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Les hommes qui tiennent un café mettent généralement en avant la convivialité du lieu. Les femmes qui dirigent un bistrot évoquent davantage la richesse du contact humain dès lors qu'il est empreint de respect. Une certitude, elles aiment leur métier. Témoignages.
m Sylvie Soubes
Serveuses ou patronnes ?
L'une fait couler un café, l'autre prépare la salle. Serveuses ou patronnes ? Le Grillon
est un bistrot parisien niché à quelques enjambées de la gare Montparnasse. Un plafond
mouluré, des tables de bois et des couleurs jaune et bleu jouent la carte de
l'authenticité. Les habitués ont ici entre 25 et 35 ans. Des cadres, pour la plupart,
faisant une pause café ou Perrier en fonction de l'horaire. Serveuses et patronnes ? Ceux
qui entrent pour la première fois s'interrogent instinctivement. France Aguado et sa
belle-sur, Line Guionnet, sont différentes physiquement. L'une est brune, l'autre
blonde. Chacune a sa propre personnalité et entend bien la conserver. Associées dans
l'affaire, elles la dirigent depuis 1999. Une première pour elles. France travaillait
auparavant dans le secrétariat commercial téléphonique et Line dans la mode. France
avoue d'ailleurs qu'elle ne fréquentait que très rarement les cafés jusque-là. Et
pourtant, c'est de leur plein gré qu'elles se sont lancé dans l'aventure. Unique
connaissance du secteur, un parent commun, patron du bar-brasserie Le Linois. "C'est
un projet que nous avions depuis longtemps. On avait pensé s'installer dans le Sud-Ouest,
puis on s'est rabattu sur Paris. Nous voulions d'abord prendre une gérance libre. Il nous
manquait l'expérience. On a dû se résoudre à acheter d'emblée. C'est comme ça qu'on
a craqué pour Le Grillon. Il nous a tout de suite plu", explique France.
Le fait que ce soit deux femmes, et non un couple, qui recherche une gérance a-t-il pesé
en votre défaveur ? "Non, les refus que nous avons essuyés étaient vraiment
liés au fait que nous n'avions jamais travaillé dans un café." Les premiers
jours à la tête du Grillon resteront gravés dans les mémoires. "Line s'était
un peu rodée au bar du Linois. Quant à moi, j'ai fait le vendredi ici avec les anciens
patrons. L'établissement a été fermé le week-end et on a démarré le lundi."
Au petit bonheur la chance. "Je garde un souvenir irréaliste. On avait
l'impression que la clientèle nous dévisageait, voyait la moindre de nos bêtises. Nous
devions aussi rassurer Yvette, qui était en salle auparavant et qui prenait les rênes en
cuisine. En plus, je n'avais pas l'habitude de marcher, et c'est fou le nombre de pas
qu'on peut faire dans un service. On gaspillait notre énergie pour un couteau ou une
corbeille de pain. Nous ne savions pas optimiser nos allers et retours. Cette semaine-là,
nous n'avons pas réussi à trouver un quart d'heure pour déjeuner !"
Comment réagit la clientèle devant des femmes ? "C'est clair, qu'au début, il y
a eu un phénomène de curiosité de la part de la clientèle masculine. Maintenant, c'est
terminé. Bien sûr, il existe un jeu de séduction. Mais il ne faut pas qu'il dépasse
certaines limites. Nous devons respecter la clientèle et nous faire respecter."
Ni France, ni Line ne regrettent d'avoir franchi le cap. Etre son propre patron est à
leurs yeux une "chance". "Je ne crois pas que je supporterais de
retourner dans un bureau, et pourtant, je l'ai fait pendant des années", confie
d'ailleurs France. Devenir "son propre patron" et choisir "volontairement
cette voie" sont des motivations qui conduisent de plus en plus de femmes à
s'installer. Le constat est d'autant plus important qu'il tranche avec les générations
passées. Les mères et grands-mères 'tenancières' étaient, pour la plupart, l'épouse
du patron. Et quand elles dirigeaient seules une affaire, c'était le plus souvent par
obligation, parce qu'elles n'avaient rien d'autre pour survivre. Rarement par décision
personnelle. Même si elles y prenaient goût ensuite.
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Famille
Corinne David veille depuis 8 ans sur Le Relais du 3e Pont à Blois. 25 ans de
métier, ancienne serveuse, maman d'un garçon de 22 ans... Pour elle, comme pour de
nombreuses professionnelles, concilier bistrot et vie de famille n'est pas facile. "Ici,
j'ouvre de 7 h 30 à 20 heures. Ça me laisse peu de temps pour m'occuper des miens."
Elle ajoute : "Dans un café, on fait malheureusement beaucoup d'heures pour
gagner des clopinettes. Le seul vrai bonheur de ce métier, c'est la relation humaine. Je
ne crois pas qu'il y ait des professions aussi proches des gens. On touche toutes les
couches de la société, vous savez." Les bons vrais médecins de campagne se
font rares...
"Etre une femme n'est pas un problème, continue Corinne. Avec l'habitude,
on devine, on sent l'individu qui est en face. Et on apprend à garder ses distances. Mais
on doit les écouter, c'est notre rôle. Les gens sont de plus en plus stressés et ils
viennent au bistrot pour discuter. Ils ont besoin qu'on les écoute."
Corinne n'aime pas les machos. Encore moins les commerciaux qui veulent s'imposer. "Il
n'y a pas longtemps, une marque d'anisé m'a envoyé un petit branleur. C'est marrant, il
n'est pas revenu. Vous me direz, c'est ce qu'il avait de mieux à faire." Le
franc-parler de Corinne est légendaire. Tellement bienvenu aussi. Quand il faut négocier
un contrat, elle fait front. "Ce n'est pas parce qu'on est une femme qu'on n'a pas
les capacités de parler chiffres. Quand on doit affronter un fournisseur, j'ai souvent
remarqué que mes collègues masculins avaient tendance à s'emporter, à entretenir un
rapport de force. Une femme va mettre le holà plus rapidement, ce qui n'empêche pas
d'obtenir de bonnes conditions." Au Relais, Corinne ne s'est jamais laissée
déborder. Question d'habitude, comme elle le souligne. Question de personnalité surtout.
"Quand on dirige un bar, il faut être catégorique. C'est encore plus vrai pour
une femme. Dès le départ, j'ai sélectionné. Je ne veux pas d'une mauvaise clientèle.
Il faut aussi que les hommes me respectent. On est là pour travailler, pas pour se
prostituer."
Fermeté et diplomatie
Un BEP comptable à la base, un mari cuisinier, Nelly Hamelin entre de plain-pied dans le
milieu de la restauration en ouvrant d'abord un restaurant. En 1992, nouvelle étape avec
la reprise de l'Acropole, un bar-brasserie du Mans, rue du Docteur Leroy. "L'établissement
avait été sous le coup d'une fermeture administrative et le challenge était de relever
la clientèle. Je voulais prendre les choses en main et mon mari m'a laissé carte
blanche. J'ai bien mis 18 mois pour redresser l'image. Mais j'y suis parvenu. Comment ? En
faisant preuve de fermeté et de diplomatie." Cet établissement à proximité du
centre se distingue par une forte clientèle féminine. Les commerçants du quartier
apprécient également de déjeuner chez Nelly Hamelin. Elle avoue une victoire
lorsqu'elle voit des commerçantes manger un plat au bar. Les atouts de Nelly sont dans
l'humour et une philosophie positive de l'existence. "Nous sommes dans une
société qui baisse vite les bras. Moi non. Et dans mon établissement, j'ai envie de
faire passer un message positif pour que les gens se sentent bien et reviennent."
Même approche vis-à-vis de son personnel. "Il faut le respecter. Simplement, le
travail, c'est le travail. Si les règles sont bien établies et qu'on est juste, il n'y a
pas de soucis." Nelly est de la trempe des suffragettes. "Je suis pour la
libération de la femme, reconnaît-elle. Le respect de l'individu, c'est la seule
chose qui compte. Les rapports humains dans un café sont assez forts, parfois excessifs.
Mais j'aime ce métier qui est pétillant, plein d'imprévu, plein de vie.
Personnellement, quand je discute avec des hommes, j'ai envie de leur faire comprendre
comment aimer la femme. Et ça débute par le respect."
De femme en femme
A Paris, rue de Rennes, le Café du Métro est tenu par un jeune couple : Anne et
Christophe Monnaye. Leur directrice est une femme, tout comme leur chef.
Plongeuse 'par hasard', puis serveuse, Sylvie Gourceaud a rencontré Anne lorsque, novice
dans le métier, elle faisait ses armes à l'Auberge Aveyronnaise. Leur amitié allait
décider de l'avenir de Sylvie. Anne et son mari, qui reprennent une affaire familiale,
lui confient la direction de la salle. "Nous sommes là depuis 5 ans. Pour moi,
ça a été comme un déclic. On me donnait des responsabilités et je les assumais. Je ne
savais pas, en fait, que j'étais capable de le faire. Quand on arrive à ce stade, on ne
raisonne plus pareil. On ne fonctionne plus par rapport à soi, mais par rapport à
l'établissement." Les premiers mois au Café du Métro n'ont pas été de tout
repos. Tous ceux qui ont dû diriger une équipe en place depuis plusieurs années peuvent
en témoigner. Faire changer les réflexes peut entraîner bien des malaises. Plus encore
lorsque c'est une jeune femme qui donne les ordres (Sylvie avait 25 ans). "Tout a
été possible grâce à Anne et Christophe. Ils savent montrer l'exemple tout en restant
très humains. Pour me faire accepter des serveurs, il a fallu que je fasse mes preuves.
Si je ne montrais pas que j'étais la meilleure, je ne sais pas s'ils m'auraient
écoutée, respectée." Pour Sylvie, l'horizon se dessine désormais de manière
nette et précise. Ses ambitions sont maintenant d'ouvrir un café. "C'est un
métier assez fabuleux. Je me suis aperçue que, lorsque je réussissais à faire sourire
quelqu'un, ça me rendait heureuse. Le côté humain est exacerbé. Le contact change
tout. Vous imaginez qu'on peut faire plaisir avec un mot, un sourire, une attention, une
ambiance..."
Sylvie parle d'un établissement pas trop grand. "Gérable". "Ce
métier permet de s'épanouir parce qu'on est en prise directe avec la société. Il faut
évidemment vouloir y mettre quelque chose. C'est en tant que femme que je parle !" n zzz18p zzz24
Sylvie Gourceaud (à gauche) a appris aux côtés d'Anne Monnaye comment gérer
une affaire. Son ambition future : prendre à son tour un café.
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L'Hôtellerie n° 2747 Magazine 6 Décembre 2001