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Salaires

Enquête annuelle

Salaires au point mort

La croissance économique ne rime plus aujourd'hui avec une hausse générale des salaires. En tous les cas, pas plus dans les entreprises généralistes que celles des secteurs de l'hôtellerie et de la restauration. Les professionnels de l'industrie hôtelière mesurent en effet leurs efforts et font le gros dos en attendant la publication des décrets d'application de la réduction du temps de travail.

Claire Cosson

Tous les indicateurs confirment la reprise de la croissance économique. L'économie française a créé quelque 350 000 emplois salariés l'année dernière selon l'Insee : une véritable performance depuis trente ans. En fait, tous les clignotants semblent être passés au vert dans l'Hexagone durant l'année 1999, y compris dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration. La preuve. Le baromètre restauration, L'Hôtellerie/Coach Omnium révèle que le nombre de couverts servis par les restaurateurs depuis janvier 1998 à décembre 1999 a grimpé de 3,5 %. Mieux encore ! Les prix moyens ont parallèlement progressé de 6,5 %. Et cette tendance positive s'est également affirmée du côté des hôteliers.
D'après le cabinet spécialisé Pannell Kerr Forster, l'hôtellerie française a effectivement bien tiré son épingle du jeu au cours de l'exercice précédent. A commencer par l'hôtellerie haut de gamme parisienne dont le taux d'occupation annuel a atteint 66 % en 1999 contre 62,5 % un an plus tôt. Le tout accompagné d'une hausse de la recette moyenne chambre (1 320 francs) et du revenu par chambre disponible (871 francs). Quant à la province, elle a aussi bénéficié de l'embellie conjoncturelle. A titre d'exemple, les recettes moyennes par chambre louée ont augmenté de manière sensible : + 8,9 % pour les quatre étoiles, + 4,6 % pour les trois étoiles et + 3,3 % pour les deux étoiles.
Une multitude d'éléments favorables qui, évidemment, paraissaient de bon augure pour les personnes officiant dans ces activités. De quoi, en réalité, envisager une nette amélioration de leur niveau de vie. Pourtant, le retour de la croissance et de la reprise de l'emploi ne rime apparemment plus aujourd'hui avec hausse générale des salaires. En 1999, le salaire moyen du privé (tous secteurs confondus) a du reste beaucoup moins évolué que prévu. Il a en effet crû de 1,6 % tandis que le gouvernement tablait lui sur 2,2 %.

"L'Etat s'occupe de tout, tout le temps"
Un phénomène qui n'a bien sûr pas épargné les rémunérations de l'hôtellerie et de la restauration. Selon les données de notre enquête, seulement 8 % des entreprises interrogées avouaient vouloir réellement accorder un coup de pouce aux salaires de leurs équipes en 1999/2000. Une grande majorité annonçait des augmentations ne dépassant pas le niveau de l'inflation (Source Insee : 0,5 % en moyenne annuelle en 1999). Quelques-uns (moins d'1 %) se laissaient néanmoins aller à avancer des majorations plus importantes, allant de 2 à 10 %. Leur catégorie et leur situation géographiques constituant des critères majeurs dans l'attribution de ces augmentations. Comme de bien entendu, les écarts de rémunération les plus sensibles subsistent toujours à l'avantage des plus gros établissements et de la région Paris/Ile-de-France. En fait, les entreprises du secteur tendent à comprimer les salaires de leurs employés, de manière encore plus importante concernant les cadres, parce qu'ils semblent ne plus savoir où donner de la tête. "Avec l'application de la convention collective nationale d'avril 1997, qui nous conduit à donner maintenant deux jours de congé par semaine, il devient impossible d'augmenter les rémunérations", a indiqué au stylo rouge un restaurateur de Lille au dos de notre questionnaire. Et un autre de ses collègues, installé à Giverny, d'ajouter : "L'Etat s'occupe de tout, tout le temps ! Voilà d'ailleurs qu'après la convention collective, il nous faut désormais réduire encore le temps de travail. Je ne vois pourtant pas la marge de manœuvre qu'il me reste pour agir au sein de ma microentreprise."
En réalité, beaucoup de sociétés déclarent jouer la modération salariale afin d'anticiper l'application de la réduction du temps de travail. "Les employeurs des hôtels, cafés et restaurants, ne savent toujours pas à quelle sauce ils vont être mangés en matière de RTT", déclare un propriétaire d'hôtel-restaurant en Bretagne.

Vide juridique
Il est vrai qu'à l'heure où nous mettions sous presse, le vide juridique, apparu à la suite de l'échec des négociations entre les partenaires sociaux concernant la modification de la durée hebdomadaire de travail (fixée à 43 heures), était toujours d'actualité, aucun décret n'ayant été publié à cet effet. "Dans de telles conditions, nous sommes condamnés à attendre. Et comme soeur Anne ne voit rien venir, elle ne délie pas les cordons de la bourse", note avec humour un hôtelier de la Côte d'Azur.
De fait, l'obligation de l'application des 35 heures au secteur de l'industrie hôtelière pétrifie bel et bien les patrons. Dans un établissement qui passerait de 39 à 35 heures (169 à 151,7 heures mensuelles), le taux horaire bondirait en effet mécaniquement de 11,4 %. Ce qui, à l'évidence, risque de mettre en péril un bon nombre d'entreprises appartenant au secteur, notamment les plus petites (celles employant moins de 20 salariés). "On ne peut pas résoudre les politiques salariales dans nos établissements sans savoir au préalable si les 35 heures vont nous être imposées", précise Maryse Lieske, directeur des ressources humaines unités chez Envergure. D'autant plus que les smicards représentent 45,4 % des salariés dans l'hôtellerie-restauration, contre 30,9 % dans l'habillement, 21 % dans le commerce de détail et 19,4 % dans le textile.
A ce propos d'ailleurs, ce sont les postes rétribués au Smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance) qui bénéficient encore et toujours des revalorisations salariales les plus conséquentes (40,72 francs bruts depuis le 1er juillet 1999, soit un salaire brut mensuel hors indemnité nourriture ou indemnité compensatrice de 7181,23 francs. Salaire brut annuel : 86174, 76 francs).
Résultat : la tendance constatée au cours des dernières années se confirme. L'éventail des salaires ne cesse de se resserrer. Le recul de l'inflation (+ 0,5 % en moyenne annuelle en 1999) ne faisant, en outre, rien pour mettre un terme à ce mouvement. Ajoutons à cela que la reprise de l'activité n'a pas limité par ailleurs le recours au temps partiel dans la profession.

"L'oiseau rare"
Dans de telles conditions, la "machine" salariale de la branche paraît purement et simplement bloquée. Et ce pour un petit moment. Raison pour laquelle, peut-être, les professionnels souffrent le martyre pour dénicher "l'oiseau rare", notamment au niveau des employés. D'ailleurs plus de 90 % des entreprises questionnées par nos soins affirment rencontrer d'énormes difficultés pour recruter du personnel opérationnel compétent. "A croire que le travail fait peur à beaucoup de jeunes. C'est dommage ! Car nous pratiquons pourtant un beau métier. Reste que ce n'est pas l'exemple donné par nos gouvernants qui va arranger les chose", confie un adhérent des Logis de France.
Et un second d'expliquer : "J'avais besoin de quelqu'un en CDD de cinq mois pour remplacer une de mes employées partie en congé maternité. Au bout du compte, je n'ai réussi à trouver qu'une personne durant deux mois. Tous les candidats se sont désistés au dernier moment." Il est clair que toutes les industries de main-d'œuvre connaissent à l'heure actuelle de très lourds problèmes pour trouver chaussure à leur pied, l'hôtellerie et la restauration figurant en assez bonne place à ce hit-parade. D'autant plus qu'un départ sur quatre dans le secteur est une démission. Est-ce là une question de mauvaise image de la profession ou bien encore une difficulté liée à l'évolution des mentalités de la société ?
Le niveau de rémunération est-il également la cause essentielle de ce malaise ?

Primes à la performance
Difficile de répondre en l'état actuel de la situation. D'autant que le développement de l'attribution de primes, ou autres bonus en fonction des performances de chacun, ne suffit pas toujours à remonter le moral des troupes. Sur ce point, on peut du reste noter que les entreprises indépendantes pratiquant ces techniques demeurent assez peu nombreuses : 7 % de notre échantillon. Sans oublier que cette année, les maisons concernées ont plutôt joué la carte de la stabilité en la matière.
Du côté des chaînes hôtelières, les choses diffèrent un peu plus. "La réduction du temps de travail a évidemment une incidence sur la politique salariale", confesse Patrick Ollivier, directeur de la politique de rémunération au sein du groupe Accor. Mais les grands opérateurs hôteliers adoptent toutefois des positions différentes au niveau des rémunérations, raisonnant à partir d'un salaire global auquel s'ajoutent des gratifications périphériques. "C'est ainsi que la partie variable du salaire peut atteindre 30 % pour le management", indique Philippe de Montenay, responsable des relations sociales pour l'hôtellerie d'affaires et de loisirs d'Accor.
Parallèlement, la plupart des établissements français appartenant au géant hôtelier bénéficient aussi d'un accord d'intéressement collectif. "Les primes varient de 0 à 7 000 francs en fonction des résultats réalisés par les hôtels. En 1999, nous avons versé en moyenne entre 4 000 et 5 000 francs", souligne Patrick Ollivier. Sans oublier un accord de participation qui se traduit par le versement d'une prime moyenne d'environ 3 500 francs en 1999.

Intéressement
En ce qui concerne le groupe Envergure, filiale de la Société du Louvre et numéro deux de l'hôtellerie française, un accord d'intéressement a été également conclu depuis 1998. "Calculée sur la valeur ajoutée dégagée par les établissements, la prime annuelle varie ainsi en fonction des résultats dégagés par chacune des unités", note Maryse Lieske. Et d'ajouter : "nos couples de gérants ont en outre la possibilité de toucher des primes de gestion et de qualité qui atteignent jusqu'à 100 000 francs". Même pratique au sein du petit groupe hôtelier, dirigé par Gilles Douillard, qui intéresse certains de ses salariés au résultat brut d'exploitation. Reste que d'autres gratifications sont utilisées dans la profession pour fidéliser les individus telle la mise en place d'un plan épargne entreprise. "Notre plan d'épargne entreprise est très avantageux puisqu'il offre un abondement du groupe allant de 200 % pour les petits versements (jusqu'à 1 250 francs) à 20 % pour les versements entre 5000 et 55 000 francs", reconnaît Patrick Ollivier d'Accor. Le groupe français, orchestré par Jean-Marc Espalioux, pratique également une politique de stock-options à l'intention du middle management. Sans compter, en 1999, une augmentation de capital réservée aux salariés en France qui a permis aux collaborateurs d'acquérir des actions Accor, avec une décote de 20 % et un abondement du groupe (plafonné à 15 000 francs).
De quoi reprendre du poil de la bête. Surtout lorsque l'on sait que le numéro un français accorde aussi à l'ensemble de ses équipes un système de prévoyance flexible. Ce qui n'est pas toujours le cas au sein d'autres grandes entreprises de la branche. Envergure, par exemple, attribue ainsi lui aussi un régime de prévoyance à l'attention de ses directeurs. Pourtant, il est clair que dans les années à venir les professionnels devront agir vite pour séduire les meilleurs. D'ailleurs l'annonce, publiée récemment par le Four Seasons Hotel George V dans nos colonnes, ouvre de nouvelles perspectives pour le secteur. Finis en effet les secrets d'alcôve concernant les salaires ! On affichera demain haut et fort ce que l'on offre aux salariés.
Et bien sûr, les propositions les plus alléchantes, associées aux opportunités de carrière prometteuses, feront la différence.
En déclarant d'entrée de jeu qu'il recherchait du personnel en contrat à durée déterminée, à 35 heures par semaine, avec un intéressement sur les résultats et une couverture santé et prévoyance garantie, le Four Seasons Hotel George V a d'ailleurs fait la différence auprès de ses concurrents. Les curriculums sont en effet tombés en masse sur le bureau des responsables du recrutement du palace parisien.
Une attitude qui fait évidemment le bonheur des grands opérateurs hôteliers au détriment des plus petits. Reste que ces derniers vont devoir dénicher de nouvelles solutions pour séduire eux aussi les meilleurs éléments. Il en va de la qualité de leurs prestations et donc finalement de la pérennité de leur entreprise respective.

Restaurateurs recherchent désespérément

Parmi les embauches envisagées par les restaurateurs indépendants français, les postes les plus recherchés sont les suivants :
50 % chef de partie
20 % serveur
30 % commis de cuisine

 

Hôteliers recherchent désespérément

Parmi les embauches envisagées par les hôteliers indépendants français, les postes les plus recherchés sont les suivants :
50 % femme de chambre
30 % réceptionniste
20 % serveur

 

Méthodologie

Cette étude a été réalisée par nos soins. Les données ont été collectées au cours de l'été 1999 auprès de 500 entreprises indépendantes (dont 150 restaurants) représentatives du secteur de l'hôtellerie et de la restauration en France.
Notre analyse évalue les rémunérations annuelles brutes sur douze mois (soit un salaire brut, hors IN ou indemnité compensatrice, de 86 174,76 francs). Elle tient compte également de l'augmentation du Smic au 1er juillet 1999. Les chiffres communiqués dans ces pages n'incluent aucun avantage en nature (indemnité nourriture, logement, blanchissage, voiture de fonction, etc.) ni autres primes (intéressement, participation, bonus, etc.). Par ailleurs, les salaires ont été calculés sur la base légale de 186,33 heures par mois. Outre le salaire moyen annoncé, nous présentons les deux extrêmes à travers les salaires les plus élevés et les moins élevés.
Nous vous rappelons que cette étude a pour seul objet de donner les tendances générales en matière de politique salariale dans l'industrie française. Les informations recueillies ont été analysées en veillant à ne traiter que les plus logiques, en évitant les cas d'espèces.
A noter par ailleurs que concernant les chaînes hôtelières, notre échantillon n'est pas comparable à celui de l'année précédente. En outre, certains groupes ayant réduit la durée du travail à 39 heures ou moins selon les cas, le SMIC hôtelier connaît une légère atténuation. Nous ne pensons pas cependant que cela fausse nos résultats.
*A défaut de réponses suffisamment nombreuses pour être prises en considération, certaines catégories d'établissements ne figurent pas dans notre étude.

Perspectives d'embauches 1999/2000

Hôtels indépendants
France entière

10 % des hôteliers ont déclaré avoir l'intention d'embaucher au cours des 12 prochains mois
45 % des hôteliers ont déclaré ne pas savoir encore s'ils allaient embaucher au cours des 12 prochains mois
45 % des hôteliers ont déclaré ne pas avoir l'intention d'embaucher au cours des
12 prochains mois

Restaurants indépendants
IDF

15 % des restaurateurs indépendants ont déclaré avoir l'intention d'embaucher au cours des 12 prochains mois
80 % des restaurateurs indépendants ont déclaré ne pas savoir encore s'ils allaient embaucher au cours des 12 prochains mois
5 % des restaurateurs ont déclaré ne pas avoir l'intention d'embaucher au cours des
12 prochains mois

Restaurants indépendants
Province

10 % des restaurateurs indépendants ont déclaré avoir l'intention d'embaucher au cours des 12 prochains mois
50 % des restaurateurs indépendants ont déclaré ne pas savoir encore s'ils allaient embaucher au cours des 12 prochains mois
40 % des restaurateurs ont déclaré ne pas avoir l'intention d'embaucher au cours des 12 prochains mois

Gérer les hommes différemment

Fini le temps de l'exploitation de l'homme par l'homme ! Aujourd'hui, les chefs d'entreprise doivent travailler main dans la main avec leurs équipes pour relever ensemble le défi économique auquel ils sont confrontés. Un nouveau rapport (Creating Value Through People and Partnership) de l'Association internationale de l'hôtellerie et de la restauration (IH & RA) met d'ailleurs l'accent sur les nouvelles tendances dans le domaine de la gestion des ressources humaines dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration.
Pour commencer, les outils technologiques vont révolutionner le recrutement, la fidélisation et la formation du personnel dans tous les secteurs. Une étude a du reste été menée au sein de Domino's Pizza prouvant que la formation par ordinateur transforme actuellement la façon dont les employés sont initiés et formés à leurs tâches. Mieux ! Ce style de formation contribue à prolonger les compétences des individus au-delà des limites traditionnelles. Parallèlement, pour que les chaînes hôtelières attirent et conservent les meilleurs éléments de la prochaine génération, des changements radicaux vont devoir s'opérer afin d'améliorer l'image de marque de ce secteur. Il faudra donc s'attaquer à la notoriété de l'industrie hôtelière, secteur à bas salaires et à faibles compétences, pour la convertir en salaires élevés et en un domaine d'activité valorisant.
Selon Paul Slattery, directeur financier du groupe Dresdner Kleinwort Benson, "le développement professionnel des dirigeants d'entreprise est également essentiel si le secteur des multinationales veut exploiter son formidable potentiel à l'avenir". Et d'ajouter : "Il est de plus en plus évident que la gestion ancienne du style "commander et contrôler" doit céder le pas à l'autonomie et au travail en équipe." Autre élément important souligné dans ce rapport : l'intelligence affective. Cette dernière constituera un critère distinctif du bon gestionnaire. Autrement dit les managers devront avoir un sens aigu de soi et de la compréhension des autres, la capacité à faire preuve d'empathie, à respecter les différences et à ménager les sensibilités diverses. A noter aussi la nécessité impérative de modifier l'approche des dirigeants à l'égard de la formation. "Il va falloir passer d'une culture fondée sur l'instruction à une approche basée sur l'apprentissage où les enseignants sont des entrepreneurs du savoir, qui permettent aux étudiants de composer leur propre cursus, sans référence à l'emplacement géographique de l'école", indique le rapport de l'IH & RA.

*Le rapport complet est disponible auprès de l'IH & RA
(253, rue du faubourg Saint-Antoine, 75010 Paris. Tél. : 01 44 89 94 00) au prix de 250 FF.

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L'HÔTELLERIE n° 2657 Spécial Formation 16 Mars 2000

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