On a souvent qualifié Olivier Château, l'associé des Frères Pourcel à Montpellier, d'homme de l'ombre, d'éminence grise. Pour les vignerons du Languedoc il est d'abord et avant tout l'homme du vin, celui qui a su mettre en place une carte exceptionnelle et audacieuse pour un trois macarons Michelin. Nombre de domaines lui doivent en partie leur réussite rapide. Il fait incontestablement partie de cette mouvance jeune, dynamique, qui force le Languedoc-Roussillon à aller de l'avant. Cette position lui permet de porter sur sa région d'adoption ce jugement critique qui résonne un peu comme un avertissement : « Pour continuer de porter ensemble une belle part de rêve, vignerons et restaurateurs doivent savoir cultiver l'accord parfait ».
Si les restaurants de province proposent assez couramment une large palette des
vins de leur région, la démarche est plus rare dans les établissements hauts-de-gamme.
Le Jardin des Sens joue clairement la carte de l'identité régionale. Pouvez-vous nous
donner quelques chiffres ?
J'achète
une bonne partie de nos vins chez les cavistes locaux par souci de logique, d'économie
régionale. Entre le Jardin des Sens et la Compagnie des Comptoirs Montpellier, j'achète
à peu près pour 600 000 euros de vins chaque année. Les vins de la région
représentent les deux-tiers de cette somme. Sur les deux adresses confondues, nous
proposons 200 références régionales, ce qui représente quand même 160 domaines.
Pourtant, lorsque nous nous sommes installés, le Languedoc n'avait pas grande
notoriété. Cela n'a pas empêché Jacques et Laurent de travailler leur cuisine en
accord avec les vins du Sud. Dans les premières années nous ne vendions que 20% de vins
en provenance du Languedoc-Roussillon. Même les Montpelliérains préféraient les côtes
du Rhône. Aujourd'hui 90% des vins vendus sont des appellations locales.
Ces dernières années, vos activités de restauration se sont développées de
façon fulgurante. Vous avez bien entendu apporté dans vos valises vos vins « coup de
cur », comment réagit cette nouvelle clientèle ?
À Paris, les clients sont très ouverts et ne demandent qu'à découvrir. Les
sommeliers jouent à fond le jeu de la nouveauté et ça marche très bien. À la Maison
Blanche, j'ai inscrit 45 références de vins bien de chez nous. À l'ouverture, ils ne
représentaient pas plus de 5% des ventes, aujourd'hui, nous en sommes à 20% et ce
pourcentage ne cesse d'augmenter. Nous allons ouvrir un Jardin des Sens à Tokyo, et
j'espère bien faire découvrir aux Japonais quelques belles bouteilles languedociennes.
Pour moi, les vins d'une région aussi nouvelle que la nôtre en matière de
gastronomie, doivent impérativement rester dans des prix sages.
Pour un trois macarons, la carte des vins du Jardin des Sens est très
originale. Le prix moyen d'une bouteille avoisine les 60 euros, peu de références
excèdent 500 euros et les vieux millésimes sont très rares. Pouvez-vous nous expliquer
cette philosophie de vente et les raisons de votre démarche ?
Il y a plusieurs raisons. Pour moi, les vins d'une région aussi nouvelle que la
nôtre en matière de gastronomie, doivent impérativement rester dans des prix sages. Il
n'est pas normal qu'un jeune domaine, si prometteur soit-il, puissent vendre ses vins plus
chers qu'un grand domaine qui a largement fait ses preuves, comme Alain Graillot en
Croze-Hermitage ou Alain Gras en Bourgogne. Lorsque nous avons commencé, le prix moyen
d'une bouteille était de 30 euros, et une bonne vingtaine étaient à moins de 15 euros.
Seconde raison, à Montpellier, la clientèle a envie de se faire plaisir à prix sages,
même dans un trois macarons. Au Jardin des Sens, le ticket moyen pour le vin est
d'environ 90 euros. La troisième raison appartient à un autre registre et tient à ma
conception du vin. Je me refuse à intellectualiser, à sacraliser le « breuvage des
Dieux ». Le vin est un plaisir que l'on partage entre amis et je n'aime pas qu'il
devienne objet de vénération. On déguste une bouteille, puis une seconde parce qu'on
est en bonne compagnie. Pourquoi faudrait-il se ruiner pour passer un bon moment ?
Comment élaborez-vous une carte, pouvez-vous nous expliquez vos impératifs,
vos interdits, pourquoi choisissez-vous tel vin ?
J'ai plusieurs cartes à surveiller et ce qui est excitant c'est la variété des
défis. Je cherche avant tout des vins-plaisir (c'est le maître-mot de ma pensée
bachique !), des vins séduisants, que les clients réclament. Je ne veux pas d'une carte
dont la moitié des références seraient là pour « frimer », pour en imposer. En
moyenne, je renouvelle la cave une fois et demie par an. Je ne veux ni stocker, ni
capitaliser. Les techniques viticoles ont tellement évolué, qu'à de rares exceptions
près, le vin n'a plus besoin de vieillir 10 ou 20 ans. Je n'aime pas non plus ces
vignerons qui me contingentent ou m'obligent à passer par un fournisseur exclusif,
surtout si quelques années auparavant je les faisais moi-même découvrir à ma
clientèle ! Pour la Compagnie des Comptoirs, il n'est plus question d'acheter des vins
dont le coût de revient excède 10 euros . Il y a tellement de vins à découvrir dans
cette gamme de prix. Mes cartes ne sont pas statiques, il y a des produits qui
apparaissent, d'autres qui disparaissent. Je dirais pour résumer que ce sont des cartes
mobiles adaptées à nos régions et qui permettent de déguster des vins nouveaux presque
chaque jour.
Vous vous réclamez d'une restauration moderne. Votre approche de la
gastronomie témoigne d'une grande ouverture vers l'ensemble du bassin méditerranéen.
Pourtant j'ai remarqué peu d'étiquettes de vins étrangers sur vos cartes.
Certainement par respect du Languedoc-Roussillon. Par chauvinisme, par protectionnisme. À
mon avis c'est une très grande menace et nous avons peur de tenter cette aventure
pourtant nécessaire. Lorsque l'on voyage, on s'aperçoit que la restauration française
s'impose des interdits sans doute sclérosants. Les restaurateurs étrangers ont largement
ouverts leurs cartes à toute la production mondiale, même dans les pays producteurs de
très bons vins. Il est faux de dire qu'il n'existe pas de vins de plaisir en dehors de
nos frontières. On se régale avec des vins chiliens, italiens, libanais. Il faudra
impérativement ouvrir nos cartes dans les années à venir.
Quelle est votre approche personnelle du vin, celle que vous appliquez en
dehors du travail ?
Je n'aime pas boire pour boire. D'ailleurs ni Jacques, ni Laurent ni moi-même ne
buvons de vin pendant les repas avant le service. J'aime le vin à partager dans un pur
moment de détente avec des amis. Le vin est lié pour moi à des moments d'exception, il
ne me viendrait pas à l'esprit d'en faire une boisson journalière.
Je cherche avant tout des vins-plaisir (c'est le maître-mot de ma pensée
bachique !), des vins séduisants, que les clients réclament.
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L'Hôtellerie n° 2770 La Cave 23 Mai 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE