Il fallait oser, Michel Troisgros l'a fait : le 1er février 2001, il réglait les détails du premier service du Koumir, son restaurant de Moscou. C'est avec force et talent qu'il représente aujourd'hui la cuisine française dans la capitale russe. Six mois après, le chef de Roanne raconte son aventure moscovite.
m Jean-François Mesplède
© DR
Tout part d'une rencontre. En juillet 2000,
Michaël Nikolaev, "fou de cuisine française", vient un jour s'attabler
à Roanne. Séduit par la maison Troisgros, il reviendra régulièrement. Cet épicurien
de 42 ans dirige une compagnie d'assurances et partage son temps entre Bruxelles et
Moscou. C'est de cette ville dont il parlera à Michel Troisgros, lui proposant de s'y
installer.
Comme son père Pierre le fit des années plus tôt avant de participer à l'ouverture du
Maxim's de Tokyo (1), Michel Troisgros demande à voir. "Il faut être attentif à
toute opportunité. Michaël Nikolaev avait dans l'idée d'ouvrir un grand restaurant
français à Moscou où, à côté de bonnes adresses japonaises, italiennes, chinoises
et... russes, il n'existait rien de sérieux. J'avoue que j'étais séduit, car depuis
longtemps la Russie me fascine : la richesse de sa gastronomie, ses immenses paysages, sa
nature encore intacte et l'ouverture d'esprit et la sensibilité des Moscovites pour la
fête. Mais aussi parce que la haute cuisine française y est très mal représentée et
que ce projet représentait une chance de la valoriser dans un pays en pleine
mutation."
L'approche est lente. Pour un tel projet, il est important de bien se connaître et
d'établir une confiance mutuelle avant de jeter les bases d'une collaboration. Pendant
une dizaine de jours, Michaël Nikolaev s'installe chez les Troisgros et, midi et soir,
goûte tous les plats de la carte. C'est le coup de cur ! La cuisine de Roanne
correspond tout à fait à ce qu'il veut pour 'son' restaurant. "La cuisine de
Roanne est une cuisine des provinces, très éclectique, une sorte de melting-pot. Une
cuisine très parfumée avec herbes et épices", commente Michel Troisgros.
A son tour, Michel Troisgros se rend à Moscou. Sur place, il découvre le futur Koumir :
un hôtel particulier classé du XIXe siècle avec sa façade en briques et sa cour
intérieure. A deux pas d'une grande artère très commerçante entre la place Pouchkine
et la place Rouge, mais un peu en retrait de l'effervescence, la situation est idéale. Le
lieu le séduit et c'est Youri Kupper, un artiste russe qui vit à Paris, qui se charge de
concevoir le décor à base d'uvres d'art d'un pur style art déco. Curiosité,
l'esprit est un peu celui du Comme chez Soi de Bruxelles avec les réalisations d'Horta...
où Michel Troisgros fit jadis ses premières armes.
Le 1er février 2001, premier service pour le Koumir qui tourne
aujourd'hui à 60/70 couverts avec des pointes à 120 couverts.
Une équipe venue de Roanne
Peu à peu, tout se met en place. Sous la houlette de Michel Troisgros, une bonne partie
de l'équipe de Roanne s'installe à Moscou : Christophe Lara, chef de cuisine, et
Frédéric Doucet, chef de partie, Jean-Jacques Banchet, sommelier, et Sébastien
Degardin, chef pâtissier, viennent épauler les 'résidents' : Guillaume Joly, chef de
cuisine, Suki Maman, chef pâtissier, et Patrice Tereygeol, directeur général.
Le 1er février 2001, premier service pour un restaurant de 50/60 places, ouvert en
non-stop de 12 heures à 23 heures. "Il n'y a pas vraiment de coup de feu et l'on
passe à table à toute heure", explique Michel Troisgros. Effet de nouveauté et
appui de la presse aidant, on se bouscule pour découvrir le Koumir qui tourne à 60/70
couverts, avec des pointes à 120 couverts certains jours. Cela dure deux mois avant une
stabilisation à une cinquantaine de couverts quotidiens.
Les plats de la carte (3 soupes indispensables pour respecter la tradition locale, 5
entrées, 5 poissons et coquillages, 5 viandes, fromages de France et 5 desserts) en
attestent : le Koumir (Diva en Russe...) est un authentique restaurant français où l'on
retrouve la tradition et les innovations de la maison Troisgros.
"C'est une cuisine contemporaine, évolutive, pure et savoureuse. La même que
celle élaborée à Roanne car les Russes apprécient les goûts pointus et
l'originalité", explique Michel Troisgros. Chef rôtisseur pendant deux ans à
Roanne, puis chef de cuisine du Café M au Hyatt de Paris Malesherbes, Guillaume Joly est
chargé de l'élaborer. Pour les desserts, c'est Suki Maman, lui aussi passé par Roanne
après une enfance anglaise, qui officie. Atout non négligeable, ce pâtissier de 32 ans
parle 6 langues dont le russe. En salle, confiance à Patrice Tereygeol, encore un
'ancien' de Roanne. A Moscou depuis 8 ans, il a ouvert le Club T, un restaurant renommé,
et possède une solide expérience de la clientèle russe. Avec ses petits clins
d'il au pays (Koupols dorées aux mangues avec passions où les meringues évoquent
les coupoles dorées des églises russes, Etoile rouge aux fraises moscovites, un biscuit
sablé), la carte est séduisante. Celle des vins aussi avec ceux de propriétaires comme
Henri Jayer, Jean-François Coche-Dury, Jean-Marc Boillot, Jean-Marc Pavelot, Patrick
Javillier que le Koumir est le seul à proposer en Russie et dont les mérites sont
vantés par Dimitri, Meilleur sommelier de Russie 2000.
Au déjeuner, la formule à 70/80 dollars plaît. Le soir, les tarifs s'élèvent un peu
et le prix moyen se stabilise à 150 dollars (1 000 à 1 200 francs environ).
© Sophie Tramier |
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Point délicat : l'approvisionnement
Même si les fruits, légumes, épices, champignons (splendides cèpes frais et secs,
chanterelles, morilles) et poissons d'eau douce sont de provenance locale, le Koumir est
approvisionné deux fois par semaine en produits de France. A Rungis, c'est Hammon, une
maison spécialisée dans l'import-export, qui s'en charge avec en particulier les
poissons frais et crustacés de Vanikoff et les viandes des Boucheries de Paris. Pour les
fromages, Michel Troisgros fait confiance à son ami Hervé Mons qui livre tous les mardis
matin et confie le choix des chocolats de couverture et des pralines au Roannais François
Pralus. "L'approvisionnement reste un point délicat. Il y avait un gros travail
de sélection et de recherche des produits. C'est ensuite un climat de confiance à
établir avec les producteurs locaux. C'était un peu difficile au début où toutes les
livraisons n'étaient pas arrivées... Mais nous avons su trouver les faiblesses et tout
est rentré dans l'ordre aujourd'hui. Aller à Moscou n'est pas comme aller à New York :
nous sommes précurseurs, avec tout ce que cela comporte comme dangers",
témoigne Michel Troisgros.
Six mois après l'ouverture, même si quelques questions se posent pour l'avenir, Michel
Troisgros est plutôt satisfait. Tous les deux mois, il va passer trois jours à Moscou
qui n'est jamais qu'à 3 heures et demie d'avion de Lyon !
"Il est important d'être présent régulièrement, ne serait-ce que pour soutenir
l'équipe. Nous étions partis très fort puis, comme nous le pressentions, tout s'est un
peu calmé. Nous relancerons avec la carte d'automne où quelques opérations de promotion
sont prévues pour fidéliser encore nos clients. Notre clientèle est à 70 % russe et à
30 % d'expatriés de toutes nationalités, initiés à la cuisine française. Il faut
aussi savoir que 4 000 Français vivent à Moscou. Si nous n'avons pas de souci
particulier sur cette clientèle, nous sommes un peu dans l'inconnu pour l'avenir, nous
demandant en particulier jusqu'à quel point les Russes seront fidèles à notre produit.
Un peu comme à New York, il faut créer l'événement et rester dans les modes car les
consommateurs ont tendance à zapper." n
(1) A travers la chaîne de grands magasins Odakyu qui diffusent leurs produits en boutique, les Troisgros sont présents depuis 1983 au Japon où un Café Troisgros a été ouvert dans l'esprit du Central de Roanne.
Restaurant Koumir/Michel Troisgros
Triokchproudri Peredulok
Moscou 103 001 - Russie
Tél. : (00-70-95) 231 25 25
Côté personnel |
Six mois après l'ouverture,
tout est stabilisé. Le restaurant emploie une cinquantaine de salariés qui travaillent
selon le régime de 2 jours de travail (de 10 heures à 1 heure du matin) et 2 jours de
repos. Les viandes sont découpées en salle, le service se fait au guéridon avec flambage le cas échéant.
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A la cartel Rouleau de saumon
fumé, fenouil et caviar |
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L'HôTELLERIE n° 2725 Magazine 5 Juillet 2001