Le service hôtelier dans la marine marchande est un secteur essentiel dont dépend le succès commercial de nombre de compagnies. Un secteur qui recrute et qui impose une organisation de vie et de travail particulière. Embarquement sur le SeaFrance Rodin.
Alain Simoneau
La salle de la Brasserie, lieu de restauration et de fêtes à bord.
Il est aujourd'hui le vaisseau amiral de la flotte
transmanche le plus beau, le plus grand, le plus rapide, le plus confortable (186 m de
long, 28 m de large, 700 voitures et 1 900 passagers en été, 120 camions en hiver, 75
marins et officiers par bordée). Il peut filer 25 nuds et effectue la traversée
Calais-Douvres en 1 heure. Le SeaFrance Rodin est le dernier-né du pavillon français sur
le détroit, la fierté des 800 marins de la compagnie SeaFrance qui embarquent à tour de
rôle sur 4 navires. 800 marins, dont 500 ADSG - comme on dit dans leur métier -,
autrement dit, les marins du service hôtelier, s'occupent de tout ce qui est accueil à
bord : la restauration, les bars, le tabac, le commerce à bord... "La compagnie
transporte quelque 2 800 000 passagers par an, 50 % se restaurent à bord",
résume Bernard Leupe, directeur des ventes à bord. Depuis l'abolition du duty free (les
ventes à bord hors taxes d'alcool, de tabac et de parfum) et la disparition de ses marges
juteuses, le transport engendre le chiffre d'affaires essentiel du transmanche. Mais
l'agrément de la vie à bord reste un élément concurrentiel essentiel.
Une bordée de marins du service hôtelier à bord du Rodin représente de 40 à 55
personnes selon la saison et le nombre de passagers à bord. On produit en cuisine 24
h/24. La bordée en cuisine (il y a donc 4 brigades différentes par jour) comprend un
chef et deux seconds, et au moins une dizaine de chefs de partie et de commis. Les uns
viennent 'd'à terre', d'autres ont suivi les cours de l'école hôtelière marine du
Havre, celle qui formait les professionnels des paquebots de la Transat, d'autres encore
ont appris sur le tas.
Les cuisines, plus longues que larges, sont dotées de tous les équipements : 80
% des prestations sont exécutées à bord.
Produire à bord
SeaFrance, durement éprouvée comme son adversaire, l'armement britannique P & O SL
bien plus puissant sur le détroit, aussi bien par l'agressivité d'Eurotunnel que la
perte du duty free, a dû réagir. L'une de ses armes de challenger est la 'french touch',
l'accueil et la restauration en premier lieu. Il fallait élever le niveau de la carte et
de sa réalisation, séduire les Britanniques tout en restant dans des zones de prix
acceptables (lire encadré ci-contre). Pour compliquer le tout, la puissance du Rodin et
de la nouvelle génération de ferries qui le suivront réduit le temps de traversée d'un
quart d'heure. Les passagers n'ont au mieux que 40 minutes à passer à table, souvent
moins, à l'exception des groupes qui effectuent un aller-retour pour un séminaire, une
fête de famille ou un banquet d'association. Bruno Andrieux, auparavant chef à l'Hôtel
du Parc à Hardelot (62), une très bonne table de la côte d'Opale, a été embauché
comme responsable de la restauration de SeaFrance avec cette délicate feuille de route.
Chefs et marins, David Deroy, Patrice Talleux, Laurent Lothe et Christophe Wadoux.
Bruno Andrieux est formel : "80 % des prestations sont réalisées à bord.
Zakouski de cocktails, buffets et banquets, snacks chauds (une spécialité du bord),
plats mijotés et cuisine classique. Nous utilisons un peu de surgelés et des fonds et
fumets du marché, c'est tout. Nous avons de vrais professionnels à bord avec des
capacités. Mais l'habitude avait été prise de s'en tenir à une recherche du prix de
revient moyennant le suivi de fiches techniques trop standardisées." La
stratégie du patron de la restauration a été de laisser les professionnels se révéler
à eux-mêmes. Ils bénéficient de cuisines équipées comme la dernière-née des
cuisines d'hôtel de classe internationale avec toutes les astuces d'un espace mesuré,
mais tout de même au total important. Les prix de revient et les menus finalement mis sur
la carte restent assez étroitement contrôlés, mais les cuisiniers, les chefs en
particulier, ont retrouvé toutes leurs gammes. Travaillant à Hardelot pour une
clientèle à plus de 50 % britannique, Bruno Andrieux avait l'avantage de connaître ses
goûts et couleurs. Pour respecter le peu de temps disponible, l'option a été prise de
travailler du frais pour l'essentiel, créatif, mais sans complication excessive. Il n'y a
ni cuisine d'assemblage, ni cuisine différée. "Nous travaillons dans
l'instantané en anticipant grâce aux prévisions données par les réservations et les
statistiques de saison", note Bruno Andrieux.
Parmi les cuisiniers et le personnel de salle venus d'à terre, par exemple en CDD pour
une saison, beaucoup ne rêvent que de titularisation. Personne ne gagne moins de 1 600 e
chez les hôteliers du bord, et les périodes de repos sont tentantes, même s'il faut
accepter le travail de nuit. Alors, quand on a le pied marin... Bruno Andrieux, lui,
continue son option d'exploration. Il a débarqué le 15 février dernier pour lancer,
avec le groupe Agapes, un nouveau concept de restauration. n zzz70
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La 'french touch' |
Le SeaFrance Rodin décline au top niveau le 'concept SeaFrance'
d'accueil des passagers, c'est-à-dire une 'french touch' juste assez marquée pour
séduire des passagers à 80 % britanniques sans les effaroucher. On retrouve en gros le
même schéma à moindre échelle à bord des autres navires. Le CHR du Rodin comprend : w Le Pub, un espace de 400 places assises, avec grand bar sur parquet huilé et ouvertures bien sûr en forme de hublot, décoration à base d'acajou, de cuivres et de teintes grèges ou bleues. Objectif : limonade, bière surtout. w La Brasserie, à l'avant, sur le pont supérieur. C'est un espace assez bourgeois de 365 places assises, dont un cercle restreint de 60 places pour service à la place. Objectif : une vraie restauration avec certaines ambitions créatives, et l'organisation de fêtes privées ou de séminaires. Premier prix pour un 3 services : 22-23 e hors boissons. Peut monter au double pour certaines prestations. w Le Parisien, 310 places assises, à l'avant du pont le plus fréquenté. Vaste bar. Recherche une clientèle plutôt familiale et abrite les animations. Objectif : une restauration classique et l'organisation de véritables fêtes à bord. Autour de 15-20 e. w Le Relais, une restauration plus simple en self-service avec plats anglais et français à prix serrés. Compter 6 e le plat, 15 e le repas complet. Salades d'abord, plats enfants. 400 places. w Un restaurant routier de 160 places (un record du genre). Il faut savoir que pour les routiers, ce temps de repos est salutaire. w Un espace repas pour l'équipage qui représente quelque 150 repas par jour. Le tout est servi par une cuisine centrale capable de fournir des repas très différents à un navire qui peut recevoir jusqu'à 18 000 passagers par jour. |
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L'Hôtellerie n° 2763 Magazine 4 Avril 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE