Propos recueillis par Claire Cosson
Neuf heures du matin, 26e étage de la tour Maine-Montparnasse au siège du groupe Accor. Quelques rires fusent dans les bureaux du directeur du développement. Un havane au coin des lèvres, Christian Karaoglanian tire sur son cigare avec volupté. Aujourd'hui, l'heure semble exceptionnellement au calme et à la sérénité. Aucun gros dossier chaud n'est en effet sur le feu. Alors, ce diplômé de Sciences-po et d'économie savoure pleinement le moment présent. Avec d'autant plus de plaisir qu'il admet volontiers que le stress des grandes acquisitions peut parfois devenir pesant. Et, en la matière, cet ancien de Jacques Borel International a beaucoup donné au cours des dernières années. En témoigne la croissance musclée de l'entreprise française dont le nombre d'hôtels a très sensiblement progressé, passant de 2 000 en 1992 à plus de 3 650 en 2001. Rien qu'en 2001, le nombre de chambres a d'ailleurs bondi de 26 000 chambres, dont 58 % sous forme de croissance organique et 42 % d'acquisitions.
L'Hôtellerie :
Voilà un rythme de croissance particulièrement soutenu. Comment la direction du
développement est-elle organisée pour parvenir à tenir la cadence ?
Christian Karaoglanian :
Accor bénéficie d'une organisation de développement non centralisée. Nous fonctionnons
en fait avec une équipe de 50 développeurs, répartie sur une quinzaine de zones
géographiques, et une direction centrale réduite. Cette direction centrale a plusieurs
missions à effectuer : définir la stratégie de développement globale du groupe,
apporter son aide aux développeurs terrain et finaliser les grandes acquisitions
(financièrement lourdes). De leur côté, les développeurs recherchent, eux, les
opportunités locales à saisir. Ce type d'organisation procure davantage de
disponibilité et une plus grande réactivité.
L'Hôtellerie :
Réactivité rime-t-elle avec rapidité d'exécution ?
Christian Karaoglanian :
D'une manière générale, il n'y a pas de décision à prendre en 24 heures. Il faut
effectivement savoir que les négociations en hôtellerie varient de 2 à 5 ans entre
l'identification du terrain et la concrétisation physique d'un projet d'hôtel. Il n'en
reste pas moins vrai que la concurrence est forte dans ce secteur d'activité. Nous sommes
donc toujours sur le qui-vive ! Ce qui ne signifie pas pour autant que nous confondions
vitesse et précipitation. Un mauvais investissement, on le paye en effet à vie.
L'Hôtellerie :
Mais qu'est-ce qu'un bon investissement finalement pour vous ?
Christian Karaoglanian :
Un bon investissement répond tout d'abord aux objectifs stratégiques d'Accor (choix du
produit, choix du pays). Il doit notamment garantir une bonne rentabilité des capitaux
investis. Enfin, il doit être porteur d'image. Prenons le cas du Sofitel Paris Le
Faubourg : il s'inscrit très bien dans cette logique. De par son emplacement (à deux pas
de la Concorde) et sa décoration (signée Pierre-Yves Rochon), cet établissement
constitue un véritable porte-drapeau pour la chaîne Sofitel et pour Accor. Il enregistre
d'excellents résultats financiers même après le 11 septembre. Et puis, cerise sur le
gâteau, le projet dont Accor est le premier actionnaire a été réalisé avec des
partenaires financiers. Un dossier idéal !
L'Hôtellerie :
Selon vous, l'emplacement constitue-t-il toujours un élément capital dans un projet
hôtelier ?
Christian Karaoglanian :
L'emplacement demeure totalement d'actualité ! Bien entendu, il varie en fonction des
produits à développer, à savoir économique, milieu de gamme ou luxe. Il n'empêche
qu'une bonne visibilité, une bonne accessibilité (le long des autoroutes, à proximité
des moyens de transport...), une zone primaire de chalandise conséquente, et aujourd'hui,
une qualité de l'environnement sont des éléments indispensables à la réalisation
d'une implantation hôtelière.
L'Hôtellerie :
Cela signifie-t-il que le prix d'acquisition d'un terrain n'est pas capital au succès
d'une unité hôtelière ?
Christian Karaoglanian :
Je crois sincèrement qu'il ne faut jamais chercher à privilégier le prix du foncier
dans un projet hôtelier. Une recherche systématique du terrain bon marché peut conduire
à des mauvais choix d'implantation.
En moyenne et hors situations particulières (cur de capitales européennes), on
peut dire que l'acquisition d'un terrain représente 10 à 20 % du coût total d'un
hôtel. Autrement dit, le prix du terrain est un élément important, mais définitivement
insuffisant dans la réussite d'un projet global.
L'Hôtellerie :
Dans ces conditions, la loi du millième est-elle toujours aussi déterminante dans la
réussite d'un hôtel ?
Christian Karaoglanian :
Personnellement, j'estime que la règle du millième demeure un indice intéressant dans
notre profession. Limiter l'investissement à 1 000 fois le prix de vente moyen escompté
pour un hôtel n'est effectivement pas une méthode dénuée de sens, notamment pour
l'hôtellerie économique, voire milieu de gamme.
Il n'empêche que, sur d'autres types d'établissements, on peut parfois monter jusqu'à
1/1 500e, voire plus. Ces cas ne sont pas rares en Europe, notamment pour les produits
dits de luxe à Paris ou à Londres.
L'Hôtellerie :
En respectant ces principes de base, Accor a-t-il encore de belles années devant lui en
termes de développement ?
Christian Karaoglanian :
Nous ne sommes pas particulièrement soucieux de notre avenir. Il s'annonce riche et
prospère parce que nous nous situons fondamentalement sur des marchés porteurs. En
dépit des crises ponctuelles, nos marchés progressent en moyenne de 4 à 5 % par an.
Autre atout en notre faveur, Accor occupe l'ensemble du spectre hôtelier grâce à son
positionnement du 1 étoile au 4 étoiles luxe. Il est également une des rares
entreprises hôtelières à disposer d'une couverture mondiale. Ajoutons à cela qu'Accor
emploie également tous les modes de gestion possible : propriété, location, management
et franchise.
De quoi s'assurer un développement musclé au cours des prochaines années, notamment
avec l'arrivée de nouveaux marchés tant émetteurs que récepteurs tels que l'Europe
orientale, la Chine, la Corée... Tout en sachant que nous avons encore beaucoup à
entreprendre en Europe, en particulier du côté de la Grande-Bretagne et de l'Espagne.
En réalité, Accor souhaite globalement maintenir un rythme d'ouvertures de 25 000 à 30
000 chambres par an en adaptant les investissements en fonction des types de projets.
L'Hôtellerie :
S'agissant du Vieux Continent, quel avenir envisagez-vous pour chacune de vos marques
hôtelières ?
Christian Karaoglanian :
Tous nos produits hôteliers peuvent encore être développés en Europe, le premier
marché mondial, et notamment notre dernier-né, Suitehotel. De plus, le marché se montre
extrêmement porteur sur le segment économique pour nos deux enseignes Ibis et Etap
Hotel.
Concernant Novotel, un grand débat a cours actuellement pour savoir s'il y a encore de la
place sur le marché moyen de gamme. A l'évidence, on ne peut plus aujourd'hui bâtir
d'unités Novotel sur les mêmes emplacements qu'autrefois. C'est en effet Ibis qui
s'implante avec succès en périphérie. Notre enseigne 3 étoiles qui flirte avec le 4
étoiles doit, par conséquent, s'installer dans les centres-villes tout en se dotant d'un
look plus 'trendy'. La nouvelle chambre Novotel, désormais finalisée, va rendre le
produit plus irrésistible que jamais. En attendant, 22 nouveaux Novotel (3 700 chambres)
sont d'ores et déjà programmés cette année. Et 20 autres vont suivre en 2003 et 2004. n zzz36v
Les dernières grandes acquisitions hôtelières d'Accor |
w Acquisition
de 2 sociétés de management en Asie : Zenith et Century w Accord de partenariat avec le groupe hôtelier allemand Rema qui apporte 15 nouveaux hôtels au réseau Mercure w Reprise du master franchisé de B&B en Australie w Reprise de 8 hôtels Express by Holiday Inn en Grande-Bretagne w Prise de participation de 20 % dans le groupe polonais Orbis w Reprise des contrats de management de 27 unités en Australie, exploités par All Seasons w Reprise de 27 hôtels Europa Congress et Europa Comfort en Allemagne w Absorption du Lyonnais Lameloise, SHB w Rachat de Premier Lodge, groupe hôtelier sud-africain w Acquisition de la chaîne américaine économique Red Roof Inns (350 hôtels) w Rachat du pôle hôtelier de la CGIS, filiale de Vivendi w Reprise du pôle hôtellerie et tourisme de Frantour (SNCF) w Prise de participation de 47 % dans la société suisse Otell Holding SA w Acquisition de la chaîne nordique Good Morning *Liste non exhaustive |
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L'Hôtellerie n° 2772 Magazine 6 Juin 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE