce qui suppose de la part des patrons une véritable stratégie de progrès en
maîtrisant les prix et les coûts. n zzz36v
Cuivre au plafond et miroir pour cette salle de bains étonnante.
Il fallait régler des problèmes de froid et d'étanchéité sans bouleverser les
murs. Le chef, Christian Germain, en a profité pour repenser l'ensemble de sa cuisine. La
réfrigération, organisée en une batterie de capacités spécialisées, est remisée
dans une dépendance à proximité immédiate de la cuisine. Détail : tous les
compresseurs sont à l'extérieur. La pièce maîtresse est un vaste carré agréablement
éclairé par des fenêtres donnant sur le jardin. On a gagné sur tous les rangements.
Une partie froide et une partie poisson ont été davantage spécialisées et équipées.
De petits tiroirs réfrigérés permettent de préparer la mise en place. La quasi
totalité est préparée pour l'immédiat, mais un équipement d'emballage sous vide
permet un minimum d'anticipation.
A chaque besoin son outil : four classique et four à convexion, cuiseur à fond et jus,
plancha électrique, induction pour la cuisson au wok. "Actuellement, nous sommes
plutôt axés sur la cuisson à induction pour les légumes. Nous souhaitons aussi
travailler les crustacés avec cet outil, mais nous devons nous former, c'est un coup de
main à prendre", commente ce chef très expérimenté, mais toujours prêt à
apprendre et à essayer. Il a opté pour des radiants électriques aux brûleurs de
l'ancien piano.
"Plus performants et dynamiques avec une consommation à la demande",
commente-t-il. Après quelques mois d'expérience, il était encore trop tôt pour juger
du bilan énergétique d'ensemble. L'investissement s'accompagne de davantage de
spécialisation pour l'équipe, et donc de formation. Qui demande beaucoup doit donner
aussi. Le château a investi 30 500 e dans l'installation d'un local pour le repas du
personnel.
En 2000, une cuisine refaite quasiment de A à Z.
Le chef et les produits
"Notre région du Pas-de-Calais offre beaucoup de très bons produits mais
relativement peu de recettes. C'est donc un terrain intéressant de recherche pour le
chef", explique Christian Germain. L'axe principal de ses recherches est donc de
créer à partir de produits qui ne sont pas nécessairement les plus chers de France,
mais qui gagnent à être mis en valeur. Ce qui n'empêche pas de rechercher le rouget ou
le homard breton là où ils se trouvent. Mais l'une des actions du club Côte d'Opale
gourmande, qui rassemble les meilleures adresses du Boulonnais au Touquet, est
précisément de travailler avec les filières régionales.
Un bon départ est pris avec l'agneau boulonnais, d'autres filières suivront.
En chiffres |
Chiffre d'affaires Progression à 1,68 Me hors
taxes en 3 ans, surtout grâce au tourisme Prix des chambres * De 130 à 168 e pour 2 personnes * 274,40 e pour le plus vaste appartement * Soirée étape avec repas (sans menu imposé) à 259 e Menus * Petit menu du midi à 30 e * Menu du chef à 65 e * Entre les deux, menu carte à prix fixe de 53,35 e |
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L'Hôtellerie n° 2755 Magazine 7 Février 2002 Copyright ©