“Ce fut la plus belle partie de ma carrière”, clame avec nostalgie Claude Lacroix. Ce sexagénaire a fait toute sa carrière dans l’hôtellerie et la restauration, en particulier à l’Auberge du Père Bise à Talloires (Haute-Savoie) où il est entré en 1981 pour passer maître d’hôtel en 1997. “En 2016, madame Bise vend l’affaire dans le plus grand secret. La rumeur courait pourtant et inspirait beaucoup de stress, en particulier auprès des personnes en CDI. Certains avaient obtenu avec le temps des avantages, des privilèges, de mauvaises habitudes qu’ils redoutaient de perdre”, explique l’hôtelier qui s’est alors affirmé comme le lien entre l’ancienne administration et la nouvelle. “J’étais très adaptable. L’arrivée de Jean Sulpice a été une aubaine. J’étais valorisé, car j’avais rejoint la réception après être passé à tous les postes. J’étais proche des clients et ouvert aux changements. Pour d’autres, ce fut l’enfer. Le chef pâtissier a fait un burnv out face à des demandes de créations nouvelles. L’écrémage de l’équipe s’est faite en cinq mois. Je me sentais utile car je maîtrisais les techniques hôtelières alors que les Sulpice étaient des restaurateurs de Val-Thorens. J’ai accompagné les clients dans de nouvelles habitudes. Ils ont fait preuve de beaucoup de délicatesse à mon égard. J’ai même été épinglé de la médaille du travail avec une petite réception à l’auberge”, résume le désormais jeune retraité.
Un nouveau patron et tout change
“Lors de la reprise d’une affaire, le nouveau propriétaire a l’obligation de conserver le personnel. C’est une sorte de prédicat qui n’exclut pas le départ des employés par la suite. Cependant, il n’est pas rare dans la profession de voir d’anciens employés, sorte de meubles devenus indispensables, parvenir à traverser des successions de repreneurs tant ils représentent l’âme d’un lieu. Et puis une reprise, c’est l’occasion de se voir augmenter”, envisage Alain Fontaine, président de l’Association française des Maîtres restaurateurs. “On voit passer des profils lassés par des changements de direction intempestifs. On constate aussi une frustration chez des employés qui regrettent de ne pas être promus lorsque la direction change. Ils peuvent alors rester dans l’entreprise par dépit”, observe Alain Jacob, du cabinet de chasseurs de têtes AJ Conseil. Pour Patricia Massieu, il y a un peu de tout ça. Elle a quitté une célèbre brasserie parisienne en raison d’un changement de patron. “Le nouveau gérant ne voulait plus que l’on fasse la bise aux clients, qu’on les tutoie. Il a durci les règles pour nous faire partir”, croit savoir cette Compagnonne du Beaujolais à la forte personnalité. Elle rejoint alors le Bourgogne-Sud où le patron change aussi peu de temps après son arrivée. Mais cette fois, elle reste ! “Le nouveau propriétaire se présente à nous mais parle peu. Il maintient nos horaires. Il nous observe. Ensuite, il nous donnera sa confiance. Ce changement a été un véritable tremplin pour moi avec de nouvelles tâches valorisantes et une augmentation de salaire. Je m’occupe des groupes, des stocks, des choix de vins et de visiter parfois les vignerons”, s’enchante Patricia Massieu. “Les employés qui restent toute une carrière dans le même restaurant comme à l’usine, cela devient rare. À Paris surtout”, conclut Nicolas Decatoire, du Gavroche à Paris (IIe).
Publié par Francois PONT