'Totally over' (complètement fini), 'A wrong turn' (un mauvais virage), le Los Angeles Times fustige les food trucks (camions cantines) avec la mauvaise humeur d'un amoureux éconduit. Pour comprendre le désamour de la presse californienne envers ce type de restauration qu'elle encensait quelques mois auparavant, il s'agit de revenir sur les racines du phénomène né en Californie au lendemain de la crise des subprimes. Confrontés à la démission des banques, des cuisiniers trouvent le moyen d'exercer leur métier en embarquant, à moindre frais, leur cuisine à bord de camions aménagés en restaurant. Jusque-là rien de nouveau si ce n'est que les prestations sont de qualité et que les clients guettent sur les réseaux sociaux, l'itinéraire de leur cantine préférée.
Un espace public français peu accueillant
Buzz sur internet, nomadisme gastronomique, le phénomène explose jusqu'au sacre en 2009 du camion Kogi BBQ dont le chef Roy Choi obtiendra le titre de chef de l'année avec sa cuisine coréenne. Dès lors, bien des opportunistes investissent parking et bords de plages alors que de grandes marques commerciales usent et abusent du phénomène pour des opérations de communication. Le constat d'une partie de la presse californienne tombe alors comme un couperet : la fraîcheur des premiers chefs camionneurs se serait noyée sous une vague d'affairistes sans scrupule. Qu'en est-il du côté de la France ?
"Aux USA, l'espace urbain est immense et les autorisations administratives faciles à obtenir. Ce n'est pas demain que l'on verra en France, 20 camions débarqués sur un terrain de basket transformé pour l'occasion en food hall", s'amuse, désarmant de gentillesse, Jordan Feilders du Cantine California, un food truck arrivé dans la capitale en mars dernier. "Préfecture, ville de Paris, autorité portuaire, on pourrait passer ses journées à demander des autorisations", s'agace Henri Guittet, un ancien ingénieur en stratégie reconverti à 35 ans dans les crèmes glacées dont il fait la promotion à bord d'un vieux Citroën type H qui "évoque le boucher qui va de village en village". Une pression moins prégnante en province selon Julien Moinet qui estime n'avoir jamais eu de difficultés dans le Vaucluse pour garer son camion à sushis même si "c'est souvent sur des marchés".
Offrir un cadre légal à la cuisine de rue
Et même lorsqu'ils sont cantonnés à tirer le frein à main sur les emprises privées, les cuisiniers nomades doivent faire avec les plaintes du voisinage : "Les patrons de brasseries ont vu d'un mauvais oeil notre arrivée au marché St Honoré. Nous leur avons expliqué que nos clients étaient drainés par les réseaux sociaux et que par conséquence on ne prenait pas leur clientèle, on en apportait une nouvelle", explique le pédagogue Jordan Feilders. Offrir un cadre légal à la cuisine de rue et rassurer la restauration sédentaire inquiète de la concurrence et des nuisances supposées (bruit, odeurs…), voilà une mission primordiale à laquelle s'emploie l'association Street food en mouvement présidée par le chef Thierry Marx qui prépare un livre blanc sur le sujet.
Pendant ce temps, le Camion qui fume s'apprête à lancer un deuxième véhicule ; les demandes d'autorisations s'accumulent à l'hôtel de Ville de Paris ; les opérations de communications se multiplient à bord de food trucks (Coca-Cola et sa tournée des plages, Subway, Monop'Street…) ; les entreprises ouvrent leur parking à des camionnettes comme Goody's ou le Réfectoire et les pionniers du secteur comme Julien Moinet sont souvent sollicités par les demandes de conseils de la part de porteurs de projet. En France, le phénomène est en plein ébullition sans pour autant s'afficher à chaque coin de rues et si les crispations administratives auront au moins l'avantage de contraindre les excès dénoncés par le L.A. Times, le prochain test sera de savoir si les Parisiens accepteront de manger en extérieur sur des tables hautes un deuxième hiver. Surtout s'il est rigoureux. Gageons que oui si le menu en vaut la chandelle.
Publié par Francois PONT