du 2 novembre 2007 |
GASTRONOMIE MOLÉCULAIRE |
Glaces et sorbets, flocons givrés, cristaux de vent glacés, poudres craquantes d'huile ou de salade, huile d'olive chantilly…, voici quelques-unes des préparations que vous pouvez réaliser avec l'azote liquide pour séduire et étonner vos convives.
Hervé This, auteur du sujet interactif 'La gastronomie moléculaire' sur larestauration.fr
Avec le grand froid de l'azote liquide
Réalisez des préparations inédites
L'azote liquide qui fournit du grand froid (- 196 °C) permet de réaliser de nouvelles préparations. Mais pour éviter tout accident, protégez-vous avec des lunettes et des gants. |
L'usage
d'azote liquide est à la mode, et j'accepte volontiers d'avoir ma part dans
la responsabilité de ces développements : il est exact que, depuis 1984,
j'ai très souvent montré l'intérêt de la technique… même
si je n'en suis pas l'inventeur. J'ai cru l'être, jusqu'au jour où j'ai
appris qu'André Daguin l'avait mentionné dans son Nouveau cuisinier
gascon et, surtout, jusqu'au jour où j'ai appris que c'est une femme, à
Londres, qui a proposé la première d'utiliser de l'azote liquide pour
faire des glaces… en 1907 ! Mon apport, dans l'affaire, a surtout été de montrer que la technique
faisait de meilleurs glaces ou sorbets, de promouvoir la technique parce que je
la jugeais utile.
Cela fait plusieurs années que j'ai abandonné
les démonstrations d'azote liquide, tant tout cela me semble 'classique'. D'ailleurs,
mes enfants, habitués petits à manger des glaces à l'azote liquide,
ne se retournent aujourd'hui même plus quand il s'en fait dans un restaurant
où nous allons : pour eux, la technique est 'traditionnelle' (elle leur a été
transmise). Cela étant, il reste beaucoup de professionnels qui n'ont jamais
pratiqué la chose. Alors,
voici plusieurs exemples d'utilisation d'azote liquide en cuisine.
Des glaces et sorbets
Instantanés et veloutés
Le froid, classiquement,
sert à confectionner des glaces ou sorbets. Ces 2 préparations sont
largement composées d'eau, laquelle est faite de petites 'choses' qui bougent
dans tous les sens, comme des boules de billard : ce sont des molécules d'eau.
Plus la température est élevée, plus ces molécules bougent rapidement
; inversement, quand on refroidit une matière, les molécules vont moins
vite, de sorte que finalement, elles finissent par 'coller' les unes aux autres,
quand la force des chocs ne parvient plus à les séparer.
Le sucre des glaces et des sorbets, lui, est fait de molécules qui se lient
aux molécules d'eau, de sorte que, quand le sirop refroidit, les molécules
d'eau ont plus de mal à s'associer entre elles : il faut donc refroidir davantage
le mélange pour que la cristallisation commence.
Or, elle conduit à la formation de cristaux
de glace pure, par empilement de molécules d'eau les unes avec les autres :
les cristaux de glace qui se forment quand on refroidit un sirop sont des cristaux
de glace pure, et il reste, entre les cristaux de glace, du sirop concentré.
C'est d'ailleurs par utilisation du même phénomène que les Canadiens
font des eaux-de-vie : ils mettent du cidre sur le rebord de la fenêtre,
en hiver, pour que l'eau qui cristallise laisse
un liquide enrichi en alcool. On obtient l'eau-de-vie en retirant le glaçon.
C'est interdit par la loi, mais efficace.
Pour revenir à notre sorbet, nous comprenons
maintenant qu'il est fait d'un liquide visqueux (du sirop concentré, avec les
molécules odorantes du fruit), où sont répartis des cristaux de glace
d'eau.
Ce qu'il est utile de savoir aussi,
c'est que la taille des cristaux de glace dépend de la vitesse de refroidissement
et de l'agitation. Quand on veut faire de gros cristaux, il faut refroidir lentement
et sans bouger la préparation : c'est le granité. En revanche, lorsqu'on
veut obtenir des cristaux plus petits, pour une texture plus lisse, il faut refroidir
très vite en agitant vigoureusement. Pour obtenir une texture veloutée
à partir d'appareils à glace ou à sorbet, rien ne vaut le grand
froid procuré par l'azote liquide : versé dans un appareil à sorbet
ou à glace, ce dernier fait des cristaux minuscules, ce qui donne une impression
de velours en bouche.
Mieux encore : ces sorbets et glaces
ont plus de goût que ceux réalisés à la sorbetière,
comme nous l'avons plusieurs fois démontré par des tests
comparatifs. L'un de ces tests a été
effectué devant une partie de l'équipe du GaultMillau, au restaurant
La Table d'Anvers à Paris, en compagnie du pâtissier Philippe Conticini
: tous les participants ont vu la différence considérable pour un sorbet
citron et une glace à la vanille. Le goût de citron était plus
puissant pour le sorbet réalisé avec l'azote liquide (l'effet a été
comparé de nombreuses fois : il tient notamment à ce que les molécules
odorantes et sapides se trouvent mieux exposées en raison de la plus grande
surface totale de cristaux de glace), et la quantité de matières grasses
a pu être réduite pour la glace à la vanille.
L'azote liquide Du grand froid à manipuler avec précaution |
L'azote liquide est un liquide transparent,
obtenu par compression et refroidissement de l'air. Il est très froid, - 196
°C, et bout quand on le conserve à la température ambiante. Il faut absolument le manipuler avec beaucoup de précautions en se protégeant avec des lunettes et des gants. En effet, une projection d'azote liquide dans l'oeil (et il y en a…) aveuglerait immédiatement et définitivement. Des projections sur la peau, d'autre part, provoqueraient des brûlures analogues à celles que provoquent volontairement les dermatologues pour brûler les verrues. Ces temps-ci, on voit nombre de cuisiniers démontrer l'usage de l'azote liquide à la télévision, sans lunettes ni gants. C'est à la fois dangereux et irresponsable. |
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Des flocons et flocons givrés
Pour jouer sur les contrastes
L'usage de l'azote liquide
n'est pas limité à la production de glaces ou de sorbets. La technique
peut servir à obtenir des glaçons à partir d'eau-de-vie ou
de liqueur. Chose difficile à faire à partir d'un simple congélateur.
Pourtant, dans l'azote liquide, aucune eau-de-vie, aucune liqueur ne résiste.
Il suffit d'en verser une rasade dans un récipient rempli d'azote liquide,
et l'on récupère à l'écumoire des flocons d'eau-de-vie. Les
possibilités sont innombrables, évidemment : à votre imagination
de jouer.
Les flocons givrés sont
une autre application merveilleuse. L'azote liquide est intéressant ici, parce
que, dans le monde merveilleux de ce qui se mange, les 'contrastes' sont importants.
Les pâtissiers jouent d'ailleurs de façon intuitive sur les contrastes
des couleurs, des textures, des goûts, des sons…
lorsqu'ils empilent les couches, dans les gâteaux, avec des goûts différents,
des consistances différentes… Comment jouer sur les contrastes dans les
métiers de la glace ? Par exemple avec des flocons givrés. Battons un
blanc en neige, puis ajoutons du sucre et battons encore ; nous obtenons un appareil
à meringue, que nous pouvons laisser tomber dans l'azote liquide : la partie
périphérique congèle (puisque le blanc d'Ïuf, c'est 90 % d'eau),
tandis que le coeur reste parfaitement tendre. Et comme le changement de température
est brusque, la différence est importante. En revanche, si l'on avait refroidi
lentement, il n'y aurait pas eu de différence, et tout aurait été
homogène. Bref, c'est parce que l'azote liquide est très froid, bien plus
froid que les congélateurs, que l'on parvient à ce résultat délicieux.
Cristaux de vent glacés. |
Des cristaux de vent glacés
Légers et craquants
Une variante de cet objet
s'obtient quand on prépare des cristaux de vent, qui découlent de la question
: quel est le volume maximal de blanc en neige que l'on peut obtenir à partir
d'un seul blanc d'oeuf ? Classiquement, la réponse est environ 1/5e
de litre (maximum). Du coup, la nouvelle question qui se pose est : pourquoi n'obtient-on
pas davantage de mousse ? Pour y répondre, il faut savoir que le blanc d'oeuf
est composé de 90 % d'eau et de 10 % de protéines, molécules analogues
à de minuscules colliers de perle repliés sur eux-mêmes, et qui,
lors du battage des blancs d'oeufs en neige, viennent tapisser la surface des bulles
d'air.
Du coup, puisque le blanc d'oeuf
est ainsi composé, on doit déduire que, si l'on n'obtient pas davantage
de volume quand on bat un blanc d'oeuf en neige, c'est qu'il manque quelque chose.
Quel ingrédient fait défaut ? Ce n'est pas l'air dont on fait des bulles,
puisque nous sommes entourés d'air, et que l'on double le volume de mousse
quand on utilise deux blancs d'oeufs au lieu d'un seul. C'est donc soit l'eau, soit
les protéines qui manquent. Pour trancher entre ces deux possibilités,
rien ne vaut l'expérience et, de préférence, l'expérience simple
: il est simple de battre un blanc d'oeuf, de lui ajouter de l'eau, de battre encore,
d'ajouter de l'eau… et ainsi de suite jusqu'à ce que l'on soit limité
par la quantité de protéines.
Évidemment, une expérience
n'est pas un plat, et il faut maintenant produire quelque chose de mangeable : pourquoi
ne pas remplacer l'eau ajoutée par un liquide aqueux qui ait bon goût,
tels une infusion de menthe, du jus d'orange ou de citron ? Avec du sucre ajouté,
la tenue de la mousse est augmentée.
Et si on laisse tomber cette mousse
qui a du goût dans l'azote liquide, on obtient à nouveau un cristal
de vent glacé merveilleux.
L'huile d'olive chantilly
De la mayonnaise cristallisée
L'huile d'olive chantilly
est un autre exemple de ce que l'on peut réaliser quand on manie le grand froid.
Chacun connaît la
chantilly, que l'on obtient en battant de la crème, puis en sucrant le résultat.
Sur le même principe, j'avais introduit successivement le chocolat chantilly
(1995 : une mousse de chocolat, sans crème ni Ïufs : c'est le chocolat qui
mousse), ou le foie gras chantilly, le beurre chantilly, le beurre noisette chantilly
ou encore le fromage chantilly. Longtemps, l'huile m'a résisté, mais l'azote
liquide permet de la produire (en réalité, un bon congélateur suffit).
Considérons le lait - mais seulement pour
l'explication : c'est une émulsion, avec des matières grasses sous la
forme de gouttelettes microscopiques dispersées dans l'eau du lait (il y a
bien d'autres molécules, mais il n'est pas nécessaire de les évoquer
ici). Quand on laisse cette émulsion reposer, la matière grasse remonte
vers la surface, formant la crème, qui est donc une émulsion plus concentrée
en matière grasse que le lait, mais de même nature physique. Fouettons
: le fouet introduit des bulles d'air, tandis qu'il provoque la fusion limitée
des gouttelettes de matières grasses, lesquelles viennent tapisser la surface
des bulles ; on obtient la crème fouettée. Sucrons : on obtient la chantilly.
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L'idée est de reproduire l'effet.
Nous devons partir d'une émulsion : il nous suffit de réaliser une mayonnaise,
à partir de jaunes d'Ïufs, dans lequel on bat de l'huile (je rappelle que
la mayonnaise ne doit pas contenir de moutarde, sans quoi elle devient une rémoulade,
au goût très différent). Puis il nous suffit de fouetter la mayonnaise
en la refroidissant à une température où la graisse cristallise
: c'est là que l'azote liquide est précieux… puisqu'il nous permet
de faire une huile chantilly.
Avec l'azote liquide, vous pouvez transformer tous les aliments en poudre craquante pour décorer et assaisonner vos mets. |
Les poudres d'aliments
Cassantes et parfumées
Tous les aliments, qu'ils
soient riches en matières grasses ou non, se transforment en poudre cassante
et parfumée lorsqu'ils sont soumis au très grand froid de l'azote liquide.
Les poudres de matières
grasses sont de réalisation très simple, avec de l'azote liquide. Pour
comprendre, il suffit de savoir que l'huile cristallise quand on la met au réfrigérateur.
Du coup, faisons tomber un filet d'huile d'olive dans de l'azote liquide, et on
obtient une poudre cassante d'huile d'olive. De même pour toutes les matières
grasses : le chocolat fondu, le beurre fondu (noisette ou nature), le fromage fondu…
Les poudres de légumes, de fruits,
de viandes, de poissons, de fromages ne sont pas plus difficiles à obtenir.
Il suffit de savoir que la majorité des aliments sont composés d'eau.
Par exemple, la laitue est composée de 99 % d'eau, la viande de 80 %. Faisons
tomber une feuille de laitue dans l'azote liquide : son eau congèle, de sorte
que la feuille devient craquante. Brisons-la entre les mains : on obtient une poudre
de laitue. On comprend que l'on puisse
faire de même pour tous les autres produits alimentaires : basilic, menthe,
viande, poisson, fromage…
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L'Hôtellerie Restauration n° 3053 Magazine 2 novembre 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE