Paul Bocuse
Pour le Primat des Gueules, le phénomène de copie n'est pas nouveau. Qu'y faire ? Simplement poursuivre sa route pour continuer à progresser. C'est aussi le sentiment de Marc Haeberlin.
Propos recueillis par J.-F. Mesplède
Paul Bocuse ne dédaigne pas
le style lapidaire, et il y a gros à parier qu'un jour on réunira ses aphorismes dans un
recueil. "Quand un type copie, il ne voit que le c... de l'autre (sic)",
lâche-t-il en préambule. Mais il est évident pourtant qu'il a une plus vaste idée sur
la question. "Si l'on regarde les livres de cuisine, il y a toujours quelque chose
de similaire. Prenez le Gringoire et Saulnier, et vous y trouverez des tas de
recettes. Chez nous, on ne copie rien, mais quand c'est bien, on fait pareil... et on le
cite (rire). Ma crème brûlée, je mets Sirio (1), ce qui me semble la moindre des
choses. Pour la volaille demi-deuil, on indique que la Mère Brazier l'avait prise chez la
Mère Fillioux qui, elle-même, l'avait prise à qui ?
Et Fernand Point râlait déjà contre Raymond Thuilier (2). J'ai toujours entendu ça.
Lorsque j'étais chez Lucas-Carton, on prenait des recettes codifiées par Escoffier !
Aujourd'hui, je pense que c'est tellement dur que tout le monde se débrouille."
Sans doute. Mais n'y a-t-il pas une forme de tricherie et ne serait-il pas préférable
qu'il existe une déontologie ? "Vous savez, quand quelque chose marche, les gens
font pareil. Chez moi, je possède une chaise imaginée par Philippe Starck mais copiée
en Chine. Et pour la réaliser, Starck s'était largement inspiré d'une chaise de la
Royal Navy. Pour notre brasserie L'Est, nous avons pris des idées au California Grill à
Orlando. Pour en revenir à la cuisine, Point faisait un saumon en croûte. Plus tard,
Outhier, qui avait travaillé chez lui à Vienne, a fait son succès avec un loup en
croûte. Presque tout a été fait, et le seul grand changement de la cuisine est que nous
disposons aujourd'hui de beaucoup de bons produits. Il faut rechercher la qualité du
produit. C'est sans doute le plus dur, mais lorsqu'on l'a ! On a parlé un jour de
déposer les recettes. Moi je veux bien, mais déposer quoi ?
Il y a toujours une influence. Savez-vous comment j'ai créé la soupe aux truffes ? Chez
les Dumas qui me fournissaient les truffes en Ardèche, on faisait une râpée de truffes
fraîches dans la soupe de légumes et c'était excellent. Plus tard, j'ai goûté chez
Paul Haeberlin une truffe Souvaroff, avec fond de sauce Périgueux et recouverte d'un
feuilletage. J'ai choisi de faire un mélange de ces deux recettes dans une petite
soupière lyonnaise, avec une mirepoix au lieu de la soupe, un consommé de volaille et du
Noilly Prat."
Marc Haeberlin intervient : "Mon père avait appris la recette chez Edouard Weber,
ancien cuisinier des tsars, installé à la Pépinière à Ribeauvillé. Je crois que l'on
s'inspire de ce que l'on a vu, de ce que l'on a appris. C'est vrai que si l'on fait
exactement pareil, on met le nom comme un clin d'il. Je sais qu'à travers la
chambre syndicale, l'idée avait été lancée de déposer des recettes, un plat par mois.
Mais l'avocat qui avait été consulté nous avait expliqué que ça ne tenait pas la
route. Je crois qu'il faut toujours se souvenir du mot de Coco Chanel qui affirmait que
tant qu'on nous copie, c'est que l'on vaut quelque chose."
Et Paul Bocuse de conclure : "C'est formidable qu'il y ait une influence et je
suis sûr que Philippe Gauvreau a déjà trouvé autre chose." zzz18p
(1) C'est un hommage à Sirio Maccioni, célèbre patron du Cirque à New York.
(2) Dans l'immédiat après-guerre à la Pyramide à Vienne dans l'Isère, Fernand Point
vit passer tous les jeunes talents de son époque (Bocuse, Troisgros, Outhier, Chapel,
Bise...).
Assureur à Lyon, Raymond Thuilier choisit, au cap de la cinquantaine, de sacrifier à sa
passion de la cuisine, et créa l'Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence.
Recettes, plagiat,
espionnage ou inspiration ?
Alain Senderens, "On s'inspire
toujours de quelques chose..."
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L'Hôtellerie n° 2766 Hebdo 25 Avril 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE