L'île-d'Yeu, géographiquement vendéenne, est géologiquement bretonne. Cette fière île du ponant s'accroche à la vie et aux activités à temps plein, été comme hiver... Elle attire une clientèle très exigeante...
A 9 heures, Maurice est salué du bonjour personnalisé de la serveuse et, sans dire mot, se fait servir son rituel ballon de rouge au Café Maritime. Ni commentaire ni merci en reposant le verre. Juste "à plus tard". Comme à L'Escadrille et autres bars avec pignon sur le port et vue sur le flot des touristes en famille, en short et en transit de la gare maritime, ici les grandes tables et bancs de bois épais ont à la première heure une clientèle de voisinage qui n'a pas besoin de se faire reconnaître pour être servie. Traits creusés, comme une mer fâchée et teint vif, ce sont de solides gaillards drapés dans la vareuse bleue et campés sur leurs avant bras. Sûrement des retraités de la petite pêche et de la marine du grand large. Aux murs, entre les pédagogiques tableaux de nuds marins et les portraits noir et blanc de loups de mer anonymes pour les estivants, des ardoises font l'article pour le 'Muscadet au verre', le 'Chardonnay au verre', le 'Grolleau au verre'. Il y a de la bobine et un relent des 'Vieux de la vieille' dans l'atmosphère. Les habitants d'ici se disent "islais". L'île a, sous un certain éclairage, la couleur du temps sépia et l'ombre de son éloignement océanique. Après la Corse, c'est l'île la plus éloignée du continent... Le tempérament de la pierre bretonne affleure. De gneiss, granit et micaschiste, Yeu est une île du ponant.
Un village d'irréductibles pêcheurs de thon germon
Le cliché n'est pas
qu'image de carte postale. Les marins pêcheurs contemporains sont actifs, imaginatifs,
combatifs et teigneux. Comme les irréductibles Gaulois d'un village armoricain, ils sont
dressés et remontés contre l'Europe qui leur interdit d'aller à la pêche au thon au
filet maillant après l'avoir, de fait, encouragée. L'été est la crête de la saison du
thon, mais cette année est la der des ders. L'île entière est en colère, à la fois
frustrée et rebelle. Les motifs écologiques de protection du gentil dauphin ou de
sauvegarde de la ressource halieutique ne tenant pas la route dans ce cas d'espèce, le
sentiment d'abandon et de sacrifice pour des intérêts lointains submerge la population.
Certains n'en démordent pas, prêts à se reconvertir avec d'autres techniques sur
d'autres bateaux encore plus coûteux (plus de 15 millions de francs parfois).
Les grandes lignées de marins remplissent les colonnes de l'annuaire téléphonique avec
les Groisard, Turbé, Taraud, Cadou, Orsonneau, etc. Les îles font les marins, et ceux de
L'île-d'Yeu 'font' le thon. Et dans l'aristocratie du thon, depuis des générations, ils
chassent le thon blanc, le 'germon' qu'on mettait autrefois en conserve sur place. "Il
y a eu jusqu'à 5 usines après la seconde guerre mondiale", précise Michel
Guilloteau, président de l'office de tourisme. Enseignant, venu du continent, celui-ci
observe la vitalité de la population locale à s'accrocher à toute opportunité pour
éviter "le problème des îles qu'est généralement le vieillissement de
la population".
Les premiers touristes, des bourgeois nantais et érudits
L'activité insulaire est bipolaire avec la pêche et le tourisme, depuis longtemps. "L'office
de tourisme est le plus ancien du département. Il a été créé le 25 août 1912, avant
ceux des stations des Sables-d'Olonne et de Noirmoutier. Une élite locale pressentait
qu'un jour la beauté de l'île attirerait une autre population. Le premier public a été
la bourgeoisie nantaise, intelligente, herboriste, qui avait repéré Yeu comme un site
protégé intéressant. La bourgeoisie parisienne a été à son tour avisée. Le secret
de l'île est resté longtemps gardé, jusqu'aux années 50 et la construction des
résidences secondaires."
L'île-d'Yeu, Sainte-Hélène du Maréchal Philippe Pétain - résident secondaire de
contrainte décédé et enterré ici en 1951, allait rompre son splendide isolement dans
les années 60 avec le phénomène du tourisme. Une chance peut-être, une opportunité
certaine. Isolée, la population de l'île était pauvre, "il n'y avait que la
pêche avec de maigres profits". Comme les 'confiseries de thon', l'agriculture,
autarcique, de survivance, sinon cache misère, a disparu. Le tourisme des résidences
secondaires maintient et développe l'activité de l'artisanat du bâtiment. Béton en
moins, par rapport aux stations littorales d'en face, sur le continent. Ici, les normes de
construction sont très strictes, le POS impose un réel respect de l'environnement et
l'architecture est typique : murs blancs, tuiles canal, volets de couleur et roses
trémières.
Le tourisme de passage, ce n'est pas du papier gras
La résidence secondaire, "c'est notre pain blanc pour demain. On n'en a pas pour
25 ans, mais plutôt pour 50 devant nous". Le jeune retraité Michel Guilloteau
voit, avec le papy boom, "de plus en plus de propriétaires qui font de leur
résidence secondaire, leur résidence principale. On souhaite faire une enquête sur
l'impact de la résidence secondaire sur le hors saison. De février à novembre,
l'allongement de la saison se fait sur la résidence secondaire. En février, on voit des
mamies venir demander ce qu'il y a comme activités pour leurs petits-enfants".
C'est sans état d'âme que le président de l'office de tourisme loue pareillement le
tourisme de passage, à la journée, l'antithèse pourtant du tourisme discret et
sélectif de la résidence secondaire : "Le touriste de passage, ce n'est pas du
papier gras, il débarque, prend un vélo - il y en 15 000 dans l'île - et fait le tour
de l'île. Les touristes de passage viennent découvrir, et on sait que souvent, ils
reviendront en location." Les touristes ne choisissent jamais L'île-d'Yeu par
hasard, avoir une résidence secondaire ici, " ça se mérite, ça coûte, tout
est plus compliqué". On ne vient pas en voiture, on la laisse sur le continent,
on charge ses bagages dans des containers, on est tributaire de la mer, des horaires de
bateaux, des horaires de marée. Un tourisme donc au fort pouvoir d'achat, qui s'implique
dans la vie de l'île, au-delà de ce que l'on peut attendre d'un touriste. Ici, on
respecte l'environnement, on recherche la qualité et, on accepte de la payer. C'est vrai,
avec ses itinéraires fléchés, bleu, vert ou orange, c'est le tourisme écologique à
vélo qui mobilise et promène les touristes de la Pointe des Corbeaux à la Pointe du But
en passant par le port de la Meule et la chapelle Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle qui fait
très jolie 'carte postale des îles grecques'. Avec encore 160 espèces d'oiseaux, 750
espèces de fleurs sauvages dont 14 espèces d'orchidées, Yeu n'oublie pas les origines
naturalistes de son économie du tourisme. Tandis que les courriers de la mairie restent
empreints du sceau suranné de l'exergue 'Yeu, lumière et refuge en haute mer'.
H. Front zzz70
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S'y rendre, s'y déplacerw Du continent, à partir de La
Barre-de-Monts, Saint-Gilles-Croix-de-Vie, des Sables-d'Olonne, ou encore de l'île de
Noirmoutier, l'île-d'Yeu est desservie par 5 compagnies maritimes : Yeu Continent (toute
l'année), VIIV (Vedettes Inter-Iles de Vendée), La Compagnie Vendéenne, Le Sabia,
Vedette taxi Amarylis. Durée de la traversée, 1 heure à 1 h 15. |
A l'hôtel Escale : Maguy et Pascal Taraud, professionnels autodidactes28 chambres 2 étoiles, L'Escale est le premier des établissements locaux dans le
rapport capacité/qualité des prestations. Les propriétaires, Maguy et Pascal Taraud, se
sont formés au pied du mur. Elle était comptable, lui électricien. Leur projet de vie
à deux était de vivre dans l'île et d'avoir un hôtel "par passion, par
goût". Ils l'ont créé en 1985 avec 13 chambres et progressivement agrandi
jusqu'à 28. C'est l'établissement de plus grande capacité dans l'île. Ils
l'agrandiraient encore et l'imagineraient avec une piscine. Mais pour le moment, ils sont
trop à l'étroit, question de disponibilité foncière. |
Point de vue |
Aléas et contraintes de l'insularité pour le patron des Bafouettes
Tout en discrétion,
l'établissement gagne du terrain, son nom s'imprègne dans l'île. La notoriété est
acquise auprès des estivants des résidences secondaires qui le fréquentent plutôt en
soirée. Et le bouche à oreille au jour le jour parvient à conquérir le touriste de
passage à l'heure du déjeuner. Le casse-tête de l'approvisionnement |
L'île-d'Yeu en chiffresw 23 km2, 10 km sur sa plus grande longueur, 3, km de
large, l'île est à 20 kilomètres de Saint-Jean-De-Monts. w 37 établissements
répertoriés à la fédération hôtelière de Vendée w Capacité d'hébergement
maximale, selon l'OT |
Un bistrot sur le port, face à la gare maritime, le restaurant gastronomique près de l'héliport : avec deux établissements, Le Père Raballand brille de ses phares de bâbord à tribord des quais de Port-Joinville. Le pater familias, c'est Jean-Yves.
Ce maraîchin né juste en
face sur le continent a épousé une fille de l'île, Maryvonne Bénéteau. Leur fille a
épousé à son tour un continental qui a été rapatrié en famille sur l'île. Le père
et la fille tiennent la barre du restaurant gastronomique Le Père Raballand où le ticket
moyen est de 180 à 200 F. Le gendre et la belle-mère sont au four et au moulin du
Bistrot du Père Raballand (120 à 140 F le ticket moyen) qui capte surtout le touriste de
passage à la journée. "C'est la compagnie VIIV qui amène le plus de monde, au
départ de Fromentine (La-Barre-de-Monts) et de Noirmoutier." Quoique dans les
groupes venus des Sables-d'Olonne par la nouvelle desserte de la vedette rapide Le Sabia,
Le Père Raballand trouve son lot 'de belle clientèle' pour la table haut de gamme.
Deux emplacements et deux clientèles, mais une entreprise unique, sous forme de SARL,
avec un effectif qui monte à 25 salariés pour le point culminant du mois d'août. Dans
le chiffre d'affaires, 8 millions de francs TTC, juillet et août comptent pour 30 %. Le
Bistrot n'est ouvert que pour la saison, d'avril à septembre. En basse saison tout le
monde se replie chez le Père Raballand, et l'effectif est ramené à 10.
Faute de cuisiniers au piano, le Père Raballand réduit la toile
Jean-Yves Raballand a ouvert le restaurant en 1997 dans l'ex-poissonnerie
Yeu Marée. Un ancien bateau de pêche y fait son effet déco locale, face à l'ancienne
halle à marée. L'année suivante il crée le Bistrot par la reprise d'un restaurant.
Pour la première fois cet été, chacun de ses établissements ferme un jour par semaine.
Ce n'est pas une volonté de baisser le rythme, mais une contrainte. "J'ai pris la
décision à la mi-juin, faute de trouver un renfort de 3 cuisiniers professionnels."
Effets en cascade, "j'ai supprimé 8 emplois de salle, et 2 à la plonge. Je vais
perdre 700 000 à 800 000 F de chiffre d'affaires. On faisait 300 à 350 couverts/jour en
août, on va descendre."
Le restaurateur ne recrute pas dans l'île, conséquence pour l'hébergement de son
personnel, il débourse 50 000 à 60 000 F par an. C'est une facture du même ordre
qu'entraîne le surcoût de transport des denrées entre le continent et l'île par bateau
ou hélicoptère. Tout vient du continent.
Il n'y a que le poisson et les produits de la mer en général qui soient à portée de la
main. Tout n'est pas produit de la pêche locale, mais tout est traité avec un
professionnel voisin implanté sur les autres ports de la Vendée. "J'achète à
98 % chez Hennequin (mareyeur et poissonnier local qui a aussi le seul hôtel 3 étoiles
de l'île). Il connaît mes besoins. J'ai avec lui un marché de 750 000 F HT."
Le poisson et les fruits de mer tiennent pratiquement toute la carte de l'été. Ne
figurent que 3 viandes, en bas de page sous le titre 'pour les amateurs'. Ce qui veut
presque dire en l'occurrence 'pour le principe'. Hors saison, on rééquilibre "moitié
viande, moitié poisson". Prenant ses quartiers d'hiver, l'île n'hiberne pas. "Non,
l'île vit.
C'est pas triste, non. Les associations se réveillent, on vit un peu plus pour nous. Je
rattrape la clientèle locale qui nous échappe l'été parce qu'il y a trop de
monde."
Jean-Yves Raballand et une partie de l'équipe du Père Raballand et du Bistrot du
Père Raballand.
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L'Hôtellerie n° 2728 Hebdo 26 Juillet 2001