Claude Lebey, chroniqueur gastronomique, est le premier à avoir eu l'idée de noter la qualité du pain et du café servis dans les restaurants parisiens qu'il présente dans ses guides (environ 1 000 restaurants). Pour lui, peu importe la provenance du pain, ce qui compte c'est le plaisir qu'il procure.
Je n'ai pas d'a priori sur la provenance du pain
Voici treize ans, dès que j'ai commencé à publier des guides de restaurants parisiens,
j'ai eu l'idée de noter le pain et le café. Tout simplement parce que je me suis rendu
compte que le pain n'était généralement pas bon au restaurant mais aussi parce que
j'aime le bon pain comme les clients d'ailleurs. C'est très important de commencer un
repas par quelque chose de bon, surtout quand le restaurateur vous fait attendre
longtemps. Si le pain est bon, on lui en veut au bout d'un certain temps parce qu'on en
mange trop. C'est une catastrophe mais on est quand même content. En tant que chroniqueur
gastronomique, je ne m'occupe pas de savoir comment ce bon pain est fabriqué et d'où il
vient. Je respecte toutes les provenances du moment que le pain est bon. Je n'ai pas d'a
priori. Beaucoup de cuisiniers à qui je dis : « Votre pain n'est pas formidable », me
regardent d'un air mi-furieux et mi-étonné, en me disant : « Pourtant, il est fait ici
». Mais un cuisinier n'est pas forcément un bon boulanger. Chacun son métier. Si le
pain est bon chez le boulanger d'à côté, autant l'acheter chez lui. Faire son pain me
paraît possible dans les grands hôtels qui disposent d'un laboratoire de
boulangerie/pâtisserie et de professionnels boulangers et/ou pâtissiers.
Du bon pain, c'est...
Pour moi, du bon pain, c'est du pain qui présente un bon équilibre de quantité et de
qualité entre la croûte et la mie. J'aime avoir une mie alvéolée et pas trop dense.
J'aime aussi que la croûte soit une vraie croûte et que le pain soit croustillant. A
part dans le très haut de gamme où « variété » de pains peut rimer avec « recherche
et raffinement », je n'aime pas, d'une façon générale, les pains qui présentent une
trop grande personnalité. Quand, au moment du fromage, on me sert du pain aux raisins et
aux noix et qui de plus n'est pas frais, je trouve cela véritablement dégoûtant. Le
travers dans lequel tombent beaucoup de restaurateurs, c'est d'offrir des quantités de
pains différents ou des pains appropriés à chaque mets. Bien souvent, ces pains ne sont
pas bons lorsqu'ils sont fabriqués par les chefs de cuisine. Si ces chefs veulent
fabriquer leur pain, qu'ils fassent d'abord un bon pain de base, ils pourront peut-être
par la suite le décliner. Quant au pain de campagne tranché la veille ou six mois
auparavant par le boulanger, je vois tout de suite qu'il n'est pas bon. Un bistro, au lieu
de servir ce pain rassis ferait mieux de proposer une bonne baguette venant du boulanger
d'à côté et coupée comme autrefois quand le client arrive et non pas au moment de la
mise en place.
Une nette amélioration
Néanmoins, depuis une dizaine d'années je note une très nette amélioration de la
qualité du pain servi dans les restaurants. Je n'ai pas la prétention de penser que j'y
suis pour quelque chose. Servir du bon pain est devenu un souci pour beaucoup de
restaurateurs, contrairement au beurre, d'ailleurs, qui est de plus en plus nul et sans
goût, y compris celui des grandes marques. Je parle du beurre, parce que c'est
généralement le complément du pain sur la table. Quand le beurre n'a pas d'intérêt,
c'est embêtant pour le pain. Mais j'aime tellement le pain que lorsqu'il est bon, je le
mange sans beurre.
Marcel Baudis, du restaurant L'Oulette à Paris, est ravi de constater que ses clients respectent de plus en plus le pain servi au restaurant. Ils redécouvrent les gestes d'antan, les fonctions festives et conviviales du pain. Ils n'hésitent pas à réclamer du pain pour le déguster plus tard, chez eux.
Nos clients redécouvrent le sens de l'expression «rompre le pain»
Depuis trois à quatre ans, j'ai noté un changement important dans l'attitude de notre
clientèle à l'é-gard du pain. Avant, quand on posait du pain sur la table, les clients
le regardaient à peine ou bien ils jouaient un peu avec, le retournaient dans tous les
sens. Maintenant ils font un geste qu'ils avaient oublié. Ils rompent le pain. Ils le
prennent dans leurs mains, ils l'ouvrent et parfois le sentent. Ils redécouvrent
spontanément le sens de l'expression « rompre le pain ». Est-ce dû à la tendance «
retour au terroir », à la mémoire collective qui fonctionne ou bien ont-ils vu faire ce
geste chez leurs grands-parents ?
Ils consomment de plus en plus de pain
Nos clients consomment en moyenne deux boules individuelles. Dans notre restaurant, la
consommation de pain est en nette progression. A une époque, on a dénigré le pain qui
n'était pas bon pour le régime. Parfois, certains clients le refusaient pour ne pas
être tentés de le manger. Maintenant, les consommateurs s'aperçoivent qu'un bon pain
consommé en quantité raisonnable ne fait pas grossir. Je remarque aussi que certains
clients demandent du beurre pour accompagner leur pain au moment de l'apéritif ou en
attendant d'être servis. Pour eux, ce pain avec du beurre est devenu un amuse-bouche
comme autrefois.
Bon ou pas bon : ils le disent
Le pain fait partie du repas. Si le pain est bon, les clients le disent. Mais si le pain
est mauvais, ils le disent encore plus sûrement. Si les clients n'aiment pas le pain, je
crois qu'on a gâché une partie de la prestation de notre chef de cuisine. On fait mal au
restaurant, on fait mal au chef de cuisine parce que les gens vont seulement retenir que
le pain, un des premiers éléments du repas, n'était pas bon. Ça laisse une mauvaise
impression notamment auprès des étrangers et particulièrement les Américains qui
pensent que les Français sont les spécialistes du bon pain.
Ils nous demandent du pain pour le consommer chez eux
Chez nous, grâce au pain que nous avons sélectionné et grâce au soin que l'ensemble de
notre personnel lui accorde, nous savons que nous faisons plaisir à nos clients. Le
satisfecit, la petite cerise sur le gâteau, c'est quand nos clients nous demandent
d'emporter du pain pour leur petit-déjeuner. Et, ces clients qui ont l'habitude de venir
chez nous sont de plus en plus nombreux. Ce n'est pas embêtant de donner du pain. Et ce
n'est pas gênant d'en demander. Nous offrons ce pain avec plaisir parce que le pain c'est
convivial, c'est festif.
Pour servir du bon pain et faire plaisir à ses clients, il faut former son personnel de cuisine et son personnel de salle. Les témoignages de Maurice Baudis du restaurant L'Oulette à Paris, de Brian Rowe, marketing Campanile et d'Arnaud Saive directeur des exploitations La Cafétéria.
Nous formons nous-mêmes notre personnel à :
Bien conserver le pain
De notre bistrot le Baracane, nous servons du pain de campagne tranché au dernier moment.
Ce pain-là, nous pouvons le servir le lendemain en début de service parce que nous
savons le conserver et le respecter. Nous avons appris à notre personnel à envelopper le
reste de pain dans un linge* bien propre comme le faisaient nos grands-mères. Le
personnel qui est jeune aurait plutôt tendance à l'envelopper dans un sac plastique, ce
qui le fait ramollir. Nous leur demandons de le descendre à la cave qui est humide, de le
réchauffer un peu avant le service et de le trancher au dernier moment.
* Attention, ne pas prendre un linge lavé avec une lessive et/ou un assouplissant
parfumés. Le pain prend facilement toutes ces odeurs. Si le restaurateur ne dispose pas
de cave, il peut maintenir le pain enveloppé dans un linge dans sa cuisine, mais loin
d'une source de chaleur qui le dessécherait.
Bien le servir
Le personnel de salle doit faire attention à servir le pain chaud et croustillant et
surtout pas brûlé en dessous à cause d'une remise en température mal conduite. Il doit
veiller à ce que les convives ne manquent jamais de pain.
Bien parler du pain
Notre personnel doit savoir parler du pain et de notre fournisseur à nos clients. Comme
notre pain est bon, nos clients nous demandent d'où il vient. Nous n'hésitons pas à
citer le nom de notre boulanger et à donner son adresse. Il est hors de question de
répondre que nous faisons notre pain nous-mêmes.
Une campagne nationale de sensibilisation au pain
Pour démontrer à nos clients que dans les 350 hôtels-restaurants Campanile nous servons
du pain fabriqué par des artisans mais aussi pour sensibiliser nos gérants à la
qualité du pain et à l'importance de maintenir des relations permanentes avec les
artisans boulangers locaux, nous avons organisé en 1995 une grande campagne d'animation
sur le pain. Avec nos délégués régionaux, nous leur avons fait déguster des pains
afin qu'ils puissent reconnaître ce qu'est une bonne croûte et une bonne mie. Les
délégués régionaux les ont emmenés visiter des boulangeries pour qu'ils découvrent
comment le pain est fabriqué. Ils leur ont commenté des vidéos et des kits
pédagogiques fournis par L'Espace Pain Information.
Nos responsables de site sont intéressés au résultat
Le rôle des responsables de site est déterminant sur la qualité du pain que nous
servons. Nous leur demandons en général une expérience du métier de restauration. En
province, nous les motivons en leur faisant prendre une part active sur la sélection des
boulangers et dans la négociation. La qualité de notre prestation repose sur du
personnel motivé et formé.
Tous les clients d'Alain Atibard du restaurant L'Affriolé savent qu'il fait son pain. Il n'hésite d'ailleurs pas à leur montrer comment il le fait. La chaîne d'hôtels-restaurants Campanile a mené en 95 une animation nationale sur le pain pour faire découvrir à ses clients, que dans les 350 établissements Campanile, on ne sert pas du pain industriel mais du pain fourni par des boulangers artisans locaux.
Je montre à mes clients commentje fais mon pain
Tous mes clients savent que je fais mon pain. Certaines de mes clientes me demandent de
leur donner des cours sur la fabrication du pain. Je reçois aussi des enfants. Ils sont
ravis de découvrir comment on mélange la farine avec de l'eau, comment le pain pousse,
comment il est cuit. Quand le pain est cuit, ils le goûtent. Je leur raconte comment le
blé est cultivé, comment on le travaille. Je suis fort occupé en cuisine mais j'aime
prendre le temps pour montrer et expliquer le pain. C'est très passionnant et ça me fait
extrêmement plaisir.
Une animation nationale sur le pain
Chez Campanile, la qualité du pain est primordiale. Dans nos 350 établissements, nous ne
servons pas de pain industriel comme beaucoup de clients l'imaginent. Alors pour les
sensibiliser, nous avons décidé pendant un mois de créer dans nos restaurants des
animations sur la tradition française du pain. Nous avons voulu mettre en avant le
symbole du pain. Nous voulions faire découvrir aux clients le travail du boulanger et les
pains régionaux. Nous avons vraiment « mis le paquet ». Outre la sensibilisation de nos
gérants à la qualité du pain, nous avons distribué plus de 5 millions de lettres
d'information sur le pain dans les boîtes aux lettres. Nous avons donné plus de 400 000
livrets de recettes de pains. Tous les établissements Campanile ont été décorés sur
le thème du pain, les sets de table étaient déclinés sur cette idée. L'animation pain
concernait nos buffets petits-déjeuners (17 000 par jour), les déjeuners et les dîners
(12 millions de repas/an). Au déjeuner, chaque client se voyait offrir dès son arrivée
des amuse-bouches composés de pains différents et des accompagnements divers. Sur les
buffets, différents types de pains étaient présentés. Des étiquettes permettaient de
les identifier. A côté des fromages, nous proposions différentes sortes de pains qui se
marient bien avec le fromage. Nous avons inscrit aux menus des plats et même des desserts
fabriqués à base de pain comme le pudding. Nos gérants et leurs équipes bien formés
sur le thème du pain étaient en mesure de dialoguer avec la clientèle. Certains
gérants ont même créé des mini-musées sur le pain dans leur salle de séminaires en
collaboration avec les syndicats départementaux. Nous avons aussi sensibilisé les
enfants en participant à la semaine du goût. Pour cela, nous avons réalisé à leur
attention des livrets et des magazines sur le pain. Nous avons invité les enfants à
rencontrer chez nous des artisans-boulangers, nous avons animé pour eux des séminaires
de dégustation. Résultats : nos gérants se sont beaucoup intéressés et impliqués
dans cette animation. Nous avons renforcé la qualité du pain que nous servons. Nous
avons recueilli plus de 600 articles dans la presse. Le pain est un sujet qui intéresse
beaucoup les Français. Et parmi toutes les animations que nous avons proposées
(Méditerranée, Bistrot...), c'est celle du pain qui a le plus marqué nos clients. Nous
renouvellerons certainement cette campagne.
Pour en savoir plus sur le pain* EPI Espace pain information met à votre disposition brochures, cassettes et vidéos. Catalogue sur demande au : 209 rue de l'Université - 75007 Paris Tél. : 01 44 18 92 16 - Fax : 01 44 18 91 07. |
Les participants à la table ronde « Le Pain au Restaurant »16/12/98 hôtel de Crillon à Paris s M. Alain Atibard - Restaurant L'Affriolé - Paris
- Tél. : 01 44 18 31 33 Animation : |
Le Salon Europain, la revue Filière Gourmande et le Journal
L'Hôtellerie ont réuni, le 16 décembre 98 à l'hôtel de Crillon à Paris, un
chroniqueur gastronomique, neuf restaurateurs très attentifs à la qualité du pain
qu'ils proposent à leurs clients et un artisan boulanger. Premiers constats : les
restaurateurs sont de plus en plus nombreux à servir du bon pain. Leur clientèle, très
sensible à cette attention, ne manque pas de leur faire savoir.
A lirePour les restaurateurs qui font leur pain, leurs viennoiseries et des pains surprise
sur les buffets, Eric Kayser et Patrick Castagna ont écrit un livre intitulé : Contact : |
L'HÔTELLERIE n° 2599 Magazine 4 Février 1999