du 10 avril 2003 |
L'ÉVÉNEMENT |
Pour avoir servi l'équivalent de 8 verres de blanc cassis à un habitué qui a causé un accident de voiture mortel après avoir quitté son bar, un cafetier de Varanges a été condamné à 2 mois de prison avec sursis pour complicité de conduite en état alcoolique. Un cas d'école qui pourrait faire jurisprudence.
Patrick Audard, avocat du cafetier
Dans la soirée du
3 octobre 2002, Philippe Schehr, un habitué du café de Varanges, après avoir bu ces 2
chopines de blanc cassis, quitte l'établissement pour rentrer chez lui. 2 kilomètres
plus loin, à la sortie du village, il rentrera en collision avec une voiture arrivant en
sens inverse, dans laquelle se trouvaient 3 jeunes âgés respectivement de 17, 18 et 25
ans. Les deux passagers seront tués sur le coup et le conducteur décédera quelques
jours plus tard. Outre la vitesse excessive - 130 km/h -, la gendarmerie effectuera un
prélèvement qui révélera un taux d'alcoolémie de 4 grammes. Entendu et mis en examen,
Philippe Schehr déclara sortir de l'établissement de Marc Bauduin.
Dès le 7 octobre au matin, le cafetier est interpellé sur son lieu de travail et placé
en garde-à-vue. En raison du fort taux d'alcoolémie de son client, il est soupçonné
d'avoir enivré gravement son client. Il déclarera n'avoir servi que 2 chopines de blanc
cassis d'une contenance de 37,5 cl chacune. Le soir même, il sera mis en examen pour
complicité du délit de conduite sous l'empire d'un état alcoolique commis par Monsieur
Schehr. Il fera aussi l'objet d'un placement sous contrôle judiciaire qui lui interdira
de "gérer un débit de boissons ou d'être employé dans un débit de boissons,
afin de prévenir le renouvellement de l'infraction dans la mesure où il a reconnu, dans
son audition, servir habituellement des quantités importantes d'alcool à Philippe
Schehr, mais aussi à d'autres clients qui ne résidaient pas à Varanges". Son
établissement est toujours fermé depuis cette date.
Une audience très suivie
Si, malheureusement, la poursuite d'un individu pour conduite sous l'emprise d'un état
alcoolique, même avec un taux élevé de 4 grammes dans le sang qui a entraîné la mort
de 3 jeunes, est tristement banale dans les tribunaux, la condamnation pour complicité
d'un débitant de boissons est une première.
La présidente, Marie-Christine Bertrand, rappellera les faits et entendra les
explications des deux prévenus. Elle demandera au cafetier, Marc Bauduin : "Vous
avez servi 2 chopines de 37,5 cl de kir à Philippe Schehr !" "Oui !",
reconnaîtra le cafetier.
"Vous connaissiez bien monsieur Schehr, puisqu'il venait 4 à 5 fois par semaine
dans votre établissement. Pensiez-vous qu'avec la consommation de tous ces verres, il
pouvait continuer à rouler en voiture ? Vous considérez-vous comme complice ?",
lui demandera la présidente.
"Non ! Car pour être complice, il faut le faire exprès, et je n'ai fait que mon
métier comme tous les cafetiers en France", précisera Marc Bauduin.
"Vous avez déclaré, le problème avec lui, c'est que je ne sais pas s'il est à
jeun ou ivre." "Mais si vous buviez 2 chopines vous-même, vous ne prendriez pas
votre véhicule", lui demande alors la présidente.
"On m'a dit qu'il avait 4 grammes, mais je n'ai rien vu d'anormal dans son
état", répondra le débitant de boissons. "Vous ne lui avez jamais
proposé de le ramener ?", insistera-t-elle.
"Non, je l'ai fait souvent, mais pas ce jour-là, car pour moi, il n'était pas
ivre. Si j'avais su, je l'aurais fait", précisera Marc Bauduin, abattu.
Un but pédagogique
Le substitut du procureur, Boris Duffau, commencera son réquisitoire en précisant qu'en
matière de conduite en état alcoolique, le parquet de Dijon a adopté une politique de
tolérance 0. "Il est intolérable de prendre le volant avec de l'alcool. Ce genre
d'audience doit avoir un but pédagogique, et le discours que nous tenons doit se propager
au niveau national." Et de rappeler que 13 % des accidents en Côte-d'Or sont
liés à l'alcool.
Si les faits reprochés à Philippe Schehr sont indéniables, le substitut du procureur
s'étendra beaucoup plus longtemps afin de justifier la complicité du débitant de
boissons, et de démontrer que tous les éléments constitutifs de la complicité sont
réunis.
Il rappelle que la complicité est légale puisque définie par l'article L.121.7 du Code
pénal, qui prévoit qu'est "complice d'un crime ou d'un délit, la personne qui
sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la
consommation".
Est complice la personne qui fournit aide ou assistance à l'auteur principal. "Il
faut un élément matériel qui consiste ici dans le fait d'avoir servi de l'alcool en
grande quantité (et non pas seulement le fait d'avoir servi de l'alcool), précise-t-il.
On lui reproche d'avoir servi une telle quantité d'alcool, 2 chopines de 37,5 cl, ce qui
entraînait forcément la conduite en état d'ébriété, car cela correspond à 8 verres
au lieu des 3 autorisés. Ce qui conduit déjà l'automobiliste à avoir un taux de 2,4
grammes, ce qui est largement supérieur à la limite autorisée."
Pas un coup médiatique
Pour le parquet, l'élément intentionnel est lui aussi caractérisé dans ce dossier. "monsieur
Baudoin sert monsieur Schehr en sachant pertinemment que celui-ci va reprendre son
véhicule pour rentrer chez lui, à 4 km du bar. Il prend le risque de servir tout ce vin
non pas à un simple consommateur, mais à un habitué dont il ne pouvait ignorer qu'il
allait reprendre sa voiture pour rentrer chez lui." Et de fustiger les arguments
de défense du cafetier : "Un professionnel ne peut pas dire que, pour faire vivre
son commerce, il est obligé de servir une telle quantité d'alcool à un client."
"Tous les éléments sont réunis ici pour constituer le délit de complicité. Il
ne s'agit pas d'un coup médiatique, mais bien d'un cas d'espèce qui réunit tous les
éléments. Il s'agit d'un professionnel qui doit respecter le Code des débits de
boissons. Il ne pouvait ignorer qu'en servant autant d'alcool à son client, celui-ci
dépasserait le taux légal pour ensuite reprendre son véhicule", déclare Boris
Duffau, qui demandera une peine de 6 mois de prison assortie d'un sursis simple pour le
débitant de boissons.
Lors d'une suspension d'audience, le procureur, Jean-Pierre Alacchi, qui a instruit le
dossier, viendra s'entretenir avec son substitut et profitera de l'occasion pour rappeler
sa position à la presse : "Il s'agit d'une affaire simple et grave à la fois.
Cet homme est sorti du café à 20 h 30 et a eu son accident à 20 h 45. Il s'agit d'un
cas d'école, le cafetier est un professionnel et non un particulier qui a servi une trop
grande quantité d'alcool à un automobiliste qu'il connaissait bien. Cette quantité
correspond à 8 verres. On est largement au-dessus du taux légal. Avec cette quantité
d'alcool, le client atteint un taux de 2,4 grammes, largement supérieur à la limite
autorisée." Et de rappeler que vendre de l'alcool, ce n'est pas vendre n'importe
quoi : "Il existe une réglementation sur la vente de l'alcool qui interdit
notamment de vendre de l'alcool à des mineurs."
"Pourquoi tant de bruit ?"
"Pourquoi tant de bruit ?", déclarera Patrick Audard, l'avocat de Marc
Bauduin. Il rappelle que le commerce de vente de boissons est une profession réglementée
par le Code des débits de boissons. Que ce même code réprime dans son article R6 les
responsables d'établissement qui servent un client en état d'ivresse manifeste. Mais ce
texte n'a pas été utilisé par le parquet, car rien dans les auditions n'a permis
d'établir que monsieur Schehr présentait un état manifeste d'ivresse. L'avocat déplore
que le parquet ait retenu l'infraction de complicité de conduite sous l'empire d'un état
alcoolique, alors que le cafetier n'avait pas la volonté de s'associer à la constitution
effective du délit. "Il serait plus juste qu'il soit clairement et légalement
interdit de servir plus de 3 verres à un client, sans parler du problème de la
consommation du dernier verre dans un débit de boissons. Ce type de raisonnement
conduit "toute personne qui sert plus de 3 verres à être potentiellement
complice de conduite en état alcoolique". Il demandera la relaxe de son client.
C'est tard dans la soirée que le tribunal rendra son jugement : le chauffard, Philippe
Schehr, écopera de 3 ans de prison dont 18 mois avec sursis, une annulation de son permis
de conduire assortie d'une interdiction de le représenter avant un délai minimum de 5
ans. Quant à Marc Bauduin, le cafetier, il aura 2 mois de prison avec sursis.
Les parties ont jusqu'à lundi 14 avril pour faire appel de cette décision. Le procureur
Jean-Pierre Alacchi aurait déclaré à la presse locale qu'il trouvait "cette
décision trop clémente, mais ne souhaitait pas faire appel sous la colère".
Quant à Marc Bauduin, effondré par cette affaire, il n'a toujours pas pris sa décision,
jeté l'éponge ou fait appel pour le principe.
P. Carbillet zzz26v
Pourquoi les cafetiers sont-ils responsables ?
"J'ai pu lire dans la presse que dans le cadre d'un mariage, il serait possible
de poursuivre les mariés si les invités repartent en conduisant avec un taux
d'alcoolémie important. Il ne faut pas tout mélanger. Les mariés mettent seulement à
disposition de l'alcool, ils ne servent pas, ce n'est pas la même chose. Ici, dans cette
affaire, le cafetier sert sciemment d'importantes quantités d'alcool. Cette action n'est
pas dirigée contre lui personnellement. Il faut une prise de conscience des
professionnels, mais aussi de tout un chacun. Le ministère public est comptable de
l'ordre public. On constate enfin une prise de conscience collective contre la conduite en
état alcoolique", rappelle le substitut du procureur.
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L'Hôtellerie Restauration n° 2816 Hebdo 10 Avril 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE