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A la loupe
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S'Burjerstuewel à Strasbourg

Le 'cas' Yvonne

A 70 ans, la patronne de la plus célèbre winstub strasbourgeoise cède la main. L'infatigable Yvonne Haller, qui a su fidéliser des générations de clients depuis les années 50, avait acheté ce restaurant grâce au soutien d'un viticulteur.

Madame Haller lance d'emblée : "Cette affaire, j'en suis tombée amoureuse en 1954 !" A Strasbourg, tout le monde l'appelle par son prénom. C'est 'chez Yvonne' que l'on va déjeuner, dîner, boire un verre, bref, passer un bon moment, et non au S'Burjerstuewel, le véritable nom du restaurant. Et même après le départ définitif de la patronne, prévu ce mois-ci, on continuera de réserver une table chez Yvonne. Question d'habitude. "La personne qui succédera à Yvonne marchera dans ses traces, assure Jean-Louis de Valmigère, propriétaire depuis début mai. L'ambiance restera conviviale, à la fois détendue et un peu bourgeoise comme auparavant. Un savant mélange !" A 14 ans, Yvonne commence dans le métier. Moins par choix que par nécessité. "J'ai choisi cette voie parce que j'avais la possibilité d'être nourrie et logée", explique cette orpheline de guerre. Alors qu'elle n'a pas encore 23 ans, un client de la brasserie messine, dans laquelle elle exerce, lui propose de s'occuper du S'Burjerstuewel. "J'ai vu que vous étiez capable !", lui dit-il. Il s'aperçoit vite que la jeune femme arrive sans difficulté à remplacer son patron quand il part en vacances. Pendant 2 ans, Yvonne travaille 'en gérance appointée'. En 1956, l'établissement est mis en vente ; on le lui propose. "Je n'avais même pas 10 F d'économie !", se souvient-elle. Celle qui travaille alors de 9 heures à 4 heures du matin, sans congé, ne se résout pas à devoir abandonner cette maison alsacienne construite en 1740 qu'elle a même commencé à redécorer. Arrive, comme dans les contes de fées, "la chance de ma vie". Son viticulteur lui dit de signer et lui apporte le chèque. "Je sais que vous me rembourserez", lui confie-t-il. Ce qu'elle fait, bien sûr, au bout de 15 ans d'ouverture non-stop.

Une femme de caractère
Au début, elle est seule, aux fourneaux et en salle. Fatigant ? "Je recommencerais s'il le fallait, répond-elle du tac au tac. Je suis une passionnée du métier et j'aime les gens... Ils ont tellement de choses à vous apprendre."
Des anecdotes sur 'les gens', Yvonne pourrait en raconter des tonnes. Mais elle s'abstient. Si l'on insiste, il y en a bien une qu'elle accepte de dévoiler. Tel un clin d'œil rappelant son caractère entier, voire autoritaire. Et ses principes moraux. "Un jour, un habitué, qui venait en général avec son épouse, est arrivé avec une femme beaucoup plus jeune", commence Yvonne. Soupçonnant un de ces adultères dont elle a parfois été malgré elle le témoin, la maîtresse des lieux ne les salue pas. Elle ne rejoint pas non plus le couple à sa table pendant le repas comme elle le fait d'habitude. Au moment de partir, se doutant des soupçons qui pèsent sur lui, le client se dirige vers la patronne et lui lance : "Je t'ai eu, c'est ma fille !" Yvonne reconnaît qu'elle prend "tout à cœur" et s'en excuse presque. "J'ai aussi tendance à m'investir par rapport au personnel. Je vois tout de suite si quelqu'un a un problème. Alors je lui demande de le laisser dehors et de se consacrer aux clients." Ses 16 salariés le lui rendent bien. "On n'a pas l'impression d'aller travailler, assure une des serveuses. Nous sommes une famille." Chez Yvonne, la carte est remplacée par un tableau de suggestions, et les commandes sont prises sans carnet. "Pour que vous regardiez ; les yeux, ça ne triche pas. C'est un métier, il faut savoir le faire." Ce métier, elle l'a appris en Suisse entre 1949 et 1951. Là, elle triple son salaire grâce aux pourboires en posant devant chaque client ce qu'il a commandé, sans hésitation. Rétrospectivement, depuis 1956, l'établissement est resté le même selon Yvonne. Parce que, reconnaît celle qui y habitait encore il y a quelques mois, "je veux le voir avec les mêmes yeux". Sauf qu'entre-temps, il est passé d'une soixantaine de places à 135 avec l'aménagement du premier étage. Jacques Chirac, Helmut Kohl, Boris Eltsine et, plus tôt, Michèle Morgan, Jean Gabin ou Michel Piccoli, ont franchi la porte de l'établissement de la rue du Sanglier, en plein centre de Strasbourg. Parallèlement, Yvonne étoffe sa carte traditionnelle avec des plats de viande et de poisson, sous la responsabilité de Theo Engel, le chef. Et enfin, bon nombre d'anciens étudiants lui sont restés fidèles, comme Odile, qui y retourne régulièrement après une vingtaine d'années d'absence : "Je reviens parce que le lieu est convivial et pour la personnalité d'Yvonne. Elle sait placer les gens, elle sait aussi les materner, venir se pencher sur leurs épaules. L'annonce de son départ m'a donné le cafard. Au fond, c'est toute une partie de ma jeunesse qui s'en va."
A. Lagala

Studio MW

Une retraite bien méritée pour une femme attentionnée tant envers ses clients qu'envers son personnel.

En dates

1931
Naissance

1940
Décès de ses parents

1947
Embauchée à Paris

1951
Naissance de sa fille unique

1954
Arrivée au S'Burjerstuewel

1956
Rachat du restaurant

2001
Vente de l'établissement

En chiffres

w Nombre de couverts : 135
w Ticket moyen : 250 F
w Objectif de CA pour la 1re année de reprise : 9 MF HT

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L'HÔTELLERIE n° 2722 Hebdo 14 Juin 2001


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