Si les métiers de la restauration restent prenants, les nouvelles générations de professionnelles s'organisent aussi en fonction de leur vie de famille. Le métier, oui. Mais pas au détriment des enfants.
Sylvie Soubes
Récemment encore dans les colonnes de L'Hôtellerie, des restauratrices ayant réussi professionnellement avouaient un sentiment de culpabilité à l'égard de leurs enfants.
"Prise par mon travail, je n'ai pas toujours pu m'occuper de mes fils comme je l'aurais souhaité. J'avais l'impression qu'il m'était interdit de laisser mon poste pour aller les câliner, pour passer des moments simples avec eux", témoigne Jacqueline Blanc.
"Je leur donnais le biberon lorsque c'était possible. C'est-à-dire, entre la réception et le restaurant", confesse de son côté Jacqueline Roux.
Des centaines de femmes qui ont fait leur parcours dans le milieu de la restauration, y compris dans l'hôtellerie et le bar, portent un constat similaire. Concilier vie de famille et métier a longtemps relevé du casse-tête, au détriment des bambins. Quand la dureté du travail devenait vraiment incompatible, beaucoup se retrouvaient à demeure chez les grands-parents, les oncles, les tantes, élevés par procuration, ne manquant de rien, sinon de la présence charnelle de leurs parents. Des parents qui ont tout fait dès lors pour détourner leur progéniture du métier.
Les nouvelles générations de professionnelles, dont certaines sont issues du sérail, évoquent à l'unanimité la nécessité de dégager du temps pour la vie de famille. "Le rapport avec la société s'est déplacé, constate un psychologue. Les valeurs évoluent. L'enjeu professionnel reste déterminant, mais il n'est plus le seul objectif. Et puis, aujourd'hui, dans bien des cas,les enfants arrivent plus tard. Lorsque la situation professionnelle est installée."
Isabelle Da Silva-Hibert a 38 ans. Mère de deux enfants, de 8 et 4 ans, celle-ci veille avec son mari, Paul, et son père, Louis Hibert, sur la brasserie parisienne Le Luxembourg. Isabelle a toujours baigné dans le métier. "A l'époque de mes parents, la profession était plus dure. Ils ont débuté par une petite affaire qui ouvrait le matin à 6 heures et fermait à 22 heures. Ils travaillaient 7 jours sur 7. Le métier était davantage physique. Il n'y avait pas de monte-charges, il n'y avait pas toutes les machines qu'on a à l'heure actuelle. Ils ne savaient pas ce qu'était un jour férié. Aujourd'hui, les données sont différentes. Les horaires, comme les soucis, ne sont plus les mêmes..." Isabelle a un frère et une sur, tous deux tiennent aussi des établissements parisiens. "Nous avons toujours été très proches de nos parents. Nous avons une grande admiration pour eux, pour ce qu'ils ont fait. Mon père est un homme très droit, plein de pudeur et de valeurs. Il nous a appris le respect de soi et des autres. Même si ma mère et lui ont toujours beaucoup travaillé, ils ont toujours su nous préserver. Nous avons toujours été très liés et je pense que c'est une force." Isabelle reconnaît bénéficier d'une situation privilégiée. "Je travaille aux côtés de mon père ici depuis 15 ans. Nous avons une belle clientèle, et j'ai la chance d'avoir épousé un homme qui est lui aussi passionné par la restauration. Quand j'ai eu mes enfants, cela n'a pas posé de problème. Je suis restée jusqu'au huitième mois derrière le bar et je me suis arrêtée 3 mois. Ensuite, tant qu'ils n'allaient pas à l'école, j'avais quelqu'un de confiance chez moi. Je venais travailler l'esprit tranquille." Depuis quelque temps, Isabelle s'octroie le mercredi de libre. "Vous savez, tout est dans l'organisation. Mon mari et moi partageons notre temps dans l'établissement, mais nous nous accordons aussi des moments pour nous. Nous avons la même démarche avec nos enfants."
"Même si mes parents ont toujours beaucoup travaillé, ils ont su nous
préserver", témoigne Isabelle Da Silva-Hibert.
Vie de quartier
Sylvie et Pascal Hardel ne sont pas nés dans la restauration. Ils se sont lancés dans le
créneau parce qu'ils voulaient travailler ensemble. Ils ont trois enfants âgés de 12, 7
et 2 ans. En 1991, le couple s'installe dans le quartier de Montparnasse après 3 années
aux commandes d'un petit restaurant sur l'île Saint-Louis. "Quand on a pris notre
première affaire, on s'est marié et on a fait notre premier enfant en même temps.
C'était un peu compliqué au début, lance Sylvie, mais si on réfléchit à tout,
on n'avance pas. Alors..." Pour leur deuxième restaurant, Sylvie et Pascal
s'imposent de trouver une affaire avec un appartement au-dessus. "Nous voulions
avoir plusieurs enfants, et pour veiller sur eux, il fallait absolument que nous habitions
près du restaurant", explique Sylvie. Pendant 6 ans, le Hardel a ouvert 7 jours
sur 7. "Nous avons mis des caméras dans l'appartement pour surveiller les enfants
au cas où il y aurait un problème. Depuis qu'ils sont plus grands, on a toutefois
retiré la télévision... A part ce détail, ça se passe bien. Pour moi, le coup de feu,
c'est bien sûr à midi. Les deux grands sont scolarisés et notre petite dernière est en
crèche familiale, ce qui fait que je n'ai pas de souci à l'heure du déjeuner. Le
mercredi, ils mangent au restaurant. Nous avons aussi l'avantage d'avoir un environnement
agréable. Maxime, mon aîné, connaît tout le monde dans le quartier. Il va balayer chez
le coiffeur ou peindre avec les artistes en face. Cette vie de quartier est importante
parce qu'ils peuvent aller et venir tranquillement. Et même si je suis beaucoup dans le
restaurant, je pense que je vois mes enfants nettement plus que quelqu'un qui est salarié
et qui part le matin à 8 heures et rentre à 19 heures", termine Sylvie.
Sylvie et Pascal Hardel, ici avec leur aîné, ont trois enfants. Pour eux,
restauration et vie de famille n'est pas incompatible du tout.
Cuisine et vie de famille
Fabienne Sequeira a 27 ans. Elle est chef au Café du Métro à Paris depuis trois ans.
Elle aime son métier et n'a pas l'intention d'en changer. Elle sait ménager sa vie
personnelle. Fabienne sera d'ailleurs maman dans quelques semaines et c'est sans angoisse
qu'elle envisage son avenir : elle a déjà su surmonter de nombreux obstacles pour en
arriver là... A la sortie de troisième, à la surprise familiale, elle se tourne vers la
restauration. "Mon père a mal pris les choses, il voulait pour moi un autre
avenir. Il avait une image négative de la profession." Après un BEP puis un bac
pro réussis au lycée hôtelier du Touquet, la grogne familiale s'estompe. Très vite,
cependant, la jeune femme quitte sa région natale pour rejoindre la capitale. "Bien
sûr, ça a été un peu dur au début, mais mon objectif était de travailler..." Ses
armes, elle les fait Chez Clément, porte Maillot. "C'était mon premier travail
en tant que salariée. J'ai beaucoup appris là-bas. Seulement, je ne me voyais pas y
faire carrière." C'est toutefois dans cet établissement qu'elle rencontre
l'âme sur, José, serveur. Devenue Madame Sequeira, Fabienne souhaite bénéficier
d'autres horaires. Elle démissionne de Chez Clément et trouve cuisine à son tablier au
Café du Métro, rue de Rennes. Elle est embauchée en tant que cuisinière. En février
2000, elle succède au chef en place. "J'ai un créneau horaire qui va de 8 heures
du matin à 16 heures. L'établissement ne fait pas restaurant en soirée. Ce créneau me
satisfait parce qu'il me laisse une vie après." José a lui aussi changé de
maison. Il est serveur en limonade dans un café de jour. "On aime tous les deux
notre métier. Mais nous savons que nous ne voulons pas tout lui sacrifier." Le
Café du Métro est tenu par Christophe et Anne Monnaye. L'affaire a bonne réputation et
fait salle comble à l'heure du déjeuner. Christophe et Anne Monnaye ont mis au point un
planning tournant qui permet à chaque membre de l'équipe d'avoir un week-end complet
toutes les 3 semaines. "Sinon, on a 2 jours consécutifs. Je ne crois pas que
j'aurais envie de travailler en province. Il y a encore trop de coupures, et ça, c'est
vraiment pénible. Et puis, j'attends un bébé", lance-t-elle fièrement. Et ça
ne vous gêne pas d'être en cuisine et d'être enceinte ? "Pourquoi, ce n'est pas
un souci ? Je ne suis pas malade. Au contraire !"
D'autres jeunes mamans restauratrices, interrogées à leur tour sur ce thème, confirment
qu'il est désormais possible de concilier métier et bambins. Une restauratrice en
station ajoute : "En fait, c'est plus facile qu'avant parce qu'on n'a plus les
mêmes rapports avec les gens et avec nos enfants. Mon fils, je l'installe dans le
restaurant. Il participe depuis tout petit à la vie de l'établissement. Ce n'est pas
forcément faisable dans tous les restaurants, mais quand l'ambiance est décontractée,
il n'y a pas de raison pour les cacher ou leur interdire l'accès au restaurant."
Autres temps, autres murs. n
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L'Hôtellerie n° 2755 Magazine 7 Février 2002 Copyright ©