J'ai voulu démontrer que le phénomène « beaujolais nouveau »
était avant tout une aventure humaine, la réunion de personnages à fort charisme.
Né en 1935, petit-fils d'un vigneron du lyonnais, Gilbert Garrier a toute sa vie côtoyé la vigne et le vin. C'est au vignoble du Beaujolais qu'il consacre sa thèse de doctorat d'histoire, soutenue en 1971. Sa carrière de professeur d'histoire contemporaine s'est déroulée, de 1965 à 1995, à la Faculté de Lettres, puis à l'université Lumière de Lyon II. Spécialiste des sociétés rurales, il a enseigné l'histoire économique, sociale et culturelle de la vigne et du vin en France et en Europe. Auteur de nombreux ouvrages, il nous offre aujourd'hui un livre remarquable, entièrement dédié à l'histoire du beaujolais nouveau. C'est Bernard Pivot, grand connaisseur de beaujolais s'il en fut, qui signe la longue préface de cet ouvrage à la fois passionnant et érudit.
Comment un historien aussi sérieux que vous en est-il arrivé à écrire plus
de 200 pages sur un événement qui peut sembler quelque peu folklorique et commercial ?
Une idée mûrit rarement dans une seule tête. Les dirigeants de l'Union
interprofessionnelle des Vins du Beaujolais souhaitaient marquer l'événement du
cinquantenaire de cette fête en offrant à chaque vigneron un document qui serait leur
propre mémoire. Ils m'ont donc demandé si je voulais bien travailler sur cette parcelle
d'histoire contemporaine du vin français. Comme cette proposition rejoignait une
réflexion sur laquelle je travaillais, j'ai volontiers accepté. Partant en effet du
constat que depuis 2000 ans les consommateurs se précipitent sur les vins nouveaux, je me
suis attaché à en déterminer les causes. Ce livre est donc avant tout un travail sur
l'histoire contemporaine du beaujolais. Je l'ai entrepris et, je l'espère, mené à bien
avec l'il de l'historien contemporain : en fouillant la documentation, en
confrontant les sources, et surtout en interrogeant les acteurs.
Il est vrai qu'en lisant votre livre on s'aperçoit que vous vous êtes plus
attaché à décrire les hommes que la vigne et peut-être même que le vin. Pouvez-vous
nous expliquer ce parti pris ?
Vous avez raison. Je ne suis ni un technicien de la vigne, ni un vinificateur. J'ai voulu
démontrer que le phénomène « beaujolais nouveau » était avant tout une aventure
humaine, la réunion de personnages à fort charisme. C'est pourquoi j'ai tenu à
émailler mon livre de nombreux portraits. Que serait aujourd'hui le beaujolais nouveau
sans l'énergie de tous ces hommes : vignerons visionnaires, restaurateurs, écrivains,
présidents de syndicats, journalistes ? Le beaujolais nouveau est avant tout affaire
de... communication humaine.
L'étude de ce phénomène de marketing vous a-t-il amené à découvrir des
modes récentes, des changements d'attitude de consommation ? 50 ans après son
avènement, le beaujolais nouveau a-t-il gardé sa clientèle, sa place dans le paysage
des terroirs français ?
Nous sommes dans un monde qui évolue de plus en plus rapidement. Mes recherches m'ont
amené à réfléchir à la place des vins primeurs dans la consommation du xxième
siècle et il est évident que celle-ci a beaucoup évolué. Le beaujolais nouveau subit
à l'évidence un désamour de la part du public lyonnais qui l'a longtemps plébiscité,
et ceci principalement pour des raisons économiques : les côtes du Rhône primeurs lui
ont pris des parts de marché. Par contre, il est devenu plus parisien, et surtout plus
international. Ce sont de véritables fêtes qui sont organisées à l'occasion de sa mise
sur le marché, tant en Angleterre, qu'au Canada ou au Japon. Les Anglais, qui sont de
grands connaisseurs en vins, accueillent le beaujolais nouveau avec enthousiasme.
Ne pensez-vous pas que les défenseurs ou même les promoteurs du beaujolais
nouveau ont vieilli sans s'en apercevoir ? Les valeurs de consommation ont changé, les
plats trop riches n'ont plus la cote. De capitale de la gastronomie, la région lyonnaise
ne s'est-elle pas transformée en conservatoire des traditions gauloises ?
Vous avez en partie raison. Les bouchons lyonnais sont devenus des attractions
touristiques. La châtaigne d'Ardèche n'est plus vendue à la Croix-Rousse et
n'accompagne plus à merveille le beaujolais nouveau. Les plats traditionnels de la
cuisine de nos grands-mères sont devenus des mythes ou, au mieux, des escapades
gastronomiques. Aussi faut-il se poser la question : le beaujolais nouveau est-il destiné
à accompagner un repas, quel qu'il soit ? Personnellement, je le vois plus comme un vin
d'apéritif, un peu comme certains vins italiens. Un vin de comptoir, un vin qui ouvre la
fête, à servir avec quelques rondelles de saucisson, une poignée de grattons... Après
tout, ne vaut-il pas les kirs ou certains vins cuits ? Je remarque d'ailleurs que l'on
commence à communiquer dans ce sens : montrer que le beaujolais nouveau est un produit de
plaisir éphémère, rassurant, comme l'arrivée des hirondelles au printemps.
Dans le chapitre consacré à la perception commerciale du produit, à son
évolution, vous montrez que le beaujolais nouveau s'inscrit dans la durée, qu'il est à
l'écoute des courants du moment et qu'un jour nous fêterons son centenaire. Vous notez
d'ailleurs fort justement que ses arômes changent, que les étiquettes évoluent...
Certes, et l'arôme de la banane est incontestablement mort, en tout cas dans les
communiqués de presse. Il faut dire que les techniques de vinifications ont évolué. La
macération semi-carbonique est mieux maîtrisée et l'acétate d'isoamyle qui conférait
cet arôme de banane tend à disparaître. Le beaujolais primeur communique maintenant sur
les arômes fruités : la framboise, le cassis, la groseille, mais aussi et surtout sur
les arômes floraux. L'iris, la violette, l'aubépine, le réséda ressortent parfaitement
dans les dégustations. Les étiquettes évidemment reflètent l'engouement pour ces
nouveaux arômes. On voit apparaître des fleurs et des fruits, on communique sur un
bouquet de nature, sur l'enchantement d'un printemps qui renaîtrait le 3ème
jeudi de novembre à minuit, comme par magie.
Essentiellement distribué dans les bistrots, les cafés, ou les restaurants
populaires, le beaujolais nouveau, jusque dans les années 70, faisait un peu figure de
vin de « mecs ». Ce petit côté macho est-il en train de changer ?
On aimait effectivement dire que le beaujolais nouveau faisait du bien aux femmes lorsque
c'était les hommes qui le buvaient. Aujourd'hui la tendance est renversée. C'est un vin
qui plait aux femmes. J'y vois plusieurs raisons : son côté un peu piquant, ses arômes
de fruits, mais surtout l'illusion qu'il donne d'être moins alcoolisé. Et, si les fleurs
sont apparues sur les étiquettes, c'est aussi pour fidéliser la nouvelle clientèle
féminine. Alors, heureusement pour nous tous, les hommes et les femmes envahiront les
rues, le soir de l'immense fête mondiale de l'arrivée du beaujolais nouveau.
Le beaujolais nouveau est un produit de plaisir éphémère, rassurant, comme l'arrivée des hirondelles au printemps.
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L'Hôtellerie n° 2795 La Cave 14 Novembre 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE