Que représente pour vous cette deuxième étoile Michelin ?
Jonathan Wahid : C’est une consécration. Les étoiles, ça se mérite, et nous sommes fiers d’avoir construit cette maison de nos mains, sans investisseur. Nous sommes libres, mais cela a un coût. On est passés de l’ombre à la lumière en 2017 avec la première étoile, ça nous a permis de franchir un cap et de pouvoir continuer à rénover les lieux. Aujourd’hui, on sent que la maison a mûri, et cette nouvelle distinction arrive au bon moment. C’est une maison familiale qui a de l’ambition.
Fanny Rey : On travaille main dans la main avec une équipe formidable. Cette réussite, c’est celle de toute une maison, de la cuisine à la salle.
Comment définiriez-vous votre cuisine ?
F. R. : Elle est essentiellement végétale, très peu grasse. Je m’inspire beaucoup de la nature, des cueillettes sauvages, des algues, de l’iode. Nous avons créé le dôme d’assaisonnement, travaillé à partir de torréfaction, de compression, de déshydrations, qu’on a fait avec les oligo-éléments qu’on récupère sur nos algues. La nature est notre première source d’inspiration, notre terroir nous aide à faire grandir nos créations. Tout est question d’association, de fraîcheur. Les légumes me passionnent, comme en ce moment les asperges, les petits pois… Je suis toujours dans l’attente de la prochaine saison.
Quels produits ou terroirs vous inspirent particulièrement ?
F. R. : Le végétal reste mon socle. Un souvenir fort : la tomate farcie de ma mère, qu’elle me préparait quand je revenais le weekend pendant mon apprentissage. J’en ai fait une version végétale, avec la green zebra, acidulée à souhait. Je cherche toujours à retranscrire une émotion, à créer un assaisonnement puissant et surprenant à partir de produits simples.
Votre parcours est marqué par votre complémentarité. Comment travaillez-vous ensemble au quotidien ?
J. W. : On s’est rencontrés au Ritz. Au départ, c’était juste pour boire un verre. C’est ici qu’on a réellement travaillé côte à côte. On est très complémentaires, on se comprend vite. Chacun a ses missions : moi plus sur l’administratif, Fanny sur la cuisine. Et le dimanche, c’est cueillette en duo. Nous sommes cimentés par notre vie de famille, nos enfants.
F. R. : Cette répartition naturelle nous permet d’avancer sereinement. À chacun son rôle et ses responsabilités.
Quelles évolutions vous ont permis d’atteindre ce niveau ?
F. R. : Je me suis lancée pleinement dans ma cuisine ici, il y a douze ans. J’expérimente tous les jours, même si tout n’aboutit pas. Je me suis rapprochée de mon territoire, de ses producteurs. L’humain est au cœur de ma réflexion. Ce que je crée naît souvent d’un échange. Je suis aussi très curieuse. Je n’ai pas sur ma table de chevet des livres de cuisine mais je suis fascinée par la nature, la peinture, la liberté d’imagination. Il y a des créations qui ont mis des années à voir le jour, des créations qui sont plus rapides. En hiver j’ai créé la Saint-Jacques pince à linge. Je voulais cuire ce coquillage à l’étouffé, dans son plus pur appareil, pour respecter le produit. Il fallait refermer cette coquille et en faisant mes courses j’ai vu des pinces à linge en bois et je me suis dit que c’était ça !
Quelle expérience cherchez-vous à offrir à vos clients ?
F. R. : Nous voulons être une maison chaleureuse. Nous n’avons que dix chambres, cela nous permet d’être proches de nos clients. La cuisine est ouverte, je les accueille au pass avec la première création. C’est notre façon de dire “bienvenue à la maison”.
Comment votre engagement pour la durabilité se traduit-il ?
F. R. : Travailler en circuit court, soutenir l’artisanat local, éviter le gaspillage… C’est une évidence pour nous. Je recycle tout : farines de légumes, œufs de poisson transformés en poutargue… J’ai une “boîte à magie” où chaque reste devient un potentiel. Je prépare un jus – intensité maraîchère – qui prend quatre jours à cuire. Donner autant d’importance au végétal qu’à l’animal, c’est aussi ça, le sens de mon travail. Pour un chef, travailler avec la nature dans toute sa grandeur et toute sa beauté, c’est énorme.
Un conseil pour les jeunes chefs ?
J. W. : Travailler dur, ne rien lâcher et, surtout, construire sa propre identité. Cela prend du temps, mais c’est comme ça qu’on écrit son histoire.
Vous êtes aussi hôteliers…
J. W. : C’est magnifique, l’hôtellerie est complémentaire. Elle prolonge l’expérience. Les petits déjeuners sont préparés par Fanny. C’est une expérience globale que de rester dormir. Et ça évite aussi aux clients de reprendre la route le soir. On a rénové toutes les chambres. L’idée, c’est de créer une vraie destination, où l’on peut tout vivre sur place, sans avoir à repartir.
Fanny, vous allez recevoir la Légion d’honneur. Que représente cette distinction ?
F. R. : C’est un honneur immense. En plus, la recevoir dans les arènes de Nîmes, des mains des militaires, c’est très symbolique. Ce sont des métiers exigeants, où il faut se dépasser. J’espère que cela encouragera d’autres femmes à croire en leur talent.

Publié par Romy CARRERE