Les professionnels du tourisme et de la restauration ont passé, comme ailleurs, avec succès le passage à l'euro. Pour autant, si l'aspect technique est bien maîtrisé, on ne mesure encore que très faiblement les effets induits et les conséquences psychologiques de la monnaie unique sur les consommateurs européens et sur leurs actes d'achat, y compris en hôtellerie.
Christelle Corsin et Philippe Garon
Si
l'euro a connu dès ses débuts de nombreux euro-sceptiques ou europhobes, les
professionnels du tourisme n'ont pas été de ceux-là. Ils ont trop bien compris ce que
la monnaie européenne pouvait leur apporter : suppression des commissions de change dans
les 12 pays de la zone euro, simplification, facilité dans la comparaison des prix.
Avant, avec 1 000 francs en poche, un touriste traversant 6 pays voyait s'évaporer sans
rien acheter, environ 500 francs en commissions de change. La monnaie unique a été vite
acquise dans le pôle touristique. Mais contrairement à d'autres secteurs, comme les
banques, l'automobile ou la grande distribution, qui préparaient cet événement depuis 2
à 3 ans, le secteur des CHR s'en est préoccupé plutôt tardivement. Ils n'étaient que
10 % à avoir adopté le double affichage de leurs prix fin 2000, dont majoritairement en
hôtellerie. Les autres ont attendu le dernier moment pour le faire en 2001.
Préoccupation sur le tard
Même les grands réseaux, chaînes hôtelières ou chaînes de restaurants, ne se sont
appliqués à déterminer une stratégie et une tactique face à l'euro que sur le tard,
vers la fin du premier semestre de l'année passée. Force est de constater que de
nombreuses aides aux entreprises avaient été mises en place pour faciliter la tâche des
professionnels. Ainsi, furent-ils nombreux parmi les indépendants à bénéficier des
conseils et du soutien des CCI. "Depuis 1998, nous organisons des réunions
thématiques à l'attention de nos ressortissants, en partenariat avec de nombreux corps
de métier tels que les experts-comptables, la Banque de France...", explique
Pascal Ferreira, chargé de l'Observatoire euro à la CCI de Châlon-sur-Saône. L'Hôtellerie
a consacré chaque semaine du dernier trimestre 2001, une page pratique au sujet. Pour un
professionnel, il est difficile de prétendre qu'il n'a pas eu les moyens de s'informer.
Les sites Internet, l'édition de brochures par les banques, la distribution de
convertisseurs et le relais des médias, ont été autant de moyens qui ont contribué à
installer l'euro dans les meilleures conditions. Avec même parfois une saturation
d'informations. "Nous avons assisté à une inflation des réunions d'informations
sur l'euro : les assurances, la poste, etc. Chaque organisme et partenaire communiquait.
Les commerçants ont assisté en moyenne à deux réunions, mais ils ne pouvaient passer
leur temps à cela", commente un directeur d'agence bancaire. Pour les plus
grands groupes, des formations spécialisées sur l'euro ont parfois été organisées en
interne et démultipliées de façon pyramidale et méthodique, comme ce fut le cas chez
Envergure. On a nommé un peu partout dans les groupes des 'Monsieur ou Madame euro'. Mais
les plus grands n'ont pas eu le monopole de la préparation à la monnaie unique. D'autres
sociétés, comme le groupe d'hôtels parisiens Astotel ont, quant à elles, choisi de
faire appel à des consultants-formateurs en externe, qui ont uvré durant plusieurs
mois.
En hôtellerie, les effets du changement de monnaie ont été moins sensibles.
Quelques zones d'ombre
Même si le bilan reste globalement positif, quelques tourments sont encore à l'ordre du
jour chez les professionnels. "Depuis début janvier, quelques commerçants
s'inquiètent quant à la conformité de l'affichage de leurs prix par rapport aux
arrondis", explique un fonctionnaire. Comme beaucoup de ses confrères, Samia
Ghamni, du restaurant Le Mazagran à Paris, "a respecté la règle des arrondis du
deuxième chiffre après la virgule". On accuse aussi les commerçants d'avoir
profité de l'écran de fumée du passage à l'euro pour donner un coup de pouce à leurs
prix. Si les faits sont constatés, on ne sait pas s'il s'agit de rattrapages,
d'augmentations habituelles de début d'année ou encore 'd'abus de fragilité du
consommateur'. Quant à l'exercice périlleux du rendu de monnaie entre francs et euros,
si les restaurateurs ont pu, comme tous les commerçants, favoriser les paiements par
carte bancaire, les cafetiers ont souvent servi de bureau de change. En hôtellerie, les
effets du changement de monnaie ont été moins sensibles dans la mesure où "les
règlements en espèces représentent entre 11 à 18 % de la totalité des encaissements",
observe Alain Bouchart, responsable de l'euro pour le groupe Envergure. Ainsi, les
difficultés s'avèrent minimes selon les professionnels.
De l'autre côté de la barrière, "les clients ne semblent pas perturbés par ce
changement de monnaie", ajoute-t-il. Si techniquement l'euro a été parfaitement
adopté par les professionnels, on mesure encore mal l'impact psychologique de la nouvelle
monnaie qui gomme toutes les références précédemment connues. "Les gens n'ont
pas encore les repères, nous sommes dans une période de calage", explique
Pascal Peyrat, directeur général de la chaîne Best Western en France.
De nouveaux repères à créer
Situation inattendue, on observe que l'euro a tendance à rétracter les écarts de prix
entre les moins chers et les plus chers des produits ou prestations. Ainsi, dans
l'hôtellerie économique, où le prix est un facteur déterminant pour la clientèle, on
trouvait en moyenne en 2001, 30 francs d'écart pour une chambre entre Formule 1 et ses
concurrents les plus proches. Avec la nouvelle monnaie, cet écart n'est plus que de 4,5
E. C'est toujours la même somme, mais psychologiquement, ce n'est plus pareil. Et cette
faible différence tarifaire va aller au bénéfice du prestataire le plus cher pour un
pan de la clientèle, dès lors que son offre est plus riche. Ainsi, les transferts
risquent de se faire tant entre les chaînes ayant des différences tarifaires jusque-là
significatives, qu'entre les catégories. Ce phénomène profitera aussi dans un premier
temps aux établissements de chaînes qui sont plus chers que les indépendants d'environ
20 %, toutes catégories confondues, selon une étude de Coach Omnium. Les marques connues
vont recueillir plus de clients que les marques inconnues, par cette différenciation
restreinte de prix psychologiques. Il en va de même au sein d'un hôtel qui a des
chambres haut de gamme qui seront plus faciles à vendre que les chambres standard.
Des pourboires
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Une hausse espérée de volume d'affaires
Tout ceci s'opérera dans un premier temps jusqu'à ce que les consommateurs se remettent
en tête de nouvelles références, ce qui prendra au plus 6 mois en restauration, mais
quasiment 18 mois en hôtellerie pour la clientèle occasionnelle. Enfin, la disparition
totale du franc fera revenir les prix sur les arrondis. D'autant plus que les centimes
d'euros, au-delà du premier chiffre après la virgule, ne sont pas populaires en France,
ce qui pose un vrai problème chez les cafetiers. Le tourisme français pourrait trouver
dans l'arrivée de l'euro une véritable opportunité pour se développer, grâce à
l'accélération des échanges touristiques en Europe. "Les taux de change
disparaissant, les clients auront une meilleure lisibilité des prix et pourront les
comparer", commente un professionnel. Et ceci au profit des hôteliers de
l'Hexagone. "La monnaie unique va démontrer aux étrangers que la France propose
les prix affichés hôteliers les plus compétitifs d'Europe, par rapport à la prestation
fournie", explique Alain Bouchart. Et un confrère d'ajouter : "Certains
touristes privilégieront peut-être davantage l'hôtel, type d'hébergement qu'ils
n'utilisaient pas auparavant."
Bénéfice pour les touristes internationaux
Le passage d'un pays à l'autre avec la même devise en poche, ne devrait pas manquer de
séduire de nombreux touristes internationaux tels que les Japonais ou les Américains.
Ils effectuent souvent dans un même voyage la visite de plusieurs pays européens, et
sauront apprécier cette simplification. D'autant plus qu'avec un euro plus proche du
dollar que les anciennes monnaies nationales, ils auront des références plus précises.
Reste que pour l'heure, au dire de nombreux professionnels, il est trop tôt pour mesurer
les vraies incidences de l'euro. On navigue encore sans carte, ni compas, ni boussole. La
monnaie unique touchant 300 millions d'Européens étant une première mondiale. Pourtant,
on en est sûr, les professionnels du tourisme disent en avoir assez que l'on parle de
l'euro. "Ça suffit, on a fait le pas, on a compris ce qu'il fallait faire. A
présent, nous avons envie de passer à autre chose", soupire Jean-Etienne
Pierrefitte, qui dirige un grand hôtel. D'autant que la profession est actuellement
préoccupée par un autre événement autrement plus bouleversant : la réduction du temps
de travail qui n'a pas fini de lui faire faire un sang d'encre. n zzz20a
Combien a coûté le passage à l'euro ?Le coût engendré par le changement de monnaie est difficile à évaluer, tant il est variable en fonction de la nature de l'activité des commerces, des modes de paiement par la clientèle et de leur taille. Aux charges directes, s'ajoutent de nombreux faux frais. Ce sont tout d'abord les dépenses liées aux mises à jour des logiciels informatiques de comptabilité, d'exploitation et de monétique qui ont entraîné les frais les plus élevés. Avec un terminal de paiement électronique, c'est entre 760 et 910 E qu'il fallait compter. Certains exploitants ont d'ailleurs revu leur contrat avec leur banque, préférant des formules locatives aux acquisitions. Le coût lié à la modification des logiciels hôteliers atteint entre 1 000 et 4 900 E pour les réseaux hôteliers. Les autres fonctions de l'entreprise telles que les services du personnel, comptable ou commercial, ont, quant à eux, puisé dans leur budget. Basculer une comptabilité en euros coûtait facilement 6 000 E pour une petite PME. Par ailleurs, la plupart des entreprises dans les CHR se sont organisées pour faire passer les budgets liés aux formations des équipes à l'euro en frais de formation auprès du Fafih. Il en a été de même pour celles qui ont fait appel à un consultant extérieur, qui demande entre 760 et 900 E par jour. Coûts indirects raisonnables |
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L'Hôtellerie n° 2759 Magazine 7 Mars 2002 Copyright ©