La loi Hamon - loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, applicable depuis le 1er novembre dernier - a instauré une obligation d'information des salariés dans le cadre de la vente d'un fonds de commerce. Stérile, complexe, dangereux. C'est en résumé ce que pensent de nombreux professionnels confrontés à ce nouveau dispositif.
Jean-Jacques Sibon, 59 ans, entrepreneur depuis l'âge de 25 ans, qui vient de céder sa brasserie
"Cette obligation est source de désorganisation et de dégradation de l'ambiance de travail. Elle nous oblige à informer les salariés alors que la cession est sur le point de se faire en externe mais n'est pas encore tout à fait certaine, attente du crédit du repreneur notamment. Elle créé en outre un climat d'incertitude inutile au sein de l'entreprise".
Robert Lachenal, président directeur général du Cabinet Amkeo Corporate Finance
"Le dispositif n'oblige qu'à une information a minima pour les salariés. Comment dans ce cas, les salariés peuvent-ils réellement faire une offre de reprise ? La loi perd donc tout son sens et devient juste une contrainte supplémentaire pour le dirigeant. Par ailleurs, il existe un profond déséquilibre dans les sanctions prévues. Si un dirigeant est accusé de ne pas avoir rempli son obligation d'information des salariés, il risque une annulation de la cession. En revanche, aucune sanction n'est prévue contre un salarié qui ne remplirait pas son obligation de confidentialité. Déconnectés du monde de l'entreprise, [nos politiques] ont finalement fait l'inverse de ce qu'ils souhaitaient et n'ont réussi qu'à complexifier un processus déjà mis en difficulté par la crise et les problèmes d'accès au financement".
Bruno Huard, Cabinet de transaction Michel Simond
"Cette obligation d'information préalable à la cession fragilise l'entreprise car elle déstabilise les salariés et crée le doute sur leur implication dans l'entreprise, leur travail, leur salaire, leur avenir. Ils se trouvent trop tôt face à l'inconnu et cela génère du stress supplémentaire. Pour ceux qui avaient bâti une relation de confiance avec leur employeur, l'information de l'intention de céder, brise cette dimension de confiance. Pour ceux qui ne sont pas en bons termes avec leur employeur, ils ont ici les moyens de l'ennuyer jusqu'au bout. De toute façon, si le chef d'entreprise sait qu'il y a parmi ses collaborateurs un ou plusieurs repreneurs potentiels, il est évident qu'il étudiera cette opportunité en priorité. Cette loi et inutile et contre-productive".
Bernard Robert, Cabinet Century 21 à Toulouges
"Cette loi est contraignante car elle oblige à informer tous les salariés, y compris ceux qui ont le moins de légitimité dans l'entreprise comme les saisonniers, nombreux dans la restauration. Nous craignons un rallongement des délais et une prise en otage de l'entreprise au moment de sa transmission. Cette loi est stérile car elle n'offre pas aux salariés les moyens sérieux de faire une offre d'achat constructive et que, sauf exception, ce n'est qu'une fois le repreneur trouvé que le cédant informera ses salariés. Elle est aussi dangereuse car elle peut compromettre sérieusement la notion de confidentialité indispensable dans toute vente, et peut impacter sur le comportement du repreneur, qui pourra vouloir faire marche arrière en fonction des réactions de la part des salariés informés. Dans le secteur des CHR et des petites entreprises, cette loi est toxique. Elle n'évitera pas la vente du fonds de commerce au repreneur choisi par le cédant, mais elle lui compliquera la tâche".
Regis Morin, cabinet Pedron-Morin spécialisé dans la transaction hôtelière
"Cette loi ne va qu'ajouter un délai supplémentaire et inutile dans le processus de vente. Si le personnel est en mauvais terme avec le patron, il peut en profiter pour semer le trouble afin d'empêcher ou retarder la transaction. Ce qui nous est déjà arrivé. Notre métier avait déjà été pénalisé par la fiscalité sur les plus-values en 2013 pouvant atteindre 62 %. Cela freine les vendeurs qui ne veulent pas voir près des 2/3 du fruit de leur labeur partir en impôts. Sont venues ensuite les loi Alur et Pinel en 2014. On nous en rajoute une couche avec la loi Hamon qui a été faite pour le secteur industriel pour éviter des fermetures abusives. Elle n'est pas adaptée au secteur de l'hôtellerie-restauration et n'aura que des effets négatifs. Ces lois successives pénalisent le dynamisme économique des petites entreprises de CHR et par ricochet notre métier, car sans vendeur, pas de transaction".
Grégory Cousin, cabinet Cousin, réseau CEH spécialiste de la transaction de fonds de commerce CHR
"Mal rédigée, cette loi est source d'insécurité juridique et économique. Il convient d'informer les salariés au moins deux mois avant le transfert de propriété, selon certains juristes cette date s'entend du jour où il y a accord sur le prix et sur la chose, soit deux mois avant le compromis de vente. Informer risque de bouleverser la paix sociale dans l'entreprise (risque de démission, angoisse des salariés, tension…), et ce alors même que le vendeur n'a aucune obligation de leur fournir d'information (prix, bilan, bail…) ou d'accepter de discuter d'une proposition. Heureusement, habilement rédigé par un professionnel de la cession de fonds de commerce comme le sont les professionnels de cession de fonds de commerce, le compromis de vente pourra prévoir une clause de réserve de propriété, qui permettra de placer ce délai deux mois avant l'acte de vente. Ce qui, paradoxalement, fera que les salariés seront informés alors même que le vendeur ne peut plus accepter d'offre de leur part. C'est une loi inutile qui risque de mettre les petites entreprises davantage en difficulté".
Bernard Baduel, Century 21
"J'espère que celle loi sera retirée ou modifiée de manière à ne pas concerner les TPE. Elle pourrait se comprendre pour les entreprises de plus de 50 salariés, en particulier dans le secteur industriel. Pour ce qui est des commerces de proximité tels que les restaurants, cafés, bars, pizzerias, cette nouvelle obligation ne constitue qu'un obstacle de plus pour mener à bien un processus de cession déjà assez compliqué. C'est une erreur de penser qu'elle permettra à des salariés de faire une offre de rachat si le vendeur n'avait pas déjà identifié dans son entreprise un ou plusieurs salarié ayant les compétences et les moyens financiers d'effectuer cette reprise".
Nathalie D., cédant une brasserie employant 6 salariés après 9 ans d'exploitation
"Cette obligation a crée de l'inquiétude et de l'appréhension auprès de mon équipe. Immédiatement après l'annonce du projet de vente, l'un de mes employés s'est mis en maladie et a intenté une action devant les prud'hommes en vue de négocier son départ, ce qui a compliqué la relation avec le repreneur".
Philippe Maître, Cabinet Maître et membre de la FNAIM
"Dès l'annonce du projet de loi Hamon, nous avions fait savoir au gouvernement que nous étions opposés aux articles relatifs au droit d'information car ils nous semblaient extrêmement dangereux. Nous sommes désormais tenus de l'appliquer mais nous pensons toujours que cette disposition partisane est une hérésie, votée au mépris des intérêts de la TPE et de la PME. Elle crée une difficulté supplémentaire et inutile dans un processus de transmission déjà suffisamment long et compliqué. Avec un risque lié à une incertitude juridique en plus de la lourdeur administrative".
Céline Chevillon, Varocliers Avocats spécialisé dans la transmission d'entreprise
"Si le principe de privilégier une cession en interne est louable, sa mise en oeuvre risque en revanche de se révéler théorique. Les chefs d'entreprises de TPE-PME - principalement concernés par ce dispositif - n'avaient sans doute pas besoin d'une loi pour identifier un ou des salariés ayant les compétences et l'intérêt pour reprendre son fonds de commerce ou sa société. Les praticiens devront être forts de propositions pour tenter de pallier l'incertitude et l'allongement d'un processus de cession déjà souvent long".
Sébastien Bros, Avocat associé Legipole Conseil à Perpignan
"Ce dispositif nuit considérablement à la confidentialité des négociations préalables à toute transaction. Il déstabilise les entreprises, tant dans leurs relations avec le personnel salarié, que dans les relations entretenues, avec les concurrents ou les fournisseurs durant la période charnière d'une transmission d'entreprise. Il ajoute une formalité supplémentaire dont l'utilité et la mise en oeuvre sont particulièrement contestables. Pour ne citer qu'un exemple : le dirigeant de l'entreprise n'a aucune obligation de transmettre des informations ou documents relatifs à l'entreprise, sa stratégie ou sa comptabilité, et il est totalement libre d'entrer ou non en discussion avec un éventuel salarié intéressé. On imagine mal, dans une telle configuration, comment un salarié peut raisonnablement formuler une offre de reprise. Néanmoins le non respect de cette procédure est durement sanctionné en ouvrant la voie aux salariés pour solliciter la nullité relative de la cession. Il résulte enfin de tout ceci un sentiment selon lequel un dirigeant de PME ne serait pas suffisamment clairvoyant pour identifier par lui-même, au sein de sa propre entreprise, les salariés susceptibles de lui succéder. Cela revient à faire peu de cas du discernement de nos entrepreneurs…"
Hubert de Rostolan HR, Immo Commerces à Paris
"Cette loi met à mal la confidentialité de la transmission d'entreprise. Les cédants ont intérêt à obtenir rapidement une attestation de chaque salarié prouvant qu'ils ont bien été informés du projet de cession et ne sont pas candidats au rachat, ceci afin de sécuriser la vente et le repreneur. Certains peuvent considérer cette vente comme une chance de voir se réaliser les travaux de rénovation longtemps attendus, ou une opportunité pour une évolution de carrière si le repreneur est un groupe. Mais plus vraisemblablement, cette information génèrera du stress et de la démobilisation, ce qui risque d'être néfaste pour l'entreprise et semer le doute chez l'acquéreur potentiel. En outre, il est probable que la mise en vente ne soit plus confidentielle, ce qui n'est jamais bon, pour le vendeur et l'acheteur. Si cette loi offre l'opportunité à un (ou des) salarié(s) d'acheter l'entreprise dans laquelle il(s) travaille(nt), le plus souvent cela va créer une situation inconfortable pour tous les acteurs".
Publié par Tiphaine BEAUSSERON
samedi 14 février 2015
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