Les prix flambent à nouveau sur le marché immobilier parisien. L'hôtellerie n'échappe pas à la règle. D'autant
qu'elle affiche d'excellents résultats et bénéficie de la bonne image de marque de la capitale. Reste que le secteur est aujourd'hui confronté à une rareté cruelle des fonciers et à la concurrence acérée d'immobiliers d'autre nature.
Claire Cosson
"En ce moment, c'est
la ruée sur les hôtels dans Paris. On nous en demande quasiment un tous les jours",
lance un agent immobilier parisien, en brandissant un Fax lui demandant pour la énième
fois si le Clarion Saint James et Albany, situé rue de Rivoli, ne serait pas sur le
marché. Et de préciser avec humour : "Les futurs acquéreurs recherchent tous,
qui plus est, des établissements plutôt haut de gamme avec murs, fonds de commerce et
emplacement de choix à la clef." Une boutade en forme de clin d'il. Car la
liste des transactions réalisées au cours de ces dernières années dans la capitale est
relativement longue dans le secteur de l'hôtellerie, notamment au cur du VIIIe
arrondissement.
Tout semble en effet partir comme des petits pains dans la Ville Lumière. A commencer par
les palaces qui séduisent un certain type d'investisseurs financiers et souvent de riches
particuliers.
D'ailleurs sur les six hôtels référencés comme tel dans la capitale, un seul
appartient aujourd'hui encore à un groupe français : le Crillon. Voilà quelques années
déjà que le Bristol et le Ritz battent quant à eux pavillon étranger. Tout comme le
Meurice, valorisé par les experts entre 400 et 500 millions de francs, et racheté à
l'Agha Khan en 1997 par Audley Group (rebaptisé Dorchester), dont la Brunei Investment
Agency est le principal actionnaire.
La même année, le prince Al Waleed d'Arabie Saoudite s'offre à son tour l'un des joyaux
de la capitale, le George V, pour la modique somme de 920 millions de francs (soit 3,7
millions de francs la chambre, ceci sans prendre en compte le montant des travaux
atteignant près de 3 millions de francs la 'clef').
Le fonds de commerce du Normandy a été repris par le groupe Les Hôtels de
Paris, associés à des investisseurs privés pour un montant de 110 millions de francs.
Sans oublier l'acquisition du fonds de commerce du Plaza Athénée pour 415 millions de
francs par le prince Jefri, frère du sultan de Brunei. Les murs demeurant aux mains de
l'assureur Axa.
Un engouement qui n'épargne pas les hôtels 4 étoiles considérés comme moins
'fastueux'. A titre d'exemple, le fonds de commerce de La Trémoille (107 chambres) a
ainsi été cédé durant l'été 2000 par Highgate Holdings à l'Anglais Scotsman. Prix
de la transaction effectuée par Christie & Co : environ 160 millions de francs selon
des sources informées. Le Beau Manoir et Le Lido (64 clefs, murs et fonds), au cur
de la Madeleine, sont récemment tombés dans l'escarcelle d'un nouveau fonds de pension
américain,dénommé Red Sea (Park Plaza gérant l'exploitation). La vente aurait
avoisinée les 100 millions.
Edwin Abela, propriétaire du Balzac et de l'Hôtel de Vigny (murs et fonds), a pour sa
part trouvé chaussure à son pied en l'opérateur britannique Pacific, alors qu'il
réclamait quelque 320 millions de francs pour ses deux 'petites' maisons. Avec le
concours de Christie & Co, la famille Lamblin a, quant à elle, cédé le fonds de
commerce de son unité du bld Raspail, l'Hôtel Cayré (124 chambres), à un hôtelier
autrichien (K + K Hotels), moyennant selon nos informations 115 à 120 millions de
francs... Sans oublier que le Warwick et le Westminster appartiennent eux aussi depuis
fort longtemps à un investisseur étranger, M. Chiu, Chinois de Hong-kong.
Mais mieux encore ! L'hôtellerie moyenne gamme séduit désormais pas mal elle aussi.
L'Opgar, groupe hôtelier parisien présidé par Guy De Durfort, a ainsi acheté en 1999
le fonds de commerce de l'Hôtel Burgundy (3 étoiles comprenant 89 chambres) moyennant
environ 55 millions de francs, soit 3,1 fois le chiffre d'affaires moyen. Le cabinet
Christie & Co vient en outre de conclure la vente de l'Hôtel Valadon (murs et fonds
de commerce), 2 étoiles (12 chambres), à rénover dans le VIIe arrondissement. La
transaction aurait atteint quelque
9 millions de francs selon les rumeurs.
Pas de doute, les prix s'envolent sur la place hôtelière parisienne. "Je dois
l'avouer, nous ne nous attendions pas à une telle flambée. D'ailleurs à fin novembre
2000, nous avions d'ores et déjà réalisé deux fois nos objectifs annuels",
confie Michèle Le Loc'h, directrice de Christie & Co France. Et d'ajouter : "Le
niveau d'activité des hôtels à Paris est tel actuellement que beaucoup de sociétés
hôtelières souhaitent s'y établir. Y compris des investisseurs privés." Et
pour cause ! Depuis 1996, les performances de l'hôtellerie parisienne ne cessent de
progresser. Les chiffres communiqués par l'observatoire mensuel de Pannell Kerr Forster
Consulting France (PKF) sont éloquents en la matière.
Le taux d'occupation des 4 étoiles de la capitale est ainsi passé de 65,8 % voilà
quatre ans à 80,3 % (estimations) à fin 2000, tandis que celui des 3 étoiles frôlera
cette année les 79,6 % contre 78,2 % en 1996. "En réalité, l'année 1998,
marquée par le déroulement de la Coupe du Monde de Football, a bel et bien contribué à
la relance du secteur", explique le cabinet PKF. Les prix moyens chambre se sont
d'ailleurs envolés depuis cette date. Ces derniers se stabilisant à 1 421 francs sur le
segment haut de gamme, 646 francs pour le 3 étoiles et 400 francs pour le 2 étoiles.
Des résultats sacrément incitatifs, d'autant que "la France apparaît comme
une place sécurisante pour bon nombre d'investisseurs internationaux", estime
Yves Marchal, patron de Jones Lang Lasalle Hotels de Paris. La capitale bénéficie de
fait d'une image très dynamique. La ville a su en effet se doter à temps des
infrastructures nécessaires à un développement rapide, tout en veillant à anticiper
les évolutions de la demande. "L'implantation de Disneyland Paris lui a conféré
une attractivité extrêmement forte sur le plan européen. Le projet d'extension à
l'horizon 2004 venant encore renforcer cette caractéristique", souligne PKF. Pas
de problème non plus du côté des infrastructures de transport à la hauteur de la
notoriété internationale de la destination.
Sans oublier une offre en expositions congrès d'envergure mondiale (1er rang avec 247
réunions associatives en 1999). Autrement dit, Paris scintille de tous ses feux, se
plaçant aux premiers rangs des destinations touristiques, de loisirs et d'affaires. Dans
ce contexte, assorti d'une économie française florissante, de monnaies étrangères
fortes (dollar et livre sterling) et d'une demande croissante des clients, les grands
groupes hôteliers veulent impérativement disposer d'un flag ship (porte-drapeau)
dans la capitale. D'autant qu'une compagnie hôtelière peut difficilement se dire
européenne, voire mondiale, sans réelle présence à Paris. "Le lendemain du
rachat de l'Hôtel Normandy, dont nous avons acquis le fonds de commerce pour 110 millions
de francs, nous avons été sollicités par des acheteurs qui nous en offraient davantage",
raconte ainsi Patrick Machefert, président des Hôtels de Paris (16 établissements en
propre dans la capitale).
Selon un récent sondage mené par Jones Lang Lasalle, premier du genre, auprès
d'investisseurs hôteliers, 44,5 % d'entre eux se disent en effet bel et bien à la
recherche d'opportunités dans plusieurs villes du Vieux Continent. "Munich
apparaît comme la ville suscitant le plus d'intérêt, mais Paris figure en seconde
position suivie de Rome, Madrid, Milan et Berlin", indique le cabinet. Et les
investisseurs sont tellement accrocs qu'ils affirment aujourd'hui être prêts à accepter
un rendement moindre. "Sur la plupart des marchés européens, le rendement
initial attendu est effectivement bien inférieur à 10 %", précise Yves
Marchal.
Avec un taux de rendement de 8 %, Paris ne caracole pas en tête du hit-parade de la
rentabilité. "Le coût du foncier dans Paris intra-muros est effectivement tel
aujourd'hui, que la construction d'hôtels économiques ou moyens de gamme est devenue
quasiment impossible à rentabiliser par l'exploitation hôtelière", notent les
consultants de Pannell Kerr Forster Consulting France.
"Seule la création d'hôtels haut de gamme peut encore être envisagée",
surenchérissent ces derniers. Qu'à cela ne tienne. Quand on aime, on ne compte pas
(semble-t-il). Reste qu'il faut encore pouvoir trouver des sites appropriés. Ce qui, à
l'heure actuelle, relève d'un véritable casse-tête chinois. Peu d'endroits restent en
effet disponibles dans la capitale.
"Les produits bien placés et qui plus est bien conçus sont des denrées rares",
affirme sans détour Jean-Marc Andréola, gérant de la société Prestim. En fait, les
créations qui sont récemment sorties de terre, type Sofitel Bercy (500 millions de
francs), ou bien encore celles sur le point d'aboutir dans les mois à venir (Marriott à
Boulogne, un établissement à la piscine Molitor...), résultent généralement de
programmes anciens, bloqués durant la dernière crise immobilière. "Il suffit en
effet d'observer les CDEC pour se rendre compte qu'il n'y a pratiquement pas ou pas du
tout d'offre nouvelle", lance Yves Marchal.
En réalité, l'essentiel de l'offre en matière d'hôtellerie est détenu par des
institutions telles que les Hôpitaux de Paris (Laennec notamment), le CFCE, la SNCF, le
ministère de l'Intérieur... Celles-ci cèdent leurs locaux dans un souci de
concentration ou de rationalisation, libérant de vastes espaces, la plupart du temps au
cur de quartiers historiques ou d'affaires. Une donnée qui ne joue pas d'ailleurs
nécessairement en faveur des développements hôteliers.
Hormis certaines reconversions d'immeubles déjà avancées telles que l'ancien siège
de la banque Comptoir des Entrepreneurs, transformée en un hôtel Hyatt, ou le Hilton
Courcelles (ancienne caserne de police), la pertinence d'investissements de nature
hôtelière ne saute pas aux yeux des promoteurs. D'autant que, malgré les bons
résultats actuels affichés par le secteur, la sensibilité de ce marché à la
conjoncture internationale n'est pas faite pour sécuriser les promoteurs.
Cela signifie qu'à l'occasion d'une mise en concurrence avec de l'immobilier de nature
différente, l'hôtellerie ne l'emportera pas nécessairement. Au contraire ! La
surchauffe du marché de la pierre dans la capitale joue contre le secteur (le prix au m2
a bondi de 29 % sur Paris intra-muros depuis le 3e trimestre 1997) . "Il est
évident que le montant des charges foncières dévolu à l'habitation, et a fortiori aux
bureaux ou aux commerces, est nettement plus important que le montant pouvant être
absorbé pour l'hôtellerie, quelle que soit sa classification", analyse PKF.
Dans ces conditions, construire de l'immobilier d'entreprise ou de logement apparaît
beaucoup plus rentable pour un grand nombre de promoteurs. Sachant qu'il y a dans ces deux
derniers domaines, là aussi, pénurie d'offre existante. "Paris a connu la baisse
la plus rapide de l'offre disponible en bureaux avec - 40 % en une seule année, notamment
pour ce qui concerne le centre- ouest de la capitale", précise Philippe Gauguier
de Pannell Kerr Forster Consulting France. Et d'ajouter : "La situation de
l'immobilier de logement est comparable du fait de la croissance économique soutenue qui
contribue à dynamiser les investissements immobiliers des particuliers. Et ce malgré une
hausse significative des prix."
Alors, la tendance inflationniste, voire spéculative qui sévit actuellement sur le
marché hôtelier parisien, va-t-elle perdurer ? Le prix de vente des établissements
hôteliers parisiens, qui d'après les experts s'élève actuellement aux environs de 3
fois le chiffre d'affaires, pourrait-il encore grimper ? Au dire de certains, les
transactions semblent s'être légèrement ralenties au cours des dernières semaines.
Mais, tout va vraisemblablement dépendre des produits et des emplacements concernés.
A l'évidence, plusieurs investisseurs, notamment étrangers, sont encore prêts à
'casser leur tirelire' pour s'offrir un 'joyau' dans le triangle d'or. Ce en dépit de
prix d'acquisition qui rendent aléatoire la rentabilité de l'investissement. On pourrait
donc assister à de nouvelles transactions dans cet arrondissement au cours des prochains
mois. Pour ce qui est des autres sites intéressants de la Ville Lumière, selon nos
informations, l'hôtel Nikko serait toujours pour l'heure sur le marché. Tout comme
l'hôtel Vendôme par exemple. Malgré tout, l'attractivité de placements différents va
probablement continuer de concurrencer le secteur hôtelier.
Ce qui n'empêche pas qu'au regard de la bonne conjoncture économique actuelle, des
établissements vont encore changer de main. D'ailleurs, il ne faudrait pas oublier que
l'essentiel du parc hôtelier parisien (1 444 hôtels dont 23 en 1*, 142 en 2*, 593 en 3*,
118 en 4*, 2 en 4*L) demeure encore la propriété d'hôteliers indépendants. Beaucoup de
transactions se réalisent donc à l'abri des regards indiscrets. Plusieurs grands noms de
la profession tels Bertrand, Marang, Thomas, Henneveux, Hurand, Cachan, Teil... pourraient
poursuivre leur développement.
C'est le cas de la famille Thomas (Rochester, Frontenac, Splendid Etoile) qui a repris le
fonds de commerce du Franklin Roosevelt, de Gilles Marang (Hôtel des Ternes, Hôtel du
Sénat, Hôtel Pierre...), nouveau propriétaire de l'Hôtel du Mont Thabor, ou bien
encore de Claude Teil qui a racheté le Chambiges et l'Horset Opéra. Jean Arvis a lui
aussi récemment mis la main sur Le Belloy tandis que l'Horset Washington aura un nouveau
propriétaire dès janvier 2001. Reste que ces transactions-là se réalisent à des
niveaux différents. La rentabilité n'est pas en effet un vain mot pour tout le monde !
Résultats de l'hôtellerie parisienne |
---|
1996 | 1997 | 1998 | 1999 | Estimé 2000 | |||||||||||
Taux d'occupation | |||||||||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Moyenne 4 * | 65,8 % | 72,3 % | 75 % | 75,5 % | 80,3 % | ||||||||||
Moyenne 3 * | - | 78,2 % | 79,2 % | 79,4 % | 79,6 % | ||||||||||
Moyenne 2 * | - | 80 % | 81,1 % | 83,9 % | 79,1 % | ||||||||||
Prix moyen (en FF HT) | |||||||||||||||
Moyenne 4 * | 805 | 860 | 1 016 | 1 320 | 1 421 | ||||||||||
Moyenne 3 * | - | 525 | 608 | 641 | 646 | ||||||||||
Moyenne 2 * | - | 315 | 338 | 403 | 400 |
L'hôtel Nikko de Paris serait aujourd'hui encore sur le marché.
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L'HÔTELLERIE n° 2699 Magazine 04 Janvier 2001