La crainte d'une riposte militaire paralyse les déplacements. L'industrie du tourisme figure parmi les premières victimes économiques de cette onde de choc. Doit-on craindre les mêmes conséquences que pendant la guerre du Golfe ? =
L'hôtellerie
française semble aujourd'hui mieux armée qu'il y a 10 ans. Dans l'après-midi du 11
septembre, les images des deux tours du World Trade Center en feu ont changé la face du
monde. La première puissance mondiale, préalablement affectée par un sévère
ralentissement économique, semble cette fois-ci prête à mordre la poussière. Sous le
choc, elle vacille. La preuve. Wall Street, le temple de la finance et des affaires, met
la clef sous la porte durant plusieurs jours. Du jamais vu depuis la Première Guerre
mondiale. Pire encore ! L'indice de confiance des consommateurs américains (établi par
l'université du Michigan) atteint son plus bas niveau, se stabilisant à 81,8 à la fin
du mois de septembre.
La peur s'installe dans tous les esprits, y compris en Europe. De part et d'autre de la
planète, on attend une réplique armée. Mais, on la craint également. D'autant plus que
cette perspective de combat s'accompagne d'une vague de licenciements sans précédent. On
dénombre ainsi quelque 100 000 suppressions d'emplois rien que dans le transport aérien
outre-Atlantique. 7 000 autres sont envisagées chez British Airways. Air France gèle ses
embauches... Quant aux opérateurs hôteliers tels Marriott, Accor, Hilton ou encore la
Société du Louvre (Concorde et Envergure), ils révisent eux aussi leurs résultats
annuels, et, dans certains cas, préparent des restructurations.
Très sensible aux événements conjoncturels et géopolitiques, l'industrie du tourisme
figure malheureusement parmi les premiers secteurs d'activité les plus éprouvés par les
actes criminels perpétrés aux Etats-Unis. A tel point d'ailleurs que l'Organisation
mondiale du tourisme (OMT) revoit ses prévisions de croissance à la baisse, prévoyant
1,5 à 2 % pour 2001 contre 2,5 à 3 % initialement prévus.
Traumatisme psychologique
"Les attaques commises sur les villes américaines ont provoqué des
répercussions probablement plus importantes que celles engendrées par n'importe quelle
crise survenue dans le passé", estime l'OMT. De là à imaginer qu'une seconde
guerre du Golfe, amplifiée, se profile à l'horizon, il n'y aurait qu'un pas à franchir.
Certains professionnels du tourisme et de l'hôtellerie n'hésitent pas à le faire,
rapprochant le drame qui s'est déroulé entre 1990 et 1991 à la situation actuelle.
Trois semaines après l'effondrement des Twin Towers, ceux qui accueillent une clientèle
d'origine internationale et plus précisément américaine, tels le haut de gamme parisien
et la Côte d'Azur, engrangent annulations ou, au mieux, reports de manifestations.
A bien y regarder pourtant, les similitudes avec la guerre du Golfe ont leurs limites.
"Pour commencer, l'année 1991 a été marquée par un traumatisme militaire.
L'Amérique était en effet entrée physiquement en guerre. Aujourd'hui, il s'agit plutôt
d'un traumatisme d'ordre psychologique qui entraîne un profond sentiment d'insécurité",
indique Philippe Gauguier du cabinet PKF Consulting France. Et d'ajouter : "C'est
un état qui va bien sûr momentanément freiner les déplacements américains, et dans
une moindre mesure, ceux des Européens. Chacun d'entre nous va cependant apprendre à
vivre avec des normes de sécurité renforcées. Et cette crise devrait en être d'autant
moins durable."
Difficile par ailleurs de comparer le contexte économique général actuel avec la
période de récession survenue lors de la guerre du Golfe. "A commencer par le
prix du pétrole", indique Christian Laporte de KPMG Consulting THL. Tandis que
les Etats-Unis s'engageaient dans une vaste opération militaire en octobre 1990, le baril
de brut frôlait les 40 dollars. Craignant un fléchissement de la demande, les pays
producteurs d'or noir tendent à l'heure actuelle à limiter les dégâts : le prix du
baril oscille donc aux alentours de 23 dollars.
Des mesures budgétaires et monétaires
Un élément non négligeable pour la bonne marche des affaires internationales et la
consommation des ménages. Tout comme le faible niveau de l'inflation ainsi que le rôle
des banques centrales, bien différent en ce moment même de celui tenu voilà 10 ans.
Après les attentats, la Réserve fédérale a effectivement diminué son principal taux
directeur de 50 points de base pour éviter l'enlisement. Et les économistes tablent sur
une nouvelle baisse d'ici à quelques jours. Quant à la Banque centrale européenne
(BCE), elle a suivi le mouvement, réduisant son taux directeur (1) de 4,25 % à 3,75 %.
"En fait, les conditions économiques de 2001 n'ont rien à voir avec celles de
1991. L'économie américaine était déjà très affaiblie avant le 11 septembre dernier.
Des gestes significatifs ont d'ailleurs été pris par les organismes bancaires pour
éviter tout dérapage. L'Europe a elle aussi senti le mouvement venir et a réagi en
conséquence. Ce n'était pas du tout le cas en 1991", constate Philippe
Gauguier. A tout ceci, il faut encore ajouter une agressivité sans précédent de la
politique monétaire de l'autre côté de l'Atlantique afin de booster l'économie.
Ces derniers jours, le Congrès a voté une enveloppe de 40 milliards de dollars, pour
lutter contre les terroristes et rebâtir New York, à laquelle s'adjoint une aide de 15
milliards de dollars en faveur des compagnies aériennes. Et si nécessaire, 100 milliards
de dollars supplémentaires pourraient prochainement être encore remis au pot. De quoi
doper sacrément l'activité économique américaine et remonter le moral des troupes.
Marché hôtelier français assaini
Bon nombre d'économistes pensent d'ailleurs que ces actions volontaristes vont limiter la
récession américaine. Et par là même, rebondir sur l'ensemble des économies
mondiales. Reste à savoir combien tout ceci va prendre de temps et comment la crise
actuelle va affecter le tourisme et l'industrie hôtelière en particulier. "A ce
jour, personne ne peut présumer de l'avenir. Du fait de son fort pourcentage de
clientèle internationale, l'hôtellerie de luxe va naturellement être la première
victime de ces événements. Il est raisonnable d'envisager de - 10 à - 15 % de chiffre
d'affaires sur ce segment", avance Christian Laporte. En témoigne la chute
conséquente observée par les hôtels 4 étoiles et luxe français après l'opération
'Tempête du désert'.
"Ils ont alors respectivement perdu - 9,5 et - 10,9 points", explique
Thierry Maillez, consultant chez KPMG. Et de poursuivre : "Il y a néanmoins des
facteurs encourageants concernant les hôteliers français." D'abord, l'offre
hôtelière hexagonale est loin d'être aussi pléthorique qu'en 1991. Le marché
hôtelier français s'est assaini. Oubliés en effet les avantages des bénéfices
industriels et commerciaux (BIC), hôteliers qui, détournés par des 'pseudo-hôteliers',
avaient donné naissance à des entreprises sans aucune réalité économique. Finies
également les ouvertures d'établissements à la va-vite avec la mise en place de la loi
Raffarin. Sans compter sur la rigueur continue des banques et autres sociétés
d'investissements à l'égard du secteur. Résultat : Par exemple, le parc hôtelier
parisien n'a ainsi augmenté que de 0,4 % entre 1998 et 2000 contre 1,3 % entre 1990 et
1992.
Professionnalisme
Ensuite, l'hôtellerie française s'est sensiblement rajeunie et s'est beaucoup
professionnalisée par rapport à 1991. "Une nouvelle génération d'hôteliers a
pris les commandes. Mieux formés, ces derniers adoptent des méthodes de gestion plus
modernes", souligne un expert. A commencer par trouver un juste équilibre de
leur mix clientèle, utiliser le Yield management, adhérer à des chaînes volontaires,
multiplier les canaux de distribution (GDS, Internet...). "Sans oublier que cette
fois-ci, les professionnels ont senti le vent venir. Et donc, ont pris certaines
décisions en conséquence", confie le représentant de PKF Consulting France.
Il semble enfin que la situation d'endettement des entreprises du secteur se soit
améliorée par rapport à 1991. "Depuis 1996, les capitaux propres se renforcent
au profit de l'endettement dans l'hôtellerie indépendante. La trésorerie s'améliore
elle aussi. Ce n'est certes pas l'opulence ! Mais, c'est tout de même mieux que par le
passé", commente Alain Guyot, responsable des études tourisme à la BDPME.
Signe de cette amélioration, le nombre de défaillances (données brutes par jugement)
dans les CHR a lui aussi sensiblement régressé au cours des dernières années. Il est
ainsi passé de 4 584 en 1999 à 4 178 en 2000. Mais, combien de temps va-t-il falloir
tenir !
C. Cosson zzz20a
(1) Taux auquel les banques centrales interviennent sur les marchés.
Evolution de l'inflation entre 1980 et 2000
Année | Inflation (%) |
---|---|
1980 | 13,6 |
1981 | 13,4 |
1982 | 11,8 |
1983 | 9,7 |
1984 | 7,4 |
1985 | 5,8 |
1986 | 2,6 |
1987 | 3,2 |
1988 | 2,6 |
1989 | 3,7 |
1990 | 3,3 |
1991 | 3,2 |
1992 | 2,4 |
1993 | 2,1 |
1994 | 1,6 |
1995 | 1,7 |
1996 | 2,1 |
1997 | 1,2 |
1998 | 0,7 |
1999 | 0,5 |
2000 | 1,7 |
Source : Insee |
Evolution des taux réels de crédit entre 1980 et 1996 |
||
---|---|---|
Année | Taux réel | Taux nominal (1) |
1980 | - 0,24 | 13,36 |
1981 | 0,12 | 14,12 |
1982 | 5,51 | 15,21 |
1983 | 3,98 | 13,28 |
1984 | 6,18 | 12,88 |
1985 | 7,46 | 12,16 |
1986 | 8,50 | 10,60 |
1987 | 7,18 | 10,28 |
1988 | 6,59 | 9,69 |
1989 | 6,03 | 9,63 |
1990 | 6,69 | 10,09 |
1991 | 6,94 | 10,04 |
1992 | 7,99 | 10,39 |
1993 | 6,88 | 8,98 |
1994 | 6,43 | 8,13 |
1995 | 5,95 | 7,65 |
1996 | 4,35 | 6,05 |
(1) Taux client CEPME dans le secteur du tourisme pour les prêts à moyen et long terme. | ||
Source : Financement du tourisme et de l'hôtellerie en période de mutation (1997) |
Evolution des taux d'occupation de 1989 à 1994 |
||||||
---|---|---|---|---|---|---|
Année |
||||||
France | 1989 | 1990 | 1991 | 1992 | 1993 | 1994 |
4 * luxe | 74,7 % | 71,4 % | 61,9 % | 64,9 % | 61,5 % | 64,1 % |
4 * | 72,8 % | 66,7 % | 55,8 % | 57,8 % | 52,7 % | 60,0 % |
3 * | 72,3 % | 67,4 % | 63,2 % | 62,7 % | 57,9 % | 60,1 % |
2 * | 68,7 % | 69,9 % | 66,4 % | 63,5 % | 59,6 % | 59,6 % |
0/1 * | ND | ND | ND | 56,1 % | 56,8 % | 62,2 % |
Source : L'industrie hôtelière française, KPMG tourisme, hôtellerie, et loisirs |
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L'Hôtellerie n° 2738 Hebdo 4 Octobre 2001