Claude Labbé, 64 ans
De
fines lunettes au contour doré cachent un regard vif, des yeux à tout. Réflexe
professionnel. Dans le métier, pour réussir, il faut être partout. Faire attention au
client, au personnel, au service, aux fournisseurs, aux achats, aux contrats. Etre sur le
qui-vive, de l'ouverture à la fermeture. Dur boulot. Et pourtant, lui, il l'a choisi et
l'a toujours aimé, voulu, défendu. A 20 ans, il entre comme commis dans un bistrot de
Clichy, en banlieue parisienne. Très vite, il fait ses preuves. Le voici garçon de
comptoir puis de salle au Bastos, rue Caulaincourt à Paris. Claude Labbé en veut. Jamais
il ne rechigne. En 1965, sa jeune épouse, Monique, et lui sont recrutés comme gérants
appointés par Monsieur Bessière père*, alors propriétaire du Canon de la Nation, place
de la Nation. 4 ans plus tard, le couple prend une gérance libre à la porte des Lilas.
Une année passe. Claude Labbé, dont les objectifs sont clairs, se lance alors dans
l'acquisition d'une affaire. A Pantin, près de la mairie. Le couple va y rester 14 ans et
demi... Une longévité appréciée. Claude Labbé se construit une solide réputation.
André Richard lui fait confiance. Lorsque le bistrotier sent le besoin de bouger, de
revenir dans la capitale, la maison Richard l'aide dans sa quête.
En 1986, nouvelle étape dans le parcours de Claude Labbé. Lui, qui est
traditionnellement mesuré, circonspect, prudent, agit sur un coup de cur : le
Café-Tabac des 2 Moulins, rue Lepic, dans le XVIIIe arrondissement, est à vendre. Il
l'achète. "Le tabac n'était pas dans mes ambitions", confie-t-il.
Malgré cela, il le conserve.
Onze années passent. Les Labbé font désormais partie du village montmartrois. Un
quartier partagé entre une clientèle de proximité et de touristes, débarquant par
wagons entiers. Pas toujours facile à gérer. "Il faut savoir préserver les
habitués", fait remarquer le patron des 2 Moulins.
Celui-ci entreprend une rénovation de l'établissement. De nouveaux luminaires sont
posés. L'espace tabac est modernisé. La cuisine, aménagée lors de l'acquisition, voit
l'installation d'une ventilation. "La cuisine a été un poste essentiel lorsque
j'ai repris l'affaire, se souvient Claude Labbé. J'ai tout de suite mis en place
une carte traditionnelle avec plat du jour et ça a fonctionné. C'était nouveau à
l'époque."
"J'ai vécu avec ce film une expérience unique et magnifique", témoigne
Claude Labbé.
Le 3e film
La rue Lepic bénéficie d'une jolie clientèle locale. Comédiens, publicistes,
créateurs en tout genre. Des professionnels du grand et du petit écran qui se sont pris
d'amitié, voire d'affection pour le bistrot. Claude Labbé a souvent été sollicité
pour des tournages. "Le cadre s'y prête." Mais il a rarement répondu
par l'affirmative. La première fois qu'il a accepté, c'était pour un long métrage avec
Peter O'Tool et Hippolyte Girardeau. Le deuxième tournage remonte à 8 ans. Un film avec
Isabelle Adjani. En octobre 1999, Jean-Pierre Jeunet vient déjeuner en voisin. Il parle
à Myriam - la fille Labbé - de son projet, des scènes qui pourraient voir le jour aux 2
Moulins. "Mon père ne voudra jamais", réplique-t-elle. Le cinéaste ne
baisse toutefois pas les bras. Il revient à la charge un peu plus tard. "Cela
devait se faire en mai 2000, en pleine saison pour le quartier. Je ne pouvais pas imposer
un tel chambardement aux autres commerces", explique Claude Labbé. Mais Jeunet
se montre tenace. Lui aussi appartient au quartier. Il promet un minimum de gène et aucun
camion dans les parages... "J'ai interrogé la clientèle, qui, contrairement à
ce que je craignais, m'a encouragé à le faire. Beaucoup appréciaient que leur cantine
devienne un décor de cinéma. J'ai fini par accepter." Après, toutefois, une
réunion avec l'Association des commerçants. Pas de câbles sur les trottoirs, pas de
tournage le week-end ni à l'heure des livraisons... Chose promise, chose due. Les prises
de vue du Fabuleux destin d'Amélie Poulain se déroulent sans encombre.
"J'ai vécu avec ce film une expérience unique et magnifique, témoigne
Claude Labbé. Aujourd'hui, on vient des Etats-Unis pour visiter les 2 Moulins.
Jean-Pierre Jeunet a su parfaitement retranscrire le charme des cafés parisiens et toute
la poésie du quartier." Bien vrai. En 2003, un nouvel hôte prendra possession
des 2 Moulins. Lorsque nous avons rencontré Claude Labbé, celui-ci n'a pas souhaité
dévoiler le nom du futur propriétaire. Deux certitudes : l'homme détient un autre
bistrot de caractère dans la capitale, et Claude Labbé l'a rencontré par
l'intermédiaire d'Arnaud Richard. Un gage de professionnalisme. Claude Labbé qui n'a pas
signé avec le plus offrant, mais avec le plus "à même de préserver le café
d'Amélie".
S. Soubes zzz24 zzz18p
*Michel Bessière, le fils, est aujourd'hui propriétaire du Wepler à Paris et est membre actif du Synhorcat.
En dates * Naissance en 1938
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L'Hôtellerie n° 2794 Hebdo 7 Novembre 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE