L'indemnité d'éviction (2/2)

Comment le montant d'une indemnité d'éviction est-il déterminé ? Et qu'est-ce que l'indemnité de remplacement ?

Publié le 18 décembre 2024 à 10:09

► Le montant de l’indemnité d’éviction

Il est issu d’une négociation entre le bailleur et le locataire. À défaut d’accord, son montant est fixé par le tribunal, après avoir le plus souvent désigné un expert judiciaire aux frais du bailleur, du locataire ou des deux.

Que ce soit en négociation ou devant un tribunal, il est toujours conseillé d’avoir recours, même si cela engendre des frais, à des experts amiables qui détermineront, avec l’aide des avocats, le montant de l’indemnité d’éviction.

Cette expertise amiable permettra au locataire et au bailleur de négocier, et en cas d’échec, elle servira également à la désignation d’un expert judiciaire et à la valorisation de l’indemnité par ce dernier, ce qui déterminera le tribunal.

·      • Comment et quand est fixé le montant ?

L’indemnité d’éviction est calculée en fonction des résultats financiers du locataire, de son activité ou encore de son emplacement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutations impayés (sauf préjudice moindre du locataire).

Elle est évaluée au jour du départ effectif du locataire ou à la date de la décision du juge, si le locataire s’y trouve encore.

Il existe deux types d’indemnité d’éviction : l’indemnité de remplacement et l’indemnité de déplacement-transfert. Il s’agit de l’une ou de l’autre mais, en tout état de cause, les deux ne sont pas versées ensemble.

·      • Qu’est-ce que l’indemnité de remplacement ?

L’indemnité de remplacement compense le préjudice lié à la perte par le commerçant locataire de son fonds de commerce.

Elle est égale à sa valeur (fixée suivant les usages de la profession) et permet au locataire d’acquérir un nouveau fonds de valeur identique.

Pour évaluer la valeur du fonds de commerce, les juges choisissent la méthode qui leur semble la plus adaptée.

- Méthode du chiffre d’affaires moyen : chiffre d’affaires moyen HT des trois derniers exercices auquel on applique un coefficient (pour l’application du coefficient multiplicateur qui peut être de 1 à 4 fois, les juges décident souverainement).

Exemple : un propriétaire d’hôtel 1 étoile dans le IVe arrondissement de Paris a obtenu une indemnité d’éviction égale à 3,5 fois le chiffre d’affaires moyen HT des trois derniers exercices, soit la somme de 1 459 535 € (3,5 × 417 010), compte-tenu de l’excellence de l’emplacement et des possibilités de rénovation de l’hôtel.

- Méthode du pourcentage du chiffre d’affaires : elle permet d’appliquer un pourcentage du chiffre d’affaires selon la nature et les bilans du commerce, la commercialité du quartier, le secteur géographique.

Ainsi, une indemnité pourra être égale à 110 % du chiffre d’affaires, 125 % ou 200 % par exemple.

- Méthode de l’excédent brut d’exploitation (EBE). L’EBE est le solde du compte d’exploitation au bilan.

Cette méthode de calcul est basée sur le chiffre d’affaires de l’année précédente multiplié par un coefficient (exemple : 2). On applique ainsi un coefficient déterminé par le juge (après avis d’expert la plupart du temps). Exemple : si un hôtel est proche d’une gare parisienne et est très rentable, il pourra s’agir d’un coefficient égal 6 fois le chiffre d’affaires.

Suite à l’application de ce coefficient au chiffre d’affaires de l’exercice précédent, il conviendra de retirer l’EBE, en tenant compte du loyer que le locataire aurait dû acquitter en cas de renouvellement.

- Méthode du différentiel de loyer : c’est le différentiel entre le loyer en cours et celui qui serait applicable en cas de signature d’un nouveau bail pour un nouvel occupant des mêmes locaux. Par cette méthode, il est possible d’obtenir une indemnité d’éviction basée sur la réalité locative, mais non sur les bilans du commerce visé.

On appliquera un coefficient à cette différence (pour l’application du coefficient multiplicateur, les juges décident souverainement : l’évaluation peut passer du simple au quadruple).

·    • Qu’est-ce que l’indemnité de déplacement ?

Lorsque la clientèle est liée à la personne du commerçant qui peut se réinstaller à côté sans la perdre ou en la perdant partiellement, il lui sera versé une indemnité de déplacement. Elle est donc moindre que l’indemnité de remplacement.

L’indemnité de déplacement-transfert est composée des frais de transfert et d’installation du locataire dans les nouveaux locaux, de la valeur du droit au bail de l’ancien local et éventuellement du coût d’un nouveau pas-de-porte.

Pour évaluer ces éléments, la pratique courante est la méthode du différentiel de loyer, entre celui en cours et celui qui serait applicable en cas de signature d’un nouveau bail dans les mêmes locaux pour un nouvel occupant. Il sera appliqué aussi un coefficient à cette différence.

Exemple : une propriétaire d’un fonds de restauration rapide et de sandwicherie dans le Ve arrondissement de Paris a obtenu une indemnité d’éviction égale à 5,5 fois la différence entre les deux loyers (loyer d’un nouveau bail au prix du marché à 15 400 € - loyer en cours à 11 550 € = 3 850 €) soit la somme de 21 175 € (5,5 × 3 850).

Le secteur de l’hôtellerie-restauration bénéficie de règles particulières de calcul de l’indemnité d’éviction (multiple de la recette journalière pour les cafés afin de tenir compte de la réalité de l’activité, pourcentage du chiffre d’affaires pour les restaurants et les hôtels…).

La Cour de cassation a estimé que la valeur du droit au bail perdu doit être prise en compte pour le calcul de l’indemnité d’éviction, et ce même si le locataire a trouvé de nouveaux locaux (Ccass. 3e civ. 28 mars 2019, n° 18-11.739).

Le locataire évincé a donc intérêt à être assisté par un avocat spécialisé en transactions commerciales.

 

·     ► Quelles sont les indemnités accessoires ?

Des indemnités accessoires particulières viennent s’ajouter à l’indemnité de remplacement ou de déplacement-transfert. Il s’agit par exemple :

- des frais de déménagement et de réinstallation (s’il s’agit d’une indemnité de déplacement-transfert) ;

- des droits de mutation (notaire) liés à l’achat du nouveau fonds ;

- d’indemnités de licenciement dues aux salariés si l’éviction entraîne leur licenciement ;

- d’une indemnité pour perte de logement quand le bail comporte des locaux d’habitation accessoires au restaurant ou à l’hôtel ;

- des frais liés au paiement d’indemnités de résiliation de contrats ;

- d’une compensation du préjudice lié à la perte d’activités accessoires (par exemple la vente de tabac dans un débit de boissons) ;

- des frais de réemploi (commissions d’agence immobilière pour trouver un nouveau local) ;

- d’une indemnité de trouble commercial (perte d’image, détournement de la clientèle, stratégie commerciale troublée…).

Le commerce pourra obtenir des indemnités de réemploi pour trouble commercial et pour frais de déménagement s’il s’est réinstallé ailleurs.

Si des aménagements et équipements nécessaires à l’exploitation du fonds dans le local ont été réalisés, leur valeur doit être prise en compte pour le calcul de l’indemnité d’éviction, et ce même si une clause du bail prévoit qu’ils restent la propriété du bailleur sans indemnité pour le locataire (Ccass. 3e civ. 13 septembre 2018 n° 16-26.049).

Les éléments pris en compte pour l’évaluation de l’indemnité d’éviction sont restreints aux préjudices subis par le locataire, et n’incluent pas les éventuels frais de déménagement liés à une sous-location.

Par exemple, un bailleur délivre à son locataire commerçant un congé avec refus de renouvellement du bail et offre une indemnité d’éviction. Le bailleur rétracte ensuite l’offre d’indemnité d’éviction au motif que son locataire a sous-loué irrégulièrement une partie des locaux. Le locataire demande une indemnité d’éviction évaluée en prenant en compte les frais liés au déménagement de la sous-locataire. Le juge a considéré que l’indemnité d’éviction ne doit pas prendre en compte les frais concernant la sous-locataire, tels que les frais de déménagement ou de communication. Il affirme en ce sens que “l'indemnité d'éviction du preneur sortant ne doit réparer que le préjudice qu'il a subi” (Cass 3e Civ 10 octobre 2019 n° 18-19.662).

 

► Le bailleur peut-il se rétracter ?

Suite à la notification du congé (ou refus de renouvellement) sans offre d’indemnité d’éviction, le bailleur peut se rétracter et finalement proposer le renouvellement du bail aux mêmes conditions ou avec des conditions de loyer différentes, par exemple un loyer augmenté (article L145-58 du code de commerce). Dans ce dernier cas, le débat portera sur les raisons avancées permettant une augmentation (hausse des facteurs locaux de commercialité, ajout d’une activité et modification notable des engagements respectifs des parties…).

Ainsi, le locataire du bail commercial qui reste dans les lieux le temps de la procédure n’est jamais certainde bénéficier du versement de l’indemnité (et ce jusqu’à un délai de 15 jours postérieur à la décision judiciaire passée en force de chose jugée).

Le bailleur peut finalement choisir de renouveler le bail, car par exemple le montant de l’indemnité réclamée ou celle fixée par le tribunal est trop important. Le locataire pourra alors continuer l’exploitation de son fonds de commerce.

Pendant la période intermédiaire entre la date de cessation du bail et la date de son renouvellement, le locataire paiera une indemnité d’occupation. Elle est fixée par référence à la valeur locative, à laquelle les juges appliquent souvent un abattement de 10 à 20 %. Par exemple, si la valeur locative est de 200 000 € HT et HC par an, avec un abattement de précarité est de 10 %, l’indemnité d’occupation sera fixée à 180 000 € HT et HC par an.

Cet abattement de précarité tient compte de l’incertitude économique dans laquelle s’est trouvé le commerçant locataire, sans qu’il soit nécessaire pour lui d’établir l’existence d’un préjudice (Cour d’appel de Rennes 11 mai 2022/ n°18/08341).

Il est conseillé au locataire de solliciter un expert amiable pour évaluer la valeur locative de l’indemnité d’occupation, afin d’éviter les surévaluations, surtout lorsque l’occupation dure longtemps.

Si le bailleur utilise cette faculté de repentir comme un moyen de pression vis-à-vis de son locataire pour tenter d’obtenir un loyer augmenté, ce type de tentative sera voué à l’échec car l’augmentation du loyer suit en principe l’indice en cas de renouvellement du bail.

Enfin, le bailleur ne peut évidemment pas profiter de cette faculté de repentir et devra donc payer l’indemnité d’éviction si le locataire a quitté les lieux (ou s’il l’a avisé qu’il avait loué ou acheté un local destiné à sa réinstallation, cour d'appel d'Angers, 25 juin 2019), même si le locataire a continué à exploiter les lieux jusqu’à la notification du repentir.

Si le bailleur décide d'exercer son droit de repentir et accepte le renouvellement du bail, il ne peut plus demander ni poursuivre la résiliation du bail pour d'anciens manquements du locataire (Ccass. 3e civ. 24 janvier 2019, n° 17-11.010).

Enfin, il est obligatoire et conseillé de déclarer à l’administration fiscale un chiffre d’affaires réel lors du dépôt des comptes car, à défaut, l’indemnité d’éviction risque d’êtretrès basse.


Publié par Sophie Petroussenko, avocat à la Cour de Paris



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