Marc Veyrat tire la sonnette d'alarme
Revenu d'Espagne "enthousiasmé", le Savoyard place ce pays au sommet européen de la cuisine. Il déplore qu'en France "on n'aime pas les créateurs considérés comme dangereux", et évoque son arrivée à Paris à la fin 2002.
Par souci de conservatisme et parce qu'en France, on n'aime pas les créateurs, nous
avons été dépassés.
Marc Veyrat n'est pas homme à pratiquer la langue de bois, aussi, n'hésite-t-il pas à dire tout haut ce que d'autres pensent déjà très bas... L'homme se livre avec sincérité. "J'arrive d'Espagne et d'Italie, et je suis halluciné par les progrès des chefs de ces pays. Je n'ai pas peur de dire que nous ne sommes plus les premiers en gastronomie. Par souci de conservatisme et parce qu'en France, on n'aime pas les créateurs, nous avons été dépassés. Les Gagnaire, Bras, Veyrat, Passard et Rllinger sont tellement considérés comme dangereux qu'on ne les a pas laissés faire des petits. Le problème de la cuisine française aujourd'hui, est là : elle est très conservatrice, et il faut un mouvement général pour reprendre notre première place. Si j'entends respecter la tradition, je veux continuer à avoir mes classiques. J'espère que l'on comprendra que la bonne parole du terroir c'est aussi la créativité. Recréons ensemble un nouveau patrimoine en la mariant avec la tradition classique. J'ai appris ma cuisine à travers deux livres de chevet : La cuisine du marché de Bocuse et La cuisine minceur de Guérard. J'ai suivi la route puis j'ai mis un pied sur le bord pour trouver ma voie."
L'Hôtellerie :
Est-ce à dire qu'aujourd'hui vous reniez cet héritage ?
Marc Veyrat :
Absolument pas. Je ne suis pas contre la tradition, mais contre ces conservateurs
qui tuent les créateurs. Ce qui m'affecte un peu à travers cette cuisine pure et dure
que l'on fait en France, c'est que nous ne sommes plus en tête en Europe. En Espagne, il
y a plein de petits Veyrat (sic). Non, je n'ai rien contre les classiques : bâtissons
ensemble une maison avec la tradition pour les fondations, et laissons les créateurs
monter les murs. Les coups de pied au derrière vont nous faire du bien, mais faisons ce
mariage d'amour.
L'Hôtellerie :
Vous êtes mis à l'honneur par des pâtissiers qui n'oublient pas que vous avez
débuté en pâtisserie, mais déplorent qu'ils soient parfois oubliés...
Marc Veyrat :
C'est vrai. Au risque de faire hurler quelques cuisiniers, j'ai le sentiment que
les pâtissiers sont un peu les parents pauvres de la gastronomie. Pourquoi ne pas
imaginer qu'ils pourraient faire le tour des clients en salle avec le chef ? Moi j'y suis
très favorable... puisqu'en pâtisserie c'est ma fille (rires). Plus sérieusement, je
pense qu'ils sont trop souvent dans l'ombre des chefs alors qu'un certain renouveau peut
passer par la pâtisserie.
L'Hôtellerie :
Parlons de vos restaurants. Avec 7 services hebdomadaires, vous annoncez une saison
exceptionnelle, mais vous affichez aussi les prix les plus chers de France !
Marc Veyrat :
Je le sais, mais j'estime que c'est la récompense finale due à mon personnel que
j'entends payer très correctement. Je suis très dur au travail..., mais j'ai la même
équipe depuis très longtemps. Intellectuellement, il faut être honnête avec le
personnel : des gens imprégnés de la maison doivent être rémunérés en conséquence.
Il y a un aspect social à ne pas négliger qui explique mes 3 jours et demi de fermeture
par semaine. Cela dit, c'est très égoïste de ma part, et je crains que les gens qui ont
fait cette loi n'aient pas pensé que mon cas serait bientôt celui de tous les petits
restaurants... qui ne pourront jamais appliquer mes prix et qui seront alors en perdition.
L'Hôtellerie :
Vous avez annoncé votre intention de vous installer à Paris. Est-ce toujours
d'actualité ?
Marc Veyrat :
Il est encore trop tôt pour le situer avec précision, mais j'ai trouvé un lieu
qui me plaît beaucoup. Je vous confirme que j'aurai 7 établissements en France. Ma
société est à Paris où je suis actuellement du lundi au mercredi et où je passe tous
mes jours de fermeture. Je veux faire un grand restaurant avec un nombre de couverts très
limité, ouvert 4 jours par semaine, fermé en juillet, en août et 1 ou 2 mois l'hiver.
Ce n'est pas pour gagner beaucoup d'argent, mais je considère Paris comme un passage
obligé. Même si mon identité est à Megève ou à Manigod, je vais aller à Paris comme
si... je me rendais à la messe pour prêcher une bonne nouvelle (sic). Si tout se passe
comme prévu, j'espère pouvoir ouvrir à la fin de l'année 2002.
Propos recueillis par J.-F. Mesplède zzz22c zzz22v
(1) Fondée en 1999, l'association Sensibilité Gourmande regroupe les pâtissiers de restaurants. Elle compte aujourd'hui 32 membres.
Une saison
exceptionnelle
S'il admet que l'attentat de New York lui a fait perdre 500 000 francs de CA,
Marc Veyrat parle d'une saison exceptionnelle. "C'est hors du commun, et je veux y
voir l'effet des 6 étoiles", dit-il, rappelant que le ticket moyen à Veyrier ou
Megève oscille de 1 600 à 2 300 francs, tandis que les chambres coûtent 3 800 francs à
Veyrier-du-Lac... en attendant les dix appartements de Megève qui seront vendus 10 000
francs la nuit !
"Nous avons eu 100 % de remplissage avec 2 mois de réservations à l'Eridan et 3
mois à Megève (qui rouvrira pour la saison hivernale le 15 décembre prochain). A
l'exception de juillet et d'août où nous n'avions que 2 jours de fermeture hebdomadaire,
nous fermons 3 jours et demi par semaine", explique Marc Veyrat qui précise que
les "résultats bénéficiaires de sa société de conseil représentent le triple
de ce que dégagent ses deux affaires réunies". Pour l'Auberge de l'Eridan et la
Ferme de mon Père, Marc Veyrat évoque un CA de 60 MF.
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L'Hôtellerie n° 2739 Hebdo 11 Octobre 2001