Le patron de plusieurs brasseries phares de la ville monte un restaurant italien dans le vieux Lille. Amateur d'une vraie restauration qu'il affirme condamnée, il crée des concepts à succès dans le mode économique qu'il considère être le seul avenir viable.
Marc Lelieur, discret à droite derrière son équipe de la Paix dont il est si
fier.
Marc Lelieur refait
des siennes. Le créateur des 400 coups, un concept à gros rendement qui ne désemplit
pas dans deux sites à Lille, a repris et relancé en octobre 2000 la Brasserie de la
Paix, mitoyenne de la Brasserie La Chicorée, son vaisseau amiral, et la Brasserie Flore
(lire L'Hôtellerie n° 2660 du 6 avril 2000). Il prépare le concept qui prendra
la vaste place de l'ex-Taverne de Maître Kanter, place de Béthune. Il réalise en outre
une nouvelle opération immobilière place Louise de Bettignies dans le vieux Lille près
du palais de justice, et y installera le jeune exploitant d'un nouveau concept italien,
l'un de ses proches collaborateurs depuis 10 ans. La recette de l'essaimage se répète
d'ailleurs. Lelieur a déjà mis 3 de ses proches restaurateurs sur orbite. Le premier 400
coups est vendu. Marc Lelieur contrôle l'immobilier du second, mais ne l'exploite pas, un
jeune talent s'y fait les dents de patron. Dans le lancement de la future Taverne, Patrick
Buret, l'expérimenté directeur de La Chicorée, sera son associé.
La Brasserie de la Paix est une affaire comme Lelieur les aime. Une brasserie de haut
niveau, créée par une ancienne figure locale de la profession, M. Malapelle, animée
"par une équipe de vrais professionnels", commente le patron. Du
traditionnel à la parisienne, banc d'écailler à l'entrée, décor sans toc. Sans perdre
le caractère des boiseries en bois d'arbres fruitiers et des faïences de Desvres,
l'équipe Lelieur y a remis du confort, a agrandi les tables, changé les sièges, et le
service de table. Le personnel dirigé par Didier Delassus est habillé et agit de
manière classique, sans esbroufe. Le ticket moyen à 32 e semble un peu bas par rapport
à l'allure de l'établissement, avec des menus au rapport qualité/prix très attractif
à partir de 15 e, et une carte des vins à très petits coefficients autour de 18 à 23
e. Pour une clientèle peu nombreuse mais peu regardante, la carte permet de monter en
gamme avec, par exemple, une carte des vins de prestige entre 56 à 192 e. "Il
fallait d'abord remonter l'affaire", répond Marc Lelieur, qui dit avoir gagné
70 % de chiffre d'affaires, mais en ayant embauché 4 professionnels. Propriétaire du
fonds et des murs place Rihour, l'emplacement numéro 1 de la capitale des Flandres, il
peut regarder cette troisième affaire traditionnelle comme un investissement. Et faire ce
qu'il aime, avec des gens qui connaissent le métier. Au Flore, à La Chicorée et à la
Paix, pas un rang sans son chef, et la cuisine est fraîche. Mais il ne croit pas pouvoir
en retirer une marge opérationnelle satisfaisante. Surtout avec un service taxé qui
ampute cette marge de 3 %. "Dans le long terme, si rien ne change sur les charges
et la TVA, et si la RTT pure et dure est appliquée, la restauration authentique n'est
plus viable", affirme-t-il. "Nous avons acheté cette affaire avec un
ratio frais de personnel sur CA de 55 %, et nous l'avons descendu à 45 %. Cela reste
encore bien trop haut. Il est presque impossible de faire mieux en restant dans le vrai
métier, avec des gens qui savent proposer, vendre et servir un vin", tempête
Lelieur, révolté.
L'autre métier
Il juge l'effet négatif d'une augmentation des prix sur la demande très puissante.
"3 % de hausse de ticket moyen au Flore, 3 % de baisse du volume", jette
Marc Lelieur. Sans baisse des charges, point de salut. Sauf si l'on renonce au vrai
métier. L'autre métier, c'est ce qui a si bien réussi aux 400 coups : de grands volumes
en multiple de 100 couverts par service à 14,02 e le ticket, 3 professionnels sur 12
emplois, 32 % de frais de personnel, 33 % d'achats, la marge est correcte, les
investissements s'amortissent vite, l'immobilier prend de la valeur, l'affaire se revend
bien. Il faut une cuisine d'assemblage astucieuse, régulière et bonne, une carte et un
service très simples, réalisables par n'importe qui ou presque, moyennant une formation
standardisée. Là-dessus, des fiches techniques de premier ordre, des achats rigoureux et
normés, et le respect d'une bible d'exécution scrupuleuse, la chasse au gaspi, et la
course contrôlée à la productivité. Le clonage des 400 coups a réussi une fois à
Lille, ce n'est pas un hasard. "Le professionnalisme est dans la conception, c'est
tout", tranche-t-il, impitoyable. C'est tout, mais c'est beaucoup. Il faudra
récidiver place de Béthune, dans un espace qui permet sur plusieurs étages de loger 400
convives, soit 2 000 couverts possibles un samedi. Début octobre, Marc Lelieur hésitait
entre un ou deux concepts sous ce même toit de l'ex-Taverne. Il vise là encore un ticket
moyen de 13,7 e, et de véritables standards de chaîne en semi-industriel. Un taylorisme
qui permet, par exemple, de pratiquer la RTT à géométrie variable en accord avec le
personnel, "ce qui est rigoureusement impossible en traditionnel avec des gens qui
assurent le contact avec les clients et veulent légitimement bien gagner leur vie".
Place Louise de Bettignies, les Lillois découvriront un restaurant à thème italien, de
style très métropolitain, à cuisine ouverte et éléments discrets d'assemblage, à
façon très simple permettant, là aussi, d'esquiver l'écueil d'avoir à embaucher à
100 % du personnel très qualifié. Ils se sentiront sans doute à 100 % dans un vrai
restaurant, mais pour Marc Lelieur, ce sera avant tout une affaire viable, qui donnera de
la valeur à un immeuble. C'est un autre métier.
A. Simoneau zzz22r
En chiffres Octobre 2000 |
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L'Hôtellerie n° 2760 Hebdo 14 Mars 2002 Copyright ©