Quand les Français s'installent en Californie
Ils avaient quitté la France pour voir du pays, pour découvrir l'Amérique et apprendre l'anglais... Parce qu'ils ont été conquis par le mode de vie, parce qu'ils ont été entreprenants, ils se sont installés et sont aujourd'hui des restaurateurs de renom, heureux d'avoir choisi la Californie. Pour eux, pas question de revenir en France autrement que... pour quelques jours de vacances...
Philippe Jeanty (Yountville).
Ils ne sont jamais
partis avec l'idée de s'y installer, dans l'espoir de créer leur entreprise. C'est parce
qu'ils ont su profiter des opportunités que leur offrait l'Amérique qu'ils y sont
restés. Sans voir le temps passer, ils ont créé leur première affaire... et les
suivantes... Leur regard sur leur choix, mais aussi sur la manière dont a évolué la
restauration en France, est toujours intéressant. Originaire d'Epernay, Philippe Jeanty
est venu en Californie en même temps que Moët & Chandon. Normal, il avait fait son
apprentissage chez eux, en Champagne, en cuisine, en 1972. La célèbre maison de
champagne s'installait à Napa Valley et créait le domaine Chandon, en 1977. Philippe,
jeune cuisinier, traversait alors l'Atlantique ! Il aurait pu tomber beaucoup plus mal ;
la transition était agréable, le climat, les conditions de vie, tout dans cette superbe
Napa Valley est fait pour que le mal du pays soit le moins douloureux possible... Il
restera 20 ans au Domaine Chandon avant de décider de voler de ses propres ailes. Il
s'est installé au cur de Napa, à Yountville, petite bourgade de 3 500 habitants
qui compte 1 500 citoyens dans sa maison de retraite... des retraités nantis, gourmands,
qui apprécient particulièrement les plaisirs de la table : la preuve en est le nombre et
le niveau de qualité des restaurants installés dans le village. Ils sont 14, dont un
Relais Gourmand, The French Laundry, où il est nécessaire de réserver plusieurs
semaines à l'avance pour espérer avoir une table... Philippe Jeanty n'a rien à envier
au succès que rencontre Thomas Keller dans son Relais Gourmand, lui qui, à l'enseigne du
Bistro Jeanty, réalise entre 300 et 500 couverts chaque jour... de 11 h 30 le matin à 22
h 30 le soir avec 60 places dans le restaurant ! Ouvert en continu tous les jours, son
restaurant ne désemplit pas... "Les gens viennent retrouver un peu de France ici",
explique Philippe Jeanty qui a tout fait, tant au niveau du décor que de la carte ou de
l'accueil, pour que le dépaysement soit réel. Baby-foot, triporteur, boulangerie, zinc
de bistrot, le tout pour une carte simple, typique, sans prétention, mais copieuse,
amusante et bonne. Au Bistro Jeanty, on sert 750 kg de daube par semaine, mais aussi des
moules marinières, des rillettes de canard et des crêpes Suzette et l'on y boit du
pastis, du Lillet, des vins de France, et bien sûr, d'excellents vins locaux, Yountville
est au cur de Napa Valley. La demande de la clientèle se confirme : c'est de la
cuisine provençale qu'ils demandent, qu'ils redemandent. Certains viennent au restaurant
pour préparer un voyage en France, "à Paris et en Provence", observe
Philippe Jeanty, d'autres viennent pour y retrouver le goût de leur séjour dans
l'Hexagone. Incontestablement, Philippe Jeanty a parfaitement réussi, son équipe tourne,
le restaurant est renommé et la rentabilité excellente. Côté goût : les clients
américains viennent certes retrouver le Vieux Continent ici, mais ce n'est pas pour
autant qu'il faille leur servir exactement la même chose : "Il faut savoir
s'adapter en Californie, s'adapter à ce qu'attendent les clients, s'adapter à leur mode
de vie mais aussi aux produits et à leur goût." Côté produits, les temps ont
bien changé depuis l'époque où il est arrivé en Californie et où il devait faire
venir les produits de France pour travailler. "Depuis 1983, on trouve tout ce dont
on a besoin, tant en quantité qu'en qualité", explique celui qui sait mieux que
personne faire des affaires. L'heure du développement a sonné, et sans vouloir
reproduire le Bistro Jeanty à l'image de ce que font les chaînes de restauration,
Philippe sait vendre son nom, son savoir-faire, sa 'french touch'. Il est en train
d'ouvrir, avec quelques mois de retard sur le calendrier chamboulé par les événements
du 11 septembre dernier, un nouvel établissement au cur de San Francisco, Jeanty at
Jack.
Pour Georges Aknin, le Marseillais le plus sympathique de San Francisco, c'est sous le
signe de la mode qu'il a posé ses valises, pleines de jeans, en Californie. Comme lui,
d'autres Français sont partis pour vendre aux Américains des jeans dont la coupe,
'french touch', faisait un tabac ! Si le créateur de Guess est resté dans le secteur du
prêt-à-porter, Georges, lui, a vite changé de cap et s'est orienté vers la
restauration. Finie l'unité de fabrication de jeans, c'est sur le haut de San Francisco,
sur Nob Hill, qu'il ouvre en 1979 son premier restaurant français. "C'était
très modeste, se souvient-il d'un grand sourire qui ne le quitte jamais. J'avais 7
tables et 22 chaises, rien de plus..." Le menu est français bien sûr et il
renouvelle les tables 2 à 3 fois pour chaque repas, et arrive facilement à une centaine
de couverts par jour... Sa renommée est faite, et il déménage au sud de Market street
avant de revenir sur Nob Hill, où, avec son partenaire financier, il crée Le Bistrot at
Gramercy en 1998. Un endroit chic et chaleureux.
David Bastide (à gauche) et Georges Aknin. Le Bistrot at Gramercy (San
Francisco).
"En 20 ans, les choses avaient beaucoup changé en matière de restauration et
surtout dans le rapport qu'avaient les Américains avec la cuisine française,
explique-t-il. Dans les années 80, les restaurants français avaient une image
pompeuse, de cherté ; rien d'étonnant à ce que la plupart aient fermé faute de
clients. Les Italiens sont arrivés, ont raflé la mise avec une cuisine beaucoup plus
simple, bon marché et goûteuse... Pendant 10 ans, il n'y a presque plus eu de
restaurants français ici. Le renouveau est venu de jeunes professionnels arrivés de
France pour créer des bistrots. Ils ont racheté à Paris de vieilles maisons qui
fermaient, les vieux meubles, les vieux zincs, ils ont tout ramené ici, créant une
ambiance nouvelle, authentique comme leur cuisine simple et bon marché. C'est ce qui a
séduit tout le monde." Georges ne va pas être en reste et va lui aussi profiter
de cette vague de sympathie pour créer un lieu à son image : chaleureux et
définitivement français. "Nous avions une collection de vieux menus de
restaurants parisiens, nous avons imaginé le décor et la carte autour de ces menus",
explique-t-il. Et c'est très réussi ! Les clients ne s'y trompent pas, eux qui viennent
aussi bien pour boire un verre - l'ambiance y est des plus sympathiques, on a l'impression
d'arriver chez des amis - mais aussi pour y dîner, la table y est excellente. Une carte
digne d'un restaurant français, tant du côté des vins que des menus. David Bastide, un
jeune Sétois, tient sa cuisine avec une main de maître, et fait admirablement équipe
avec Georges Aknin, qui, en salle, n'a pas son pareil pour accueillir les clients, mais
aussi pour les faire rire, leur faire découvrir les vins français, les recettes
françaises, la France tout simplement. Irrésistible Georges Aknin, aussi bien pour les
Américaines que pour les Américains... Un ambassadeur hors pair ! La place est
d'ailleurs des plus appréciées de tous les Américains qui aiment venir en France, mais
aussi des Français, qu'ils fassent des affaires, qu'ils soient diplomates où simplement
touristes... ils ont fait du Bistrot un petit coin de France.
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Le Bistrot at Gramercy
1 177 California St.
San Francisco CA 94108
Tél. : 00 1 415 474 2000
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L'Hôtellerie n° 2759 Hebdo 7 Mars 2002 Copyright ©