Les régions prennent le bouillon

Depuis 2017, les bouillons – restaurants de cuisine populaire française remontant au XIXe siècle – vivent un deuxième âge d’or. Après Paris, où l’on compte une quinzaine d’établissements, cette tendance durable est désormais visible dans les petites et moyennes villes françaises, de Labège à Nancy en passant par Saint-André-les-Vergers. Derrière cette mécanique à succès, le risque de saturation n’est-il pas élevé ? Éléments de réponse.

Publié le 24 mars 2025 à 15:51

Chaque jour, dimanche inclus, c’est le même rituel. De midi à 2 heures du matin. Au pied du 22 boulevard de Clichy, à Pigalle (Paris, XVIIIe), une file d’attente de plusieurs dizaines de mètres s’étire. Cette foule, composée de jeunes, de familles, de touristes et d’habitués, patiente de longues dizaines de minutes avant d’entrer dans le Bouillon Pigalle, restaurant comptant 350 places sur deux étages. Ils savent déjà qu’ils choisiront un classique parmi l’incontournable œuf mayonnaise, la saucisse au couteau, le bœuf bourguignon ou encore le riz au lait. Et ils savent également que leur portefeuille ne sera pas trop rancunier : un menu complet revient à 20 € environ, un prix plus qu’abordable et attirant.

 

Le renouveau des bouillons en France

Ouvert en 2017, l’établissement réalise près de 1 300 couverts par jour et près de 2 000 un jour de week-end. Ce succès colossal a donné des ailes à Pierre et Guillaume Moussié, frères et cofondateurs, qui ont depuis ouvert le Bouillon République et créé le Bouillon Service (vente à emporter). Leur idée de départ ? Remettre la cuisine populaire française au goût du jour, à travers une démarche simple, efficace et économique, et jouer sur les codes des fameux bouillons parisiens du XIXe siècle avec les nappes de papier grainé, les banquettes de skaï rouge et les chaises de bistrot Thonet.

Apparus en 1855 à Paris grâce à Pierre-Louis Duval, ces bouillons ont été les premiers à permettre aux classes moyennes de l’époque de se rendre au restaurant. En 1900, leur nombre a culminé à 250, avant de décliner progressivement avec l’avènement des brasseries. Durant tout le XXe siècle, seules les institutions parisiennes du genre – le Bouillon Chartier et ses 50 millions de repas servis depuis 1896, le Bouillon Julien et le Bouillon Racine – ont résisté aux modes gastronomiques.

 

Les (trois) clés du succès des bouillons contemporains

Depuis cinq ans, le développement des bouillons connaît un essor fulgurant à l’échelle nationale. Ces derniers mois, plus d’une dizaine d’ouvertures ont été enregistrées, principalement dans des petites et moyennes villes. C’est le cas en périphérie toulousaine où, mi-janvier 2025, Thomas Fantini (groupe Maison Pergo) s’est lancé dans l’aventure, avec deux établissements regroupés sous la bannière Les Bouillons toulousains. “Ces ouvertures sont le fruit de sept mois de réflexion, combinant analyse, étude des prix moyens et travail approfondi avec nos producteurs. Nous ne voulions pas simplement jouer sur un nom, mais proposer une offre pertinente et authentique”, affirme le chef d’entreprise.

La recette du succès d’un bouillon repose sur trois critères déterminants : l’accessibilité tarifaire, l’authenticité culinaire et la convivialité d’un service rappelant les bistrots d’antan. Faciles à énoncer, ces conditions sont plus difficiles à mettre en œuvre à moyen et long termes. “Il est extrêmement difficile de maintenir des prix très bas tout en garantissant une qualité irréprochable. Nous avons mis en place une gestion rigoureuse des achats en centralisant nos approvisionnements et en trouvant des accords avec nos partenaires pour préserver l’équilibre économique du concept”, décrypte Thomas Fantini, qui réalise près 150 couverts par jour – pour un ticket moyen autour de 20 € HT – au sein de son établissement à Labège, au bout du premier mois d’ouverture.

 

Des risques de saturation et de dénaturation ?

Malgré ce développement express, quelques nuages planent. Autour de qualité des plats, en premier lieu, où des clients expriment parfois des déceptions (“manque de saveurs”, “plats froids ou trop cuits”) sur le web et à la sortie des restaurants. En cuisine et en salle, la gestion d’un tel volume de couverts requiert une organisation très efficace, de l’amont (achat et approvisionnement de produits de qualité) à l’aval (préparation optimisée, rapidité d’exécution).

L’autre point d’interrogation, c’est la notion d’authenticité. Certaines adresses semblent jouer sur l’étiquette bouillon tout en proposant des recettes loin de leur ADN comme le croque-monsieur, l’aubergine farcie au boulgour ou le burger-frites… Pas de cela au sein des Bouillons toulousains, “même si nous nous sommes posé la question en composant la carte. Nous restons très vigilants quant à la cohérence de notre offre”.

À l’heure où les clients font plus que jamais attention à leurs finances et apprécient de pouvoir bien manger sans dépasser leur budget, tout porte à croire que les régions vont continuer à prendre le bouillon, à condition de respecter leur essence. “Il ne faut pas dénaturer ce concept historique et préserver ce qui fait le charme et l’unicité des bouillons”, conclut Thomas Fantini. Pierre-Louis Duval n’aurait pas souhaité mieux.


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Publié par Stéphane POCIDALO



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