Madame Courtois, maîtresse emblématique de l'une des toutes premières maisons lilloises, a engagé progressivement le processus de transmission de son restaurant à ses enfants. Aux Moules n'est pas à vendre, les jeunes Courtois s'en chargent.
Alain Simoneau
Jérémy, Patricia, Michèle et Benoît, soudés ensemble Aux Moules.
Début d'après-midi, une bonne semaine après la grande Braderie de Lille. Michèle Courtois, 64 ans et demi, déjeune tranquillement, son fils Benoît, 29 ans, assis en face d'elle, prépare le planning du personnel. A l'entrée, sa fille Patricia, 45 ans, raccompagne l'une des dernières clientes. Derrière le bar, Jérémy, 23 ans bientôt, achève de mettre de l'ordre. Pas un bruit. Un peu de calme ne nuit pas après la tempête annuelle, qui, cette année encore, a laissé 10 jours plus tôt 6 tonnes de moules artistiquement posées en pyramide sur le pavé. Ce n'est pas un record de quantité, mais, les clients en témoignent, la qualité des assiettes comme du service ont atteint des sommets cette année. La presse locale ou les magazines spécialisés, le livre d'or du restaurant, le courrier de personnalités clientes présentes ou passées aux Moules regorgent de louanges. "J'ai mon bâton de maréchal cette année", sourit sans ironie Michèle Courtois, en lisant cette unanime reconnaissance du travail bien fait. Ses enfants partagent cette joie d'être reconnus comme le temple des moules, une brasserie impeccable où ni l'assiette, ni le cadre, ni le confort, ni l'accueil ne déçoivent. Oui, Aux Moules fait un beau chiffre, "mais l'important c'est la qualité, la régularité. Ce métier, il faut vraiment l'aimer et le prouver tous les jours", résume l'aînée, Patricia, déjà ancienne dans la maison. Pas de secret, les Courtois sont des acharnés du travail, et cela remonte (au moins) aux parents de Michèle. "Dans ma famille, on ne parlait que de travail." C'est la valeur essentielle du clan. Il faut d'abord être présent dans sa maison, et ne rien lâcher. Dur héritage pour la, ou les générations suivantes. Des conflits des générations, il y en a sûrement, mais ils sont surmontés. Ce moment est plutôt le temps privilégié des générations en synergie.
Un emplacement stratégique au cur du quartier piétonnier.
Progressivement
La partie société d'exploitation, distincte de l'immobilier, est déjà depuis 2 ans en
partie transmise dans un montage classique, et c'est Benoît qui juridiquement est "le
chef", dit-il, un brin rigolard, sa mère impavide à côté de lui. Le tandem
avec Patricia paraît solide. Tous deux ont été élevés au sérail, le métier dans les
tripes et dans les mains depuis l'enfance. Tous deux ont reçu une formation bien au-delà
de ce métier. Patricia a obtenu un BTS de secrétariat de direction bilingue, mais la
comparaison entre ce que le marché du travail lui réservait, il y a une vingtaine
d'années, et la force d'Aux Moules n'a pas fait long feu. "La maison nous fait un
peu souffrir, elle nous sédentarise de force. Mais c'est une affaire attachante. C'est un
vrai travail, qui vient du cur. Et puis j'ai progressé partout. Dans le métier
évidemment (avec maman, on n'a pas trop le droit à l'erreur), mais aussi en commercial
et communication, en comptabilité et gestion, en management de personnel."
L'interprétation de Benoît est un peu différente : "Je l'ai fait parce qu'il le
fallait." "Il manquait un homme dans l'affaire", complète
Patricia. Benoît a fait un DUT de gestion puis une maîtrise de marketing. Il voulait
pousser au DESS et rêvait de l'étranger, tenté par la vision américaine de la
restauration. "Maman m'avait déjà formé à la rigueur, à la discipline, à
l'organisation de l'affaire. J'ai senti qu'elle avait besoin de moi."
Cette maison, qui a fait fantasmer les marchands de biens et autres repreneurs, demeure
ainsi le fleuron lillois de Madame Courtois, porté par ses enfants. Vont-ils la faire
évoluer ? "Il est temps pour moi de passer à l'arrière-plan", lance la
patronne du lieu depuis 34 ans. Comme si elle se parlait à elle-même pour bien s'en
persuader. Jérémy, allergique à l'école, est devenu un vrai barman, et peut-être
demain maître d'hôtel s'il accepte la proposition de sa grand-mère. Patricia pense
avant tout à maintenir cette rigueur qu'elle a apprise. Benoît a d'autres idées en
tête, peut-être ailleurs qu'Aux Moules, sans pour autant lâcher le vaisseau amiral.
Mais pour le moment, il les garde pour lui.
Aux Moules est situé à un emplacement de premier ordre à Lille, rue de Béthune. C'est
une brasserie au sens nordiste du terme, fondée sur la bière, les frites bien servies,
les moules et quelques plats simples. Mais par son décor, son service, sa tenue et sa
rigueur, elle a gagné le droit de maintenir un ticket moyen à 17-18 e (pour un plat, une
boisson et un café le plus souvent), légèrement au-dessus de cette spécialité dans la
région. Aux Moules sert de 450 à 500 couverts par jour en moyenne sur l'année, avec des
sommets à 800-900 couverts en fin de semaine. La clientèle touristique, notamment
étrangère, est importante. La brasserie emploie de 35 à 40 salariés encore à 43
heures (il faudrait être 47 à 39 heures). L'effectif n'est jamais au complet, la famille
Courtois pallie les manques. C'est le problème numéro 1 de la maison... n zzz22v
Restaurant Aux Moules
34, rue de Béthune
59800 Lille
Tél. : 03 20 57 12 46
Fax : 03 20 12 90 92
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L'Hôtellerie n° 2794 Magazine 7 Novembre 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE