Travailler chez soi ou chez les autres ? Pas si facile que ça, surtout quand la maison familiale vous attend, alors que Ducasse, à Monaco, vous emploie.
Lydie Anastassion
Là-bas, c'est un poste de chef. Ici, c'est l'apprentissage et la compétition.
Ici, pour Benjamin Bajeux, 22 ans, c'est Monaco et les cuisines du restaurant Louis XV (2 étoiles au Guide Rouge) d'Alain Ducasse, dirigées par Franck Cerruti, à l'Hôtel de Paris. Là-bas, c'est Tourcoing, la ville d'origine du jeune cuisinier où ses parents, Christine et Didier Bajeux, exploitent un restaurant, La Baratte (1 bib gourmand et 2 fourchettes au Guide Rouge), tout juste rénové. Ici, c'est un poste de second commis gagné en moins d'un an et bientôt un passage test à la cuisson des garnitures. Là-bas, c'est un poste de chef. Ici, c'est l'apprentissage, la compétition avec les autres et le risque de ne pas convenir. Là-bas, c'est la gestion du partenariat avec son père. Alors, rentrer ? Ne pas rentrer ? "Tout le monde me pose la question, notamment les clients de La Baratte", commente Benjamin. Alors que beaucoup de jeunes professionnels aspirent à s'installer à leur compte et peinent sur le financement d'une acquisition, Benjamin poursuit un raisonnement différent et avance plusieurs arguments.
Indépendance
Premier argument : son jeune âge : Il ne veut pas se fixer, mais profiter de son
indépendance pour enrichir son expérience professionnelle, et pourquoi pas, d'ici deux
ans environ, repartir pour une destination lointaine. "Je suis parti aux Antilles
à Saint-Bathélémy. J'y ai appris, par exemple, à travailler avec des produits livrés
une fois par semaine". Et le second : la difficulté de travailler à son compte.
"Il y a beaucoup de charges, de contraintes." Adolescent, il
s'occupe de la sonorisation des mariages, aide au service traiteur et voit ses parents y
engloutir tout leur temps.
Et puis, il y a l'attrait pour la gastronomie. "Le Louis XV, c'était un objectif.
J'apprécie de pouvoir travailler de beaux produits, avec des moyens confortables. Je
découvre la culture de la Provence, l'huile d'olive, par exemple." De
retour dans la cuisine de son père, le fils apporte sa petite touche à la carte. "Mon
père me demande mon avis, on fait de nouveaux mélanges, dans la mesure où on sait que
l'on va pouvoir les vendre. Par exemple, il accompagne maintenant son foie gras maison
avec de la figue. Il a introduit l'huile d'olive dans sa cuisine, amélioré les finitions
à l'assiette", explique Benjamin. Après la rénovation de l'établissement
familial, des assiettes à pain sont apparues sur les tables. "Tout ce que je dis,
c'est pour mon père, jamais contre."
Pas tout de suite
"C'est vrai que nous avons déjà parlé de mon éventuel retour à Tourcoing,
mais toujours très sereinement. Mon père m'a dit qu'il me céderait sa place. Mes
parents sont heureux pour moi, de me voir dans cet univers. Ils sont passionnés et sont
venus manger au Louis XV. Lorsque je remonte dans le Nord, je raconte aussi aux salariés
de mes parents ce que je fais. En fait, je ne me suis jamais posé la question de
reprendre ou non l'affaire. Par contre, je n'ai jamais envisagé que mes parents puissent
la céder". En trois générations, le café-épicerie est devenu un commerce de
boucherie et d'alimentation générale, agrandi d'une salle pour faire traiteur, et
reconverti par Didier et Christine en restaurant.
Assis dans l'un des fauteuils du hall d'entrée de l'Hôtel de Paris, son book noir sur
les genoux, Benjamin Bajeux est au seuil de sa vie professionnelle. S'il met bout à bout
toutes ses aspirations et affections, cela revient à poser : gastronomie + Tourcoing. "Je
pense que dans le Nord et en particulier à Tourcoing, il y a de la place pour un
restaurant gastronomique, conclue Benjamin Bajeux, et que cela pourrait être
envisageable pour moi". Mais pas tout de suite. n zzz18p
Parcours è Le Louis XV, Alain Ducasse à
Monaco (depuis décembre 2001) |
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L'Hôtellerie Restauration n° 2798 Magazine 5 Décembre 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE