“La vraie menace, ce n’est pas le changement, c’est l’immobilisme”, insiste Alain Ducasse en conclusion de deux tables rondes organisées, le 7 avril au Hangar Y à Meudon (Hauts-de-Seine) par Teritoria, à l’occasion de son traditionnel déjeuner des chefs. Car pour fêter son demi-siècle d’existence, le réseau lancé par le chef multi-étoilé en 1975 sous le nom de Châteaux & Hôtels indépendants a choisi d'explorer les défis qui attendent le secteur dans les vingt-cinq années à venir.
"Que cuisinera-t-on en 2050 ?”, s’interroge Carole Pourchet, directrice générale de Majorian, maison-mère de Teritoria. Et quel sera l’impact du réchauffement climatique et des innovations technologiques sur le quotidien des chefs ? L'objectif n’est pas de prédire l'avenir, explique la dirigeante, mais "d'être attentif aux changements, aux innovations [...] pour s'y préparer au mieux". Pour répondre à cette question, une première table ronde réunissait François Blouin, fondateur de Food Service Vision, Romain Chayot, fondateur de Standing Ovation, et Clément Ory, expert agroalimentaire pour Carbone 4. Ce dernier a dressé un constat sans appel : "Nous vivrons en 2050 dans un monde déréglé", avec une augmentation des températures estimée à 3 °C par rapport à l'ère préindustrielle, contre 1,7 °C actuellement, et des conséquences inévitables sur l'agriculture, donc les approvisionnements.
Face aux pénuries futures, il faudra donc se tourner vers de nouveaux modes de consommation et de nouveaux aliments. À l'horizon 2027, le lait – dont la consommation augmente alors que la production nationale recule – viendra à manquer, ce qui obligera la France à se tourner vers l’importation. Romain Chayot a présenté les solutions développées par son entreprise, spécialisée dans la fermentation de précision, pour produire des ferments lactiques et de la caséine, "avec 94 % de carbone et 90 % d'eau en moins", a-t-il expliqué. Mais encore faudra-t-il que ces nouvelles solutions soient acceptées par les chefs et par leurs clients. La communication jouera un rôle essentiel pour y parvenir, estime François Blouin. Les menus devront également se structurer en fonction des attentes de la clientèle. Si celles-ci privilégient aujourd’hui sur le local, le respect du bien-être animal et un attrait croissant pour le végétal, il est impossible de prévoir ce qu’il en sera demain.
Automatisation et IA en cuisine
Autre interrogation sur l'avenir du métier de chef, quel sera l'impact des innovations technologiques en restauration ? Pour y répondre, la seconde table ronde accueillait Elise Masurel, fondatrice de l’école Catalyst.AI Academy, et Philippe Zavattiero, président Food & Beverage Preparation chez Electrolux Professional. Pour 2050, trois axes de recherche se dégagent, détaille le spécialiste de l’équipement : l'économie d'énergie, les gains de productivité et l'ergonomie. Écartant la généralisation de robots et autres bras articulés en cuisine, Philippe Zavattiero estime que la modernisation sera portée par l’automatisation des process, permettant aux chefs de garantir la régularité dans l’assiette. Il mise également sur le perfectionnement de l'induction, afin de se libérer du gaz, et rève d'un système de plonge plus économe en eau, voire s'en passant totalement.
Mais en 2050, le changement en cuisine ne sera pas uniquement technique : Elise Masurel a souligné le potentiel de l'intelligence artificielle pour les professionnels du secteur : "L'IA permet un gain de temps sur les tâches administratives et répétitives", avec des applications concrètes dans les ressources humaines, le marketing, l’optimisation des achats ou encore la personnalisation de l'expérience client.
Équilibre et adaptation : la voie de l'avenir
Dans un monde où rien n‘est jamais certain, Xavier Alberti, président de Majorian, a invité les professionnels à "réfléchir, tester, se poser les bonnes questions" face aux changements. Il s’agit de “tracer son propre chemin en recherchant en permanence un équilibre”, capable de garantir la performance et la durabilité de son restaurant, son impact sur l’environnement et le respect de ses engagements.
Concluant sur une note d'optimisme prudent, Alain Ducasse a estimé qu'"anticiper la gastronomie du futur, c'est refuser de la subir’ et que l'échec est "moins grave que le refus de changer". Le chef - qui a axé sa cuisine vers la naturalité et le végétal depuis plus de dix ans - continue de militer pour “moins de protéine animale, mais de meilleure qualité”. Et d'insister : celle-ci doit être “bonne à penser, bonne à manger, bonne pour la santé, bonne pour la planète. Car si on se nourrit mieux, la planète s’en portera mieux”.

Publié par Roselyne DOUILLET