L'indemnité d'éviction (1/2)

Qui doit payer l'indemnité d'éviction ? Et existe-t-il des exceptions à l'obligation de régler cette indemnité ?

Publié le 18 novembre 2024 à 11:00

► Qui doit l’indemnité d’éviction ?

Le bailleur de locaux loués à un commerçant peut donner congé à son locataire dans les 6 mois avant la fin du contrat. Le locataire peut aussi demander un renouvellement du bail 6 mois avant son expiration ou après.

Le bailleur peut donc accepter le renouvellement du bail ou le refuser dans les 3 mois à partir de la demande de renouvellement. Sauf s’il accepte le renouvellement, le bailleur doit alors en principe verser une indemnité d’éviction à son locataire.

Un arrêt récent de la Cour de Cassation du 11 janvier 2024 précise que si le bailleur envoie un congé à son locataire avec une offre de renouvellement de bail comportant des clauses et conditions différentes du précédant bail hors le prix, par exemple modification de contenance des lieux et des obligations d’entretien du locataire, il doit s’analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit pour le locataire à une indemnité d’éviction (Cass 3e civ ; 11 janvier 2024, n°22-20-872). Cette solution vaut, même si le locataire s’est maintenu dans les lieux après le congé.

Le bailleur, lorsqu’il délivre un congé à son locataire, doit donc proposer les mêmes conditions que le bail précédent, sauf le prix s’il entend le voir augmenté.

Dans le cas d’un démembrement de propriété, seul l’usufruitier, qui a la qualité de bailleur, a la charge de l’indemnité d’éviction et peut mettre fin au bail (article L145-14 du code de commerce).

Si l’usufruitier ne peut consentir un bail commercial ou le renouveler sans l’accord du nu-propriétaire, il peut y mettre fin à bail sans lui : l’usufruitier a seul les qualités de bailleur dont il assume toutes les obligations à l’égard du preneur. L’indemnité d’éviction est à la seule charge des usufruitiers (Cass 3e Civ, 19 décembre 2019, n° 18-26.162).

 

► Existe-t-il des exceptions à l’obligation de payer l’indemnité d’éviction ?

Il y a 3 exceptions à cette obligation.

1. Le bailleur peut justifier d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire : par exemple, une infraction au bail suffisamment importante : retard important ou défaut de paiement des loyers, conclusion d’une sous-location sans l’accord du bailleur, conclusion d’un contrat de location-gérance, travaux importants non autorisés par le bailleur.

Il appartient au bailleur de prouver le manquement du locataire, par exemple que ce dernier a réalisé des travaux sans son autorisation (Cour de d’appel de Versailles, 12e ch. 5 janvier 2023).

Il peut s’agir aussi du fait que le locataire n’est plus immatriculé au RSC ou n’exploite plus le fonds de commerce.

S’il n’y a pas de motif grave et légitime, cela n’annule pas le congé ou le refus de renouvellement. Le bailleur a dans ce cas l’obligation de payer l’indemnité d’éviction à son locataire.

De même, le locataire commerçant a droit à une indemnité d’éviction si le bailleur ne lui a pas notifié par acte d’huissier une mise en demeure préalable au refus de renouvellement. Cette mise en demeure, qui donne au locataire un délai d’un mois pour régulariser la situation, peut être notifiée jusqu’au jour du congé du bailleur, et dans le même acte que le congé. Le fait d’avoir attendu deux ans après le refus de renouvellement pour adresser une mise en demeure a donné le droit au locataire à une indemnité d’éviction (Cour de Cassation (3e ch. civile, 21 mai 1970).

Cette mise en demeure devra lui demander de mettre fin aux infractions au bail (défaut de paiement des loyers, défaut de jouissance des lieux en bon père de famille, à savoir, défaut d’entretien).

Une absence de mise en demeure totale (ou nulle pour vice de forme) ne suffit pas à entraîner la nullité du congé, mais ouvre le droit au locataire à percevoir une indemnité d’éviction de la part de son bailleur (Cour d’appel de Rennes 11 mai 2022, n° 18/07816).

 

2. L’immeuble est déclaré insalubre par l’autorité administrative et doit être totalement ou partiellement démoli, ou s’il est établi que l’immeuble ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état.

Attention : si le bailleur notifie à son locataire un congé avec refus de renouvellement accompagné d’une offre d’indemnité d’éviction mais qu’ensuite les locaux sont détruits par incendie et ne peuvent donc plus être utilisés, le commerçant ne peut plus demander paiement de l’indemnité d’éviction (articles 1722 et1741 du Code civil). Est assimilée à la perte totale de la chose louée, l'impossibilité absolue et définitive de l’utiliser conformément à sa destination ou la nécessité d'effectuer des travaux dont le coût excède sa valeur (CA Paris, 13 mai 2020, n° 18/20097).

 

3. Le bailleur a l’intention d’habiter les locaux d’habitation accessoires au commerce ou de réaffecter les locaux en locaux à usage d’habitation, ou de construire un local d’habitation sur un terrain nu. Il s’agit d’un droit de reprise.

Il y a une condition : le bénéficiaire de la reprise ne dispose pas d'une habitation correspondant à ses besoins normaux et à ceux des membres de sa famille vivant habituellement ou domiciliés avec lui.

Toutefois, la reprise ne peut être exercée sur des locaux affectés à usage d'hôtel ou de location en meublé.

Il en est de même si la reprise de la partie habitation des locaux commerciaux apporte un trouble grave à l'exploitation du fonds ou lorsque les locaux commerciaux et les locaux d'habitation forment un tout indivisible.

Lorsque l'immeuble a été acquis à titre onéreux, le bailleur doit avoir acquis les locaux au moins 6 ans avant le refus de renouvellement.

Bien sûr, en cas de reprise partielle, le loyer sera diminué d’autant du fait de la suppression de la partie habitation.

Le bénéficiaire de la reprise doit occuper personnellement les lieux dans un délai de six mois à dater du départ du locataire évincé et pendant une durée minimum de six ans, faute de quoi le locataire évincé a droit à une indemnité d'éviction (sauf motif légitime)

 

► Le locataire commercial doit-il quitter les locaux alors que l’indemnité d’éviction n’a pas été versée ?

Deux hypothèses sont à distinguer (en dehors des trois exceptions ci-dessus) :

- le bailleur offre une indemnité d’éviction ;

- le bailleur n’offre pas d’indemnité d’éviction.

Dans les deux cas, le locataire qui a le droit à une indemnité d’éviction peut se maintenir dans les lieux et n’en partir qu’après versement de cette indemnité par le bailleur.

Il lui est même très conseillé de n’en partir qu’après le versement de cette indemnité. S’il quitte les lieux avant d’avoir perçu cette indemnité, il pourra avoir des difficultés à la récupérer et voir même le bailleur relouer ses locaux.

Cependant, même si cela présente davantage de risque, le locataire peut, s’il le souhaite, quitter les lieux à la date indiquée dans le congé. Cela ne l’empêchera pas d’obtenir l’indemnité par la suite.

S’il quitte volontairement les lieux, l’évaluation de son préjudice sera évaluée à la date de ce départ, et non postérieurement (Cass. 3e civ. 14-3-2019 n° 18-11.991 F-D).

Le commerçant doit être vigilant car il a deux ans à partir de la date pour laquelle le congé a été donné par le bailleur pour réclamer le paiement de l’indemnité d’éviction. Il devra donc saisir le tribunal dans ce délai.

Si le bailleur a saisi le tribunal en premier pour voir valider un congé sans paiement d’indemnité d’éviction, le locataire peut alors contester le congé et réclamer l’indemnité d’éviction dans cette même procédure. Le commerçant économise alors les frais d’une autre procédure. La seule condition est pour lui de respecter le délai de deux ans (Ccass. 3e civ. 7 février 2019, n° 17-31.807).

Le bailleur a 2 ans pour saisir le juge s’il veut faire valider le congé, à compter de la date à laquelle il l’a délivré.

L’action du bailleur pour voir juger de l’absence d’indemnité d’éviction pour motif grave et légitime court à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de l’infraction au bail commise par le locataire.

Ainsi, le bailleur doit payer une indemnité d’éviction dans le cas où il a donné congé avec refus de renouvellement au locataire commercial qui avait vendu le fonds de commerce 9 ans avant sans l’en informer, car le bailleur a saisi le juge plus de 2 ans après qu’il ait eu connaissance de ladite vente (Cour d'appel de Chambéry, 1re chambre, arrêt du 15 octobre 2019, RG nº 18/00398. En l’espèce le vendeur avait notifié au bailleur le projet de cession de fonds de commerce et le nouveau locataire payait ses loyers directement au bailleur depuis 9 ans).

Une fois l'indemnité d'éviction versée au commerçant locataire, les lieux doivent être remis au bailleur à l'expiration d'un délai de 3 mois (article L145-29 du code de commerce).

Du côté du bailleur, il est plus prudent de demander au juge de faire séquestrer l’indemnité ou une partie, notamment si le locataire a des dettes vis-à-vis de lui (indemnité d’occupation, réparations locatives…) ou de tiers (impôts...) impayées lors de sa sortie. Sinon, ces sommes seront la plupart du temps plus difficiles à récupérer.

Les commerçants ont donc intérêt à payer leurs dettes auprès de leurs créanciers avant de demander le paiement d’une indemnité d’éviction et à le justifier auprès du bailleur, afin d’éviter que l’indemnité soit séquestrée pendant plusieurs mois en attendant l’apurement complet des dettes.

À compter du congé (ou refus de renouvellement) du bail et en attendant la fixation et le versement de l'indemnité d'éviction, le locataire qui reste dans les lieux n'est plus débiteur de loyers, mais d’une indemnité d'occupation.

Le montant de cette indemnité d’occupation correspond à la valeur indiquée dans le contrat de bail, et le plus souvent la valeur locative des lieux, et non pas au montant du dernier loyer dû (Ccass. 3e civ. 13 décembre 2018, n° 17-28.055).

Lorsque le locataire se maintient dans les lieux jusqu’au versement de l’indemnité d’éviction, le bailleur reste tenu de son obligation de lui délivrer des locaux conformes, sinon, il est tenu d’en réparer les conséquences (Cass. 3e civ., 28 nov. 2019, n 18-8862).

Le locataire peut obtenir du bailleur la réparation ou des dommages-intérêts pour les préjudices subis du fait du manquement à son obligation de délivrance (Cour d’appel de Paris, pôle, chambre 3, 30/11/2022). En l’espèce, défaut d’accès à la cave pendant 26 ans et dégâts des eaux successifs en provenance de l’appartement au-dessus du local commercial, appartenant aussi au propriétaire, pendant quatre ans.

Enfin, seule la remise effective des clés au propriétaire des locaux, ou la preuve que celui-ci a refusé de les recevoir vaut libération effective des locaux commerciaux (Cass. 3e civ., 3 déc. 2020, n° 19-22.443).

 



Questions
Photo

En cliquant sur publier vous acceptez les [conditions générales d'utilisation]

Voir notre Politique des données personnelles