du 27 mai 2004 |
ACTUALITÉ JURIDIQUE |
L'intempérance au travail est un réel problème dans le secteur des CHR, où l'alcool est quotidiennement manipulé pour être servi à la clientèle.
Une décision du conseil de prud'hommes vient préciser comment sanctionner cette consommation excessive d'un salarié, et quels sont les moyens de preuve que peut apporter un employeur.
Les conséquences d'une consommation excessive d'alcool sur le lieu
de travail sont en effet nombreuses, en termes d'absentéisme, d'accident du travail, ou
encore d'atteinte à l'image de marque.
Pour autant, très peu d'articles dans le Code du travail évoquent la présence d'alcool
dans l'entreprise, et aucun n'en détermine les conséquences.
Il faut donc avoir recours à la jurisprudence afin de déterminer dans quelles conditions
l'employeur est en droit de sanctionner la consommation d'alcool d'un salarié et de
connaître les moyens de preuve auquel il peut recourir.
C'est justement à ces questions que répondait dernièrement le conseil de prud'hommes de
Paris, après qu'un employeur ait procédé au licenciement pour faute grave de l'un de
ses salariés au motif des fréquents états d'ébriété de ce dernier à son poste de
travail.
Un écailler prend son poste en état
d'ébriété
Malgré 10 ans d'ancienneté dans l'entreprise,
une brasserie parisienne ne peut plus davantage supporter l'alcoolisme invétéré de son
écailler. Cela fait maintenant près de deux ans que celui-ci est tombé dans l'alcool.
Et surtout, il lui est arrivé parfois de se présenter pour prendre son travail dans un
état d'ébriété avancé.
Plusieurs sanctions disciplinaires lui ont été notifiées, deux avertissements et une
mise à pied disciplinaire. Rien n'y a fait. Jamais le salarié n'a respecté les
engagements qu'il pouvait prendre, malgré les remontrances, parfois vives, de son
employeur.
A la dernière incartade, l'employeur a définitivement réagi. Il a aussitôt notifié au
salarié qui se présentait pour prendre ses fonctions une mise à pied à titre
conservatoire, lui refusant purement et simplement l'accès à l'entreprise.
Puis, à la suite d'un entretien préalable auquel il l'avait convié, il lui a notifié
son licenciement pour faute grave au motif de ses fréquents états d'ivresse sur son lieu
de travail, états constatés par des témoins.
"C'est faux, vous ne prouvez
rien"
C'est ce que déclare le salarié devant le
conseil de prud'hommes. Le salarié licencié crie en effet au scandale. Assisté de son
avocate, il s'en prend à son employeur qui, selon lui, a fait preuve d'un comportement
visant de toute évidence à lui nuire. Le salarié l'affirme haut et fort : jamais il n'a
été en état d'ivresse sur son lieu de travail, et son employeur ne prouve rien de ce
qui lui est reproché.
Mieux, à l'appui de ses propos, il produit diverses attestations. Elles émanent d'abord
de collègues de travail, qui affirment sur la foi de l'honneur ne pas avoir constaté de
quelconques signes de consommation d'alcool chez le salarié. Elles viennent aussi de
clients habitués de l'établissement. Ceux-ci témoignent que le salarié, à qui ils
commandaient des plateaux de fruits de mer, les servait avec beaucoup de gentillesse et de
professionnalisme.
Le salarié conclut. "Si j'ai fait l'objet d'un licenciement, c'est en fait parce
je me suis plaint de mes conditions de travail au poste d'écailler : je devais travailler
au froid, en plein vent, sans protection. Je faisais même des heures supplémentaires qui
ne m'étaient pas payées."
"Je prouve ce que
j'avance"
C'est la réponse de l'employeur pour sa
défense. En effet, l'employeur s'insurge immédiatement contre de telles affirmations.
Comment le salarié peut-il prétendre ne jamais avoir été en état d'ébriété sur son
lieu de travail ?
Certes, l'écailler produit des attestations, mais elles datent toutes d'il y a plusieurs
années, à l'époque où son comportement était irréprochable, avant qu'il ne sombre
dans l'alcoolisme ces deux dernières années.
Quand il a commencé à boire, à se présenter en état d'ébriété après la coupure en
fin d'après-midi au moment de prendre son poste, à chaque fois, l'attitude de
l'employeur a été la même : il refusait au salarié l'accès à son poste de travail,
comme l'article L 232-2 du Code du travail le lui imposait : "Il est interdit
à tout chef d'entreprise, directeur, gérant, préposé, contremaître, chef de chantier,
et en général toute personne ayant autorité sur les ouvriers ou employés, de laisser
entrer ou séjourner dans les établissements des personnes en état d'ivresse."
"Je ne pouvais pas faire autrement, ajoute-t-il. Mon syndicat m'avait dit
que le non-respect de cette interdiction par un employeur est puni d'une amende de 3 750 e
[à peu près 25 000 F]."
Puis il notifiait au salarié une sanction disciplinaire, espérant un changement
d'attitude. C'est ainsi que ce salarié a fait l'objet, en l'espace de deux années, de
deux avertissements et d'une mise à pied disciplinaire. En vain.
Et puis, indique l'employeur, le salarié s'est encore une fois présenté un soir dans un
état d'ébriété avancé, au point qu'il a fallu lui refuser l'accès à son poste de
travail et lui notifier une mise à pied à titre conservatoire, avant d'engager une
procédure de licenciement pour faute grave.
"Ces faits, je les prouve", assure l'employeur. Les différents
témoignages versés aux débats par les collègues de travail du salarié sont
éloquents. Tous témoignent de l'état d'ébriété du salarié. Etat qu'ils ont pu
constater objectivement en raison des nombreux symptômes que présentait l'écailler :
une très forte odeur d'alcool, des yeux rouges, une élocution difficile et des propos
incohérents, une station debout difficile, et même une impossibilité manifeste de se
déplacer sans chalouper.
L'employeur produit des plaintes de
clients
L'employeur verse aussi aux débats deux
courriers de plainte de clients qui ont pu remarquer l'état d'ébriété du salarié,
ainsi même que l'agressivité dont il faisait preuve à l'égard de ses collègues de
travail.
Une fois, même, le salarié avait fait l'objet d'un procès-verbal dressé par la police
pour "ivresse publique manifeste". "C'est la preuve que rien
n'est inventé", plaide l'employeur, avant d'enchaîner sur le caractère
inadmissible de l'intempérance du salarié.
En effet, de par son attitude, le salarié mettait en péril l'image de marque de
l'établissement. Il est vrai qu'en sa qualité d'écailler, il était le premier à
rencontrer la clientèle, au risque de la décourager.
Par ailleurs, en raison de ces états d'ébriété, il est bien évident que l'accès à
son poste de travail lui était impossible, sauf à l'exposer, lui et ses collègues de
travail, à un accident professionnel. Or, indique l'employeur, le Code du travail, en son
article L. 230-2, oblige le chef d'entreprise à prendre toutes les mesures nécessaires
pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs de l'établissement.
Il était dans ces conditions hors de question de laisser le salarié travailler en état
d'ébriété.
En tout état de cause, ajoute l'employeur, même s'il avait pu l'accepter à son poste de
travail, force est de constater qu'il aurait été dans l'incapacité d'exercer ses
fonctions. En sa qualité d'écailler, les plateaux qu'il aurait préparés l'auraient
vraisemblablement été avec une lenteur inadmissible et avec des produits remplis
d'écailles.
L'employeur demande au conseil de prud'hommes de reconnaître le bien-fondé du
licenciement pour faute grave qu'il a pu ainsi notifier au salarié et de le débouter de
ses demandes en préavis, indemnité de licenciement et dommages et intérêts.
L'alcoolisme justifie un licenciement
pour faute grave
Après en avoir délibéré, le conseil de
prud'hommes déboute le salarié de ses demandes et reconnaît le licenciement pour faute
grave. Pour ce faire, le conseil de prud'hommes rappelle en premier lieu qu'interdiction
est faite par le Code du travail à l'employeur de prendre à son service un salarié en
état d'ébriété.
Par suite, il indique que l'employeur se doit aussi de prendre toutes les mesures afin
d'assurer la sécurité physique de ses salariés, y compris en sanctionnant ou même en
licenciant un salarié en état d'ébriété.
Dès lors, les états d'ébriété de l'écailler étant avérés et prouvés par les
témoignages et le procès-verbal de police, l'employeur ne pouvait que procéder au
licenciement du salarié, celui-ci n'ayant pas pris soin de modifier son attitude après
de multiples sanctions.
Enfin, compte tenu de l'atteinte à l'image de marque de l'établissement et des risques
que le salarié faisait prendre à lui-même et à ses collègues en se présentant ainsi
au travail, la faute grave était caractérisée.
La preuve est faite que l'alcool ne fait définitivement pas bon ménage avec le travail.
F. Trouet (Synhorcat) zzz60u
Le Code du travail interdit à l'employeur d'accepter un salarié en état d'ébriété
Peut-on soumettre un salarié à
l'alcootest ? La Cour de cassation a, dans un arrêt du 22 mai 2002, posé le principe autorisant l'employeur à pratiquer un alcootest sur un salarié : "Les dispositions d'un règlement intérieur permettant d'établir sur le lieu de travail l'état d'ébriété d'un salarié en recourant à un contrôle de son alcoolémie sont licites." Autrement dit, l'employeur est en droit de pratiquer un contrôle d'alcoolémie sur un salarié afin de vérifier et de prouver le cas échéant son état d'imprégnation alcoolique. Mais cette possibilité doit être prévue dans le règlement intérieur de l'entreprise. |
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