Alain Passard poursuivi pour diffamation
Accusé de diffamation par la société du marché de Rungis, Alain Passard s'est défendu devant les juges du tribunal correctionnel de Paris. Il conteste avoir dit que Rungis commercialisait de la vache folle et qualifie ses propos d'opinion personnelle. Compte rendu.
C'est mercredi 27 juin,
devant la 17e chambre du tribunal correctionnel du TGI de Paris, qu'Alain Passard
comparaissait pour diffamation envers la société Semmaris (Société d'Economie Mixte du
Marché de Rungis), suite aux propos qu'il a tenus lors de l'émission télévisée Bonne
bouffe, malbouffe de Paul Wermus, diffusée en direct sur France 3, le 18 décembre
2000.
L'émission de France 3, consacrée à la vache folle et à la question de savoir si les
Français doivent changer leurs habitudes alimentaires, durait plus de 2 heures. Elle
comportait 1 h 30 de reportage suivi d'un débat faisant intervenir journalistes,
critiques gastronomiques et restaurateurs.
Alain Passard et son avocat, Francis Pudlowski après l'audience.
Des propos blessants selon la Semmaris...
La Semmaris, représentée par son président Marc Spielrein, a commencé par souligner
que cette société, qui regroupe 1 500 entreprises et 12 000 salariés, est "plus
que sensible, responsable de la qualité des produits de Rungis". C'est la raison
pour laquelle elle s'estime lésée par les propos d'Alain Passard, même si Marc
Spielrein avoue n'avoir pas visionné l'émission.
Plus précisément, la Semmaris accuse Alain Passard d'avoir dit que Rungis était devenu
pour lui "quelque chose de très faible en matière de légumes" et "qu'il
n'y trouvait plus son compte", que "les conditions d'élevage des animaux
étaient déplorables", ces derniers étant "abattus beaucoup trop
tôt", que Rungis envoyait "des produits contestables dans tous les estaminets
de la région parisienne", et enfin, d'avoir dit que Rungis commercialisait de la
vache folle.
La Semmaris estime que les propos d'Alain Passard remettent gravement en cause la qualité
de gestion et de production du marché de Rungis dont elle a la charge. C'est pourquoi
elle reproche au chef de l'Arpège de lui avoir porté préjudice, et demande sa
condamnation pour diffamation à 1 franc symbolique de dommages-intérêts.
Marc Spielrein n'a pas vu l'émission.
... mais contestés par Alain Passard...
A l'audience, chacune des parties a pu s'exprimer pour défendre son point de vue. Premier
à s'expliquer à la barre, Alain Passard, qui a tenu à recadrer le contexte de ses
propos. Il a contesté avoir dit que Rungis commercialisait de la vache folle et a
précisé qu'à la question du présentateur de l'émission, Paul Wermus, qui lui
demandait "vous avez dit, Alain Passard, qu'on risquait de trouver de la vache
folle à Rungis ?", il a répondu "oui tout à fait...", et a
ajouté "le directeur de Rungis a également dit qu'on pouvait en trouver".
Pour lui, confirmer qu'il y a un risque de trouver de la vache folle à Rungis n'est ni
préjudiciable à Rungis, ni condamnable. Le président du tribunal n'a pas manqué
d'interroger sur ce point Marc Spielrein, présent à l'audience pour représenter la
société. Ce dernier n'a pas contredit Alain Passard, puisqu'il a précisé : "Je
n'ai jamais dit qu'on risquait de trouver de la vache folle à Rungis, j'ai seulement dit
que l'on mettait tout en uvre pour éviter qu'il y en ait."
Toutefois, Marc Spielrein a tenu à expliquer que "compte tenu de la très grande
diversité des clients, on trouve forcément à Rungis des produits qui ne sont pas tous
de qualité exceptionnelle. Par contre, ce sont des produits sûrs".
... et replacés dans le contexte d'une émission en direct
Quant à ses propos relatifs aux légumes, Alain Passard ne les nie pas, mais précise
qu'il n'a fait qu'expliquer pourquoi il avait choisi personnellement de ne pas
s'approvisionner en légumes à Rungis. Il insiste sur le fait qu'il n'a fait que donner
un avis personnel n'engageant que lui. Il admet toutefois avoir voulu "faire
passer un simple message afin d'inciter la Semmaris à se méfier". Il a tenu à
préciser qu'à l'Arpège, le choix d'une carte essentiellement légumière était
complètement étrangère à Rungis puisqu'il était le fruit "d'une évolution
personnelle" et d'une curiosité pour une cuisine à laquelle il n'avait pas
été formé. Il s'est dit "navré d'avoir froissé des susceptibilités puisque
nous sommes amenés à vivre ensemble", puis a ajouté "être toujours en
affaires avec Rungis".
Quant aux propos relatifs aux conditions d'élevage, l'avocat d'Alain Passard, Francis
Pudlowski, a tenu à les replacer dans leur contexte : "Mon client ne visait pas
Rungis et ne l'a d'ailleurs pas cité sur ce point. Il s'est contenté de répondre à la
question d'un journaliste qui l'interrogeait sur la composition de sa carte."
En revanche, à travers son avocat, Alain Passard conteste formellement avoir énoncé : "Rungis,
qui est le poumon de Paris, est en train d'envoyer dans tous les estaminets de la région
parisienne des produits qui sont contestables." Il soutient en effet que cette
phrase a en fait été prononcée par un journaliste qui interrogeait Alain Passard, et
précise que ce dernier n'a d'ailleurs pas eu le temps de répondre, les autres
intervenants du débat télévisé en direct ayant pris la parole à sa place.
Les propos d'Alain Passard, échangés dans le cadre d'un débat d'idées, ne sont pas
diffamatoires pour Francis Pudlowski, qui demande par conséquent la relaxe de son client
au nom du droit à la critique et de la liberté d'expression et d'opinion. De plus,
estimant que l'action en diffamation de la Semmaris est abusive, il requiert la
condamnation de cette dernière à 50 000 francs de dommages-intérêts.
Le ministère public demande la relaxe
Quant au ministère public, il va dans le même sens puisque le substitut du procureur a
estimé que "les propos d'Alain Passard n'ont pas dépassé le seuil de la
critique" et remarque que "malgré la vivacité du débat, Alain Passard
s'est exprimé avec modération". Le procureur estime lui aussi qu'il n'y a pas
diffamation et n'a donc requis aucune peine à l'encontre du chef de l'Arpège.
Il appartient désormais au tribunal de rendre son verdict au vu des arguments de chacun
et de la cassette vidéo de l'émission jointe au dossier. Le jugement a été mis en
délibéré et sera rendu le 12 septembre prochain.
T. Beausseron
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L'HôTELLERIE n° 2725 Hebdo 5 Juillet 2001