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A 19 ans, Pierre Lafha a remporté le concours du Meilleur apprenti cuisinier de France 2000 (1), le 6 décembre dernier. Il poursuit son apprentissage au restaurant Les Muscardins à Saint-Martin-de-Londres (Hérault), et prépare son brevet professionnel sous la houlette de Georges Rousset. Rencontre.
m Propos recueillis par Lydie Anastassion
L'Hôtellerie :
Vous êtes tous les deux la preuve que l'apprentissage fonctionne bien, et qu'il est
source de réussite. Quelle est votre recette au quotidien ?
Pierre Lafha :
Il faut discuter. Le maître d'apprentissage doit expliquer, mais c'est aussi à
l'apprenti de poser des questions. Chaque journée apporte un peu de savoir
supplémentaire. Je crois que l'important est d'être bien dans sa tête et de se lever le
matin en se disant que l'on va apprendre de nouvelles choses. Le gros problème, quand on
est en apprentissage, consiste à gérer les cours en même temps que l'entreprise.
Georges Rousset :
La vocation d'une personne qui a un métier manuel est de la transmettre. Les jeunes qui
nous arrivent, n'ont pas trouvé leur place dans les filières classiques de l'Education
nationale. Souvent, ils savent à peine écrire, ils sont sur la défensive. Ils ne sont
pas mauvais, ils sont faibles. Mais, contrairement à ce qui est souvent dit, ils ne
viennent pas chez nous par hasard. Deux ans d'apprentissage, c'est court. Ils se demandent
: 'Et après ?' Au maître d'apprentissage de ne pas casser le rêve, et de faire miroiter
au jeune un plan de carrière : apprendre un métier tout en gravissant les échelons. Un
jeune, auquel on offre la tranquillité professionnelle et la tranquillité financière,
ne pose pas de problème à une entreprise. Au-delà de la cuisine ou de la salle,
l'apprentissage est un révélateur qui va façonner le jeune. J'ai vu Pierre se
métamorphoser.
Pierre Lafha :
Par exemple, je me suis rendu compte que j'avais de grosses lacunes en mathématiques et
en français. Mais je me suis rendu compte que je ne pouvais pas m'en passer. Je prends
des cours particuliers. C'est beaucoup d'efforts car cela demande du temps. J'ai quitté
le collège en 4e, à 14 ans. J'avais un comportement excessif. Je suis parti travailler
sur les marchés, avec ma mère en Espagne. C'était difficile, et j'ai tenu un an. Je me
suis vite rendu compte que je n'arriverai à rien de cette façon. Je voulais faire
quelque chose de ma vie. J'ai choisi l'apprentissage et la cuisine. Chez moi, je faisais
des 'trucs de ménagère' comme des crêpes.
L'Hôtellerie :
Avez-vous failli arrêter ?
Pierre Lafha :
Pendant ma première année de CAP, j'ai failli tout laisser tomber. J'ai commencé mon
apprentissage à La Potinière à Béziers, et je suivais les cours à l'école
méditerranéenne de tourisme et d'hôtellerie de Béziers. C'était dur. Avec le recul,
je m'aperçois que je manquais de maturité. Et puis la passion a germé. J'ai changé
d'établissement. Je suis arrivé aux Framboisiers où le patron, Angel Yagues, m'a bien
aidé. Il a été patient et il m'a fait découvrir ce dont j'étais capable. J'y ai
obtenu mon CAP, puis mon BEP chez Michel Kayser à L'Alexandre à Garons. Sur la vingtaine
d'élèves de ma classe de CAP, environ la moitié a aban-
donné. Il faut comprendre les mécanismes de la vie d'un cuisinier. C'est vrai que l'on
passe plus de temps en cuisine que chez soi. Je l'accepte, c'est comme cela.
L'Hôtellerie :
En tant que conseiller de l'enseignement technique et maître d'apprentissage, quel regard
portez-vous sur les relations école-entreprise ?
Georges Rousset :
L'entreprise et le CFA doivent fonctionner de concert. L'apprenti doit y retrouver le
même langage, les mêmes contraintes professionnelles, le même environnement de travail.
Ce qui n'est pas le cas pour les jeunes scolarisés dans les filières de l'Education
nationale. Entre midi et 14 heures, les professeurs ne travaillent pas, dans un restaurant
si. Du coup, du jour au lendemain, lors de stages, les élèves basculent dans la vie
professionnelle.
L'Hôtellerie :
Lorsque l'apprentissage est un échec, à qui incombe la responsabilité ?
Georges Rousset :
L'ambiance professionnelle au sein d'une entreprise est responsable de la plus grande
partie des ruptures. Le maître d'apprentissage doit, bien sûr, avertir des contraintes
et des obligations du métier. Mais il doit aussi être psychologue. Pas besoin d'insulter
un jeune ou de le mettre plus bas que terre. On peut être perfectionniste sans être
méchant. Ou alors, on tue le rêve. Alors qu'ils investissent des millions de francs dans
des fourneaux, les chefs d'entreprise sont réticents à se former au management des
ressources humaines ensuite, il y a la place de l'apprenti, sa position au sein de
l'entreprise. Normalement, c'est un complément de main-d'uvre à qui l'on donne un
savoir-faire. Ce n'est pas un bouche-trou que l'on met sur un poste de travail et que l'on
renvoie au bout de deux ans. De la même façon, on ne fait pas faire le ménage par le
personnel de salle, qualifié pour travailler avec le client. n
(1) Le concours du Meilleur apprenti cuisinier de France est organisé par
l'Association des maîtres cuisiniers de France :
40, rue Blanche - 75009 Paris
Tél. : 01 45 26 99 39
Fax : 01 45 96 00 15
Et de trois ! Avant Pierre Lafha, Eric Vidal (Meilleur apprenti cuisiner d'Europe)
et Sébastien Baldi, (Meilleur apprenti cuisinier de France 1998) ont fait leurs gammes
devant le piano de Georges Rousset (à gauche). Quant au lauréat 2000, il se prépare au
concours du Meilleur apprenti cuisinier d'Europe qui se déroulera en novembre 2001 lors
du salon Equip'Hotel.
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L'HÔTELLERIE n° 2712 Magazine 5 Avril 2001