Expliquez-nous le rôle du chef de cave
Vous savez, le rôle du chef de cave a considérablement évolué durant ces
trente dernières années. L'ancienne génération était composée d'autodidactes. Ils
avaient d'énormes responsabilités dans une maison. Ils s'occupaient de recruter le
personnel, d'acheter toutes les matières premières, le raisin. Ils avaient en charge
toute l'élaboration du champagne, jusqu'à l'expédition. Mon titre de chef de cave ne
recouvre pas toutes ces fonctions. Je suis, comme les chefs de cave de ma génération,
avant tout un nologue.
Les nologues ont-ils modifié le goût du champagne ?
Non, en toute modestie, je ne pense pas. D'ailleurs toutes les dégustations
que nous faisons montrent que chaque maison a su conserver son style propre. Ce n'est pas
l'nologue Dominique Foulon qui fait le style de Moët & Chandon et le jour où
je partirai, j'espère que ce style restera le même. Le style d'une maison, voyez-vous,
c'est la composition des assemblages et une façon bien particulière de les travailler.
Accordez-vous une grande importance à la formation des
jeunes qui prendront la relève ?
Vous savez, chez Moët & Chandon nous sommes en réalité une dizaine
d'nologues. Certains travaillent au laboratoire, d'autres à la production, à la
recherche... Le jour où je partirai il y aura déjà des personnes compétentes
auxquelles je passerai le relais.
Dans notre métier, la transmission orale est essentielle. Cependant, nous prenons
conscience aujourd'hui qu'il est urgent de consigner par écrit toutes les étapes de
notre travail. Nous avons mis en place un « cahier des pratiques nologiques », non
seulement pour conserver noir sur blanc la masse de nos connaissances, mais également
pour éviter toutes les déviations possibles.
On évoque bien souvent le champagne en terme générique et
la notion de terroir semble gommée. Doit-on en déduire qu'il n'y a pas de terroirs en
Champagne ?
Non, bien sûr. Allez planter du pinot noir sur le terroir de Cramant par
exemple, et vous n'obtiendrez rien du tout. C'est le chardonnay qui lui convient. Mais il
faut comprendre que ce sont les négociants qui sont les principaux acteurs en matière de
communication. En toute logique, ils mettent en avant la notion d'assemblage plutôt que
la notion de terroir. Mais si vous allez à la rencontre des vignerons, ils vous parleront
de leur village, du cépage qu'ils ont planté sur un terrain bien précis. Celui qui a
ses vignes dans un cru déterminé va mettre en avant son terroir.
Pendant bien longtemps, les amateurs n'ont juré que par les
champagnes de marques. Aujourd'hui, il semble qu'ils découvrent les vignerons.
Pensez-vous que nous assistions à la naissance d'une nouvelle mode ?
Non, je ne le pense pas. Je crois par contre qu'il est peut-être plus
difficile qu'auparavant de s'approvisionner dans les grandes maisons. De toute façon, je
pense que le désir de découvrir des petits vignerons est une démarche qui a toujours
passionné les vrais amateurs.
Certains vignerons ont-ils réussi à vous surprendre, à
vous étonner ?
Pour vous répondre, j'ôte la casquette Moët & Chandon et je coiffe
celle de l'Union des nologues de France. Nous participons à de nombreuses
dégustations à l'aveugle et une chose est certaine, ce sont presque toujours les mêmes
qui ont des médailles. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ils assurent un suivi
qualitatif. C'est la grande force des négociants. Certains vignerons ont réussi à
obtenir cette régularité dans leur vin. Ce que je critique, c'est le vigneron qui fait
un vin de qualité une année, et qui vous vend un vin médiocre l'année suivante.
L'irrégularité est le pire des défauts.
Quand vous faites un assemblage, imaginez-vous, un mets qui
s'accorderait avec ce vin.
Absolument pas. Pour moi, le paramètre associant vin et plat n'intervient
pas dans mon travail. L'assemblage que j'élabore sera mis en bouteilles, subira une
deuxième fermentation, vieillira sur lie pendant cinq, huit, dix ans. Mon art est
d'imaginer ce qu'il sera à ce moment-là. Transposer en vue de l'associer à un plat,
c'est ajouter un paramètre qui me fera peut-être passer à côté du bon assemblage.
Vous savez le champagne n'est pas un vin comme les autres. Où que vous alliez, en
Beaujolais, en Côtes du Rhône, en Alsace, on vous offre le champagne. Il est LE vin de
la communication. Et ce que nous voulons c'est défendre cette image.
D. Foulon, vingt-cinq ans au service de Moët & Chandon.
L'HÔTELLERIE n° 2638 La Cave 4 Novembre 1999