du 5 juin 2003 |
FORMATION |
La vie a voulu que je reprenne un jour les
affaires de mon père disparu trop tôt. Ses affaires n'étaient pas dans le domaine de
l'hôtellerie-restauration, c'est la raison pour laquelle aujourd'hui, je suis un 'petit
industriel de province' qui verse chaque mois des salaires très au-dessus du Smic à un
peu plus de 100 salariés.
Si je vous écris aujourd'hui, c'est que, formé dans une école hôtelière française,
voici maintenant plus de 20 ans, je reste très attaché à ce secteur, et je continue à
lire chaque semaine, L'Hôtellerie.
Après ma formation, avant de reprendre l'affaire de mon père, j'ai passé huit années
en restauration. Huit années où j'ai beaucoup travaillé, sans jamais compter mon temps,
mais j'étais heureux, j'étais passionné. Les maîtres que j'avais eus au lycée
hôtelier nous avaient préparés à ce rythme. C'était pour nous le prix à payer pour
accéder aux postes les plus valorisants : ceux où l'on est en contact avec les clients,
pour les servir, pour leur faire plaisir, pour faire preuve de notre professionnalisme. Et
ce professionnalisme, ils en étaient pétris nos professeurs, chaque jour, quand ils
fixaient au niveau le plus haut leur échelle d'exigence, ils nous expliquaient toujours
pourquoi. Et de nous raconter les situations qu'ils avaient vécues comment elles les
avaient fait avancer. D'eux, nous puisions une force, une expérience et une grande envie
d'aller, nous aussi, nous frotter à ce monde si dur mais si enivrant. Nous attendions que
ce métier nous mette à l'épreuve pour nous donner les moyens de nous dépasser. C'est
grâce à eux que j'ai ainsi découvert un monde qui m'était totalement inconnu : celui
du vin. C'est de la découverte de ce monde qu'aujourd'hui je vis une grande passion.
En colère
Aussi, quand j'apprends que l'on n'enseigne plus le vin dans les écoles hôtelières, je
suis en colère. Ce monde du vin est un monde de culture, de sensibilité, il est une
partie de l'histoire de notre civilisation. Dans ma famille, je n'ai jamais eu accès à
ce domaine, il était réservé à une classe sociale dont je ne faisais pas partie. C'est
l'école hôtelière qui l'a mis à ma portée, ce sont des enseignants qui m'ont fait
découvrir ce monde merveilleux et m'ont décomplexé par rapport au monde du vin. Je
n'oublierai jamais mes premières dégustations en classe, nous étions tous très
intimidés et très concentrés. Nous cherchions à "trouver" des
sensations au nez, au palais. Quand je suis rentré chez moi le soir, j'ai eu besoin d'en
parler, d'expliquer, le dimanche suivant, mon père qui n'y connaissait rien m'a envoyé
chez un caviste pour acheter ce que j'avais goûté, il avait envie lui aussi de
comprendre, de découvrir de nouveaux plaisirs, il avait vu l'excitation de la
dégustation dans mes yeux. Petit à petit, j'ai avancé, j'ai découvert et dans ma
famille, on a commencé aussi à apprécier le vin.
Certains de mes camarades de classe ont aujourd'hui leur restaurant, j'y vais de temps en
temps, et je sais que la carte des vins est pour eux une partie importante de leur
établissement. Je sais qu'ils ne confient à personne le choix des vins. C'est grâce à
la passion des enseignants que nous avons eus que nous avons la chance d'avoir accès à
un savoir, à un plaisir que nous aimons à partager, moi avec ma famille et mes amis, eux
avec leurs clients. Savoir qu'aujourd'hui, on prive les élèves de cette partie
essentielle de l'enseignement de la restauration me révolte !
Les enseignants sont là pour nous hisser vers le haut, d'où que nous venions,
même du plus bas
Qu'importe qu'il y ait trop de choses à apprendre pour arriver à bien les enseigner, de
tout ce que l'on nous faisait découvrir, nous faisions notre tri, mais nous savions que
ça existait et quelques années plus tard, nous allions avoir les moyens d'y revenir. En
supprimant cet enseignement, on creuse l'écart qui existe entre ceux qui sont issus des
familles qui ont cette culture, qui ont les moyens d'avoir une cave de qualité et... ceux
qui, comme moi, sont nés dans des familles plus modestes qui pourtant ne demandent qu'à
apprendre. Pourquoi les enseignants aujourd'hui veulent-ils niveler par le bas sous
prétexte que de plus en plus d'élèves leur arrivent sans cette culture de base ? Les
enseignants sont là pour nous hisser vers le haut, d'où que nous venions, même du plus
bas. Au plus loin que je me souvienne, nos profs de restaurant n'avaient pas de licence,
ils faisaient quelquefois des fautes d'orthographe quand ils écrivaient au tableau, mais
jamais quand ils écrivaient un terme technique ou le nom d'un cépage ou d'un vin... Et
quand ils nous parlaient de l'amour de ce métier, ils avaient toujours tout bon, ils
avaient un vécu. Pour les cours d'orthographe, nous avions les profs de français.
Alors, par pitié, que les inspecteurs qui décident du contenu des programmes fassent
preuve d'un peu de bon sens... si eux sont issus de l'université, qu'ils sachent qu'en
fonction des matières à enseigner, le parcours de chacun doit se différencier. Que l'on
donne du temps aux élèves pour découvrir, pour apprendre le monde fabuleux du vin.
Pascal Lantonnet (Un ancien élève d'école hôtelière) zzz68v
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L'Hôtellerie Restauration n° 2824 Hebdo 5 Juin 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE