La stagiaire de l'école hôtelière de Strasbourg, qui contrôlait à 18 ans les suites du célèbre palace blanc de la Promenade des Anglais, est aujourd'hui devenue la directrice générale du Negresco. La réussite d'une femme de tête dans un univers d'hommes...
Claire Cosson
© Eric Zara Gossa
Sa vie, elle aurait pu la passer dans la peau d'une
gouvernante générale, fonction qu'elle adore d'ailleurs. D'autant plus intensément
qu'elle l'a exercée avec brio, "aimée plus que tout", et l'a bien
entendu défendue bec et ongles durant de longues années. Moitié Toulousaine, moitié
Alsacienne, Nicole Spitz a eu toutefois envie de grimper quelques échelons
supplémentaires. Non pas vraiment par ambition personnelle, ni même par goût affirmé
pour le pouvoir. Mais tout simplement parce que, comme beaucoup d'individus nés sous le
signe de la Vierge, son truc à elle consiste toujours à se surpasser. "Il faut
viser la perfection pour n'être que bon", répète ainsi sans cesse cette fille
d'entrepreneur.
"Au fond, Nicole ne se contente de rien et son perfectionnisme la pousse à aller
de l'avant", avoue pudiquement son mari, Raymond Spitz. Et un ancien camarade de
classe, Jean-Louis Leimbacher, patron de l'Hôtel du Palais à Biarritz, de poursuivre :
"Elle a toujours aimé occuper la première place du podium." Et bien
après avoir raflé le titre de major de promotion à l'école hôtelière de Strasbourg
au milieu des années 60, Nicole est une nouvelle fois "la première"
depuis l'automne 1997.
Une locomotive
Cherchez donc en effet les femmes directrices générales de
palace... Pas besoin de machine à calculer... Même les cinq doigts d'une main suffisent
pour compter les tailleurs-escarpins dans les états-majors de l'hôtellerie de luxe. A
croire que la gent féminine ne dispose pas des compétences nécessaires pour diriger des
hôtels de prestige. Qui plus est, quand elle ne passe pas par le moule de la
restauration, soi-disant voie royale à une certaine époque pour atteindre des sommets !
En confiant à Nicole Spitz la direction générale du Negresco voilà maintenant plus de
4 ans, Jeanne Augier, propriétaire de cet établissement classé monument historique,
prouve pourtant le contraire. "J'ai mis du temps, mais j'ai montré que c'était
possible qu'une femme de ma génération puisse arriver au plus haut poste dans
l'hôtellerie haut de gamme", explique Nicole. La réussite éclatante de ce
petit bout de femme haute comme trois pommes, à l'il noisette pétillant et au
sourire charmeur, en fait d'ailleurs aujourd'hui une sorte de modèle pour nombre de ses
consurs.
"Il y a peu de gouvernantes générales à avoir eu ce parcours..., mais Nicole
est un sacré personnage. Et quelle locomotive pour les autres !", confie, ainsi
admirative, Marie-Line Degage, gouvernante générale des opérations de la chaîne
Citadines. "Je ne regretterais jamais de l'avoir rencontrée ! Nicole m'a tout
appris. C'est un véritable exemple", surenchérit Anne Babouot, gouvernante
générale au Château d'Esclimont pendant 15 ans sous la direction de Mme Spitz.
Apparemment, celle qui dorénavant gère l'équipe des 250 personnes employées par le
Negresco fait l'unanimité au sein de la profession. Y compris auprès du bastion masculin
que cette blonde, dotée d'un humour irrésistible (certes réservé à ceux qui la
côtoient de près), a finalement renversé. "Nicole est une vraie professionnelle",
confesse volontiers Pascal Brun, le directeur de l'Hôtel Majestic Barrière à Cannes. Et
André Charpentier, directeur général adjoint du seul établissement hôtelier où une
tonne de cristal de baccarat éclaire le plus grand tapis d'Aubusson au monde (Negresco),
d'ajouter : "Avec elle, il n'y a jamais de parole en l'air. Elle tient toujours
ses promesses, et va au bout de ce qu'elle entreprend."
Et il lui a fallu sacrément entreprendre pour arriver là où elle est actuellement. Au
cours de son itinéraire professionnel, Nicole n'a jamais pu oublier qu'elle était une
femme. La 'guerre des sexes' débute du reste avec son père qui voit plutôt d'un mauvais
il le choix de carrière de sa chère tête blonde. "A l'époque, il était
assez mal vu pour une jeune fille d'embrasser un métier dans l'hôtellerie",
raconte Nicole.
Vient ensuite l'école hôtelière de Strasbourg, dont notre protagoniste conserve un
souvenir ému et reconnaissant (en particulier s'agissant de Monsieur Koscher, alors
proviseur du lycée hôtelier), mais admet volontiers l'extrême rigueur. Et puis enfin,
l'univers hôtelier lui-même, qui ne laisse alors guère de chance aux femmes. Reste que
Nicole Spitz ne recule pas devant l'adversité. Elle veut tout faire et plus encore...
Résultat : la jeune étudiante attire immédiatement l'attention de ses premiers maîtres
de stage. En l'occurrence, Jeanne et Paul Augier, déjà installés aux commandes du
Negresco, où Nicole découvre le métier de gouvernante d'étage.
Une passion pour l'envers du décor
"Cette première expérience a été une véritable révélation. Je me suis rendu
compte que l'envers du décor était passionnant. Qu'il y avait mille et une choses à
réaliser dans les étages... J'ai également découvert mon goût pour l'organisation des
tâches et le travail en équipe", se rappelle avec enthousiasme Nicole Spitz.
Son engouement pour ce département est d'autant plus fort qu'à ce moment-là les étages
constituent pratiquement l'unique moyen pour le sexe dit 'faible' d'obtenir une certaine
considération dans la profession.
Après un passage à l'Hôtel du Cap (5 étoiles) en Corse, puis un séjour au Plaza
Athénée, Nicole, tout juste âgée de 27 ans, décroche le poste de gouvernante
générale au Negresco. Inutile en effet de tergiverser, ce métier lui va comme un gant.
Association des gouvernantes des grands hôtels
Sa rigueur naturelle, son sens du détail (pousser quelquefois à
la maniaquerie selon quelques amis et autres collègues : Mme la directrice ne quitte
ainsi jamais son bureau sans avoir vidé sa poubelle, puis désinfecté l'objet à
l'alcool), sa lucidité, son charisme incontesté et ses qualités de manageuse, tout est
réuni pour qu'elle puisse se bâtir une solide réputation dans le domaine. Ce que Nicole
ne va évidemment pas manquer de faire et au pas de charge s'il vous plaît. C'est de fait
à la jeune Toulousaine que l'on doit la création, en 1977, de l'Association des
gouvernantes des grands hôtels de la Côte d'Azur et de la principauté de Monaco, puis
12 ans plus tard, celle de Paris, et pour finir, celle de Lyon. Acharnée, la gouvernante
générale du Negresco d'alors sue sang et eau pour sortir le service des étages de
l'ombre et redorer son blason.
Mieux encore ! Sillonnant les routes de France, traversant parfois même les frontières
pour le compte d'Unifhort, Nicole ira jusqu'à prêcher la bonne parole auprès de
milliers d'établissements hôteliers, dont certains Relais & Châteaux. "Elle
a été un réel guide dans mon ascension professionnelle", souligne Marie-Claude
Moria, gouvernante générale du Negresco depuis 6 ans.
En attendant, voilà un beau jour où Jeanne Augier lui confie la direction de
l'hébergement du palace niçois. Le courage ne manque guère à Nicole. D'autant qu'elle
connaît bien la maison, la nécessité d'aller jusqu'au bout d'elle-même et sa grande
curiosité l'incitent à se 'jeter à l'eau'. La jeune femme accepte donc la proposition.
Et bien sûr, l'intéressée s'en sort avec les honneurs.
Une nouvelle expérience riche d'enseignements dont Nicole tirera pleinement profit pour
relever le nouveau défi auquel elle et son époux sont confrontés en reprenant, dès
1985, la direction du Château d'Esclimont (28), propriété de la famille Traversac
(membres à cette période de Relais & Châteaux). "J'ai appris la rigueur des
chiffres au sein de ce groupe. Je me suis également formée à la restauration et à
l'organisation de séminaires de haute volée", précise l'actuelle directrice
générale du Negresco.
Lancement de nouveaux produits, conventions de sociétés multinationales, mariages et
autres événements spéciaux défilent en effet à la vitesse grand V au Château
d'Esclimont. Pas question pour Nicole de souffler une seule petite minute. D'autant plus
qu'elle s'est engagée auprès de la propriétaire du Negresco à lui rendre visite tous
les trimestres. Quand on aime, on ne compte pas ! "Et Nicole ne compte jamais son
temps ni pour son travail, ni pour ses amis, et encore moins pour ses collègues. Elle n'a
qu'une parole. Qui plus est, la satisfaction d'aider ou d'éclairer autrui l'anime tout le
temps", commente Marie-Line Degage.
En prenant la direction générale d'un palace comme le Negresco, Nicole Spitz a
fait tomber le bastion masculin de l'hôtellerie haut de gamme
Améliorer la rentabilité du palace
Un trait de caractère qui fut sans nul doute un atout majeur dans
sa nomination au poste de directrice générale du 'monstre sacré' de l'hôtellerie
française. A son retour au Negresco, Nicole se lance effectivement dans un nouveau
challenge qui réquisitionnera d'emblée toutes ses compétences. C'est un secret de
polichinelle : l'argent n'a jamais été le but premier de Jeanne Augier. Madame la
directrice générale doit donc impérativement améliorer la rentabilité du palace.
Selon sa méthode habituelle, Nicole met tout à plat. "Elle décortique d'abord
tous les fonctionnements un à un. Ensuite, Nicole consulte ses équipes dont elle ne
trahit jamais la confiance. Et puis elle agit", indique André Charpentier. En
l'occurrence, ses décisions semblent plutôt bonnes. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. A
commencer par le coût matière qu'avec l'aide de son chef de cuisine (2 étoiles au Guide
Rouge pour le Chantecler), Nicole parvient à ramener à 32 % contre 47 % à son
arrivée.
Autre domaine de satisfaction, l'activité banqueting qui génère quelque 1,37 ME TTC au
terme de l'exercice 2000. Belle tenue également de l'hébergement où le taux
d'occupation progresse de manière sensible en moins de 4 ans pour se stabiliser à 73 %
en 2000 (46 % en 1996). Sans oublier le prix moyen (dont Nicole n'est pas totalement
satisfaite) passé à 271,5 E. Au final, le Negresco sort du rouge d'année en année pour
afficher un résultat net après impôts de 1,83 ME en 2000.
Pas si mal pour une soi-disant 'faible' femme ! "Il faut dire que Nicole aime
gagner", rétorque Raymond Spitz. Rien de bien surprenant donc dans ces
performances. Seulement, peut-être, le doute qui assaille parfois encore la directrice
générale de temps à autre. Il n'y a qu'à l'observer se mordillant les lèvres pour
comprendre que cette Toulousaine déteste l'imprévu et est d'un tempérament inquiet. Les
lauriers décrochés ne l'empêchent pas en effet de s'interroger, ni de vouloir faire
toujours mieux. Quant à la célébrité, elle s'en méfie comme de la peste. A priori,
Nicole croit en fait n'avoir pas de droits mais que des devoirs. Alors continuez Madame la
directrice générale ! n
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Parmi les premières mesures prises par Nicole Spitz figure la réduction du coût
matières premières.
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Naissance à Toulouse |
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L'Hôtellerie n° 2755 Magazine 7 Février 2002 Copyright ©