Capitale mondiale de la gastronomie. Capitale de gueules. Les superlatifs ne manquent pas pour une ville positionnée au sommet par Curnonsky. Depuis 1934, bien des choses ont changé, mais une permanence demeure : on mange bien à Lyon où une jeune vague de chefs crée et surfe allégrement sur la tradition !
Dossier réalisé par Jean-François Mesplède
On pourrait résumer la situation en une formule lapidaire : il y a Bocuse et les autres. Un peu court et caricatural. Certes, et c'est heureux pour une génération en recherche de leader charismatique, le Primat des Gueules, triplement étoilé par le Guide Rouge depuis 1965, est toujours solide au poste. Derrière lui, on maintient la tradition de la ville la plus étoilée de France hors Paris : Pierre Orsi, Jean-Paul Lacombe et Bernard Constantin, Alain Alexanian, Christian Têtedoie, Jean-Christophe Ansanay-Alex, Bernard Mariller, Guy Lassausaie et Stéphane Gaborieau, sans oublier Philippe Gauvreau à 2 étoiles depuis mars 2000 et qui a fêté les 10 ans de La Rotonde en décembre dernier. Il est aisé de considérer que ce chef s'impose comme le chef de file d'une nouvelle génération qui, sans fouler aux pieds la tradition, sort la cuisine lyonnaise des sentiers battus et ne cesse d'innover.
A Lyon, il y a Bocuse... et les autres !
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© La Food Cie Lyon - DR |
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n Philippe
Gauvreau : itinéraire d'un enfant doué
En ouvrant les portes du restaurant La Rotonde, au
cur du Casino Le Lyon Vert devenu depuis premier casino de France, Hubert Benhamou
annonça la couleur : "Ici, nous aurons 2 étoiles au Michelin." C'était
il y a 10 ans et l'on misait alors sur l'association Jacques Maximin-Philippe Gauvreau
pour faire des merveilles. Maximin, surdoué, soit. Mais Gauvreau joyeux inconnu tout
frais débarqué dans une ville où la gastronomie est partie intégrante de la culture
locale ! Et son patron qui en rajoute dans la rodomontade. Dans une ville où tout est
modération, on hausse gentiment les épaules. Le temps a donné tort aux railleurs. 10
ans plus tard, Philippe Gauvreau a fait de La Rotonde un établissement phare de la
région. Une sorte de point de passage obligé.
Le parcours est rectiligne : Paris, Antibes avec Jo Rostang, Nice avec Maximin, Paris à
nouveau, puis en solo. La Tour-de-Salvagny enfin inconnue sur une carte gourmande avant
son arrivée. A cette époque, on joue la prudence. Certes la cuisine est ensoleillée,
mais un 'petit menu des gones' ouvre la carte. Comme une allégeance à une tradition
qu'il ne faut surtout pas bousculer. "Avec Maximin, nous proposions une carte à
la fois lyonnaise et méditerranéenne. Or, en discutant avec les clients, nous avons
constaté que les appréciations portaient surtout sur les couleurs, les saveurs et les
parfums qu'ils n'avaient pas l'habitude d'avoir dans la région. Comme on nous parlait
surtout du Sud, que la cuisine lyonnaise était fort bien réalisée dans d'autres
restaurants de la ville, nous avons opté pour la cuisine que nous aimions en utilisant
les produits de la région", dit Gauvreau pour expliquer la disparition de ce
menu. En 10 ans, il a définitivement imprimé sa marque sur une maison où il a su
s'entourer, faire jouer l'esprit d'équipe et donner du génie à sa brigade. Une étoile
dès la première année, une seconde huit ans plus tard. Pour la cuisine précise et
inventive. Le service de la salle de Frédéric Fass formé à l'école Brazier et le
service des vins d'Alain Gousse. "En cuisine, on arrive peu à peu à un côté
plus épuré, moins compliqué. Je ne revendique pas une cuisine très régionale, mais
qui mélange les parfums et les fumets du moment avec des accents méditerranéens."
n Nicolas
Le Bec : breton en terre lyonnaise
Pas davantage que Philippe Gauvreau, Nicolas Le Bec ne
se réclame d'un ancrage régional. Ce Breton, jeune et talentueux couvé par les médias
est arrivé à Lyon précédé d'une flatteuse réputation qu'il a su maintenir. Rien
n'était pourtant facile ni évident que d'ouvrir un restaurant digne du standing de la
Cour des Loges, formidable hôtel de charme au cur d'un quartier de Saint-Jean où
l'on côtoie parfois le pire en matière de cuisine !
"Je voyais Lyon comme les Lyonnais en parlent : une ville très fermée et très
dure", avoue Nicolas Le Bec. Il a dû prendre la mesure de sa clientèle et la
séduire en jouant sur son indéniable talent et sa rigueur absolue en matière de choix
des produits. Certains esprits chagrins ont même voulu l'opposer à Paul Bocuse en une
sorte de conflit des générations, au prétexte qu'il aurait lâché qu'il "n'avait
rien à faire" de l'homme de Collonges. Fausses interprétations de propos non tenus.
"J'ai simplement dit que nous étions différents et que chacun de nous faisait ce
qu'il devait faire", dit-il aujourd'hui. Un repas commun a gommé le malentendu
et scellé l'estime réciproque. Physalis séchées au jus de cacao, tranche de foie gras
de canard grillée au sureau. Artichauts violets aux pousses d'estragon, poitrine de
pigeonneau demi-sel au bois de cèdre. Rhubarbe pochée, Saint-Jacques l'une en coquille,
l'autre grillée, jus de verjus et citron confit. "Ma clientèle est à 80 %
lyonnaise : il est donc important de la satisfaire. J'ai travaillé ici comme je l'ai
senti. A Paris, à Bordeaux ou ailleurs, ç'aurait été différent. Ici, il existe bien
sûr l'influence du lieu, de la ville. Il faut capter les messages de la clientèle et
répondre à ses attentes." Mission accomplie. En jouant sur deux tableaux - Les
Loges et le Café-Épicerie, il draine des fidèles qui apprécient sa vision des choses. "Je
me sens bien à Lyon", dit-il.
La Cour des Loges, au cur du quartier Saint-Jean.
n Les couleurs de Mathieu Viannay
Mathieu Viannay ne dit pas autre chose. Né à
Versailles, formé à Paris, marqué par ses passages chez Vigato et Faugeron "deux
conceptions différentes de la cuisine mais qui se rapprochent autour de l'amour du
produit et de la simplicité". Il a débarqué en 1994 sans idée préconçue. "Je
n'avais jamais travaillé ici avec personne : j'avais donc l'insouciance de la jeunesse et
le souci de rester humble."
Il s'est attaché à faire son métier, en constatant qu'ici, "ce n'est pas
forcément différent d'ailleurs". En 1998, il est enfin chez lui. Les Oliviers,
puis Mathieu Viannay trois ans plus tard. Dans une ancienne pizzeria au cur du VIe
arrondissement, il joue la carte de l'audace en confiant à Vavro la conception du
restaurant qui porte son nom. Le graphiste lyonnais qui a déjà conçu Rue Balzac pour
Rostang et Hallyday, se laisse aller. Fougue, audace, décor coloré : à mille lieux de
ce que l'on s'attend à trouver à Lyon. "Je n'ai pas pensé à ça. Je me suis
dit que j'étais chez moi et que j'avais envie de faire ce que je voulais."
Viannay voulait surtout un décor en harmonie avec sa cuisine. Une maison où l'on se
sente bien. Un lieu festif au plein sens du terme où les prix (23 à 41 e) restent sages.
Fricassée de champignons, uf mollet et jambon de Parme. Crépinette de pied de porc
et andouillette avec son jus à la bisure de truffes. Foie gras poêlé au citron confit
de pommes de terre écrasée : on est loin des classiques du répertoire local. "Je
travaille par rapport à un répertoire personnel. Dans une ville qui commence à bien
bouger, j'ai le sentiment de réaliser une cuisine de produits et d'instinct."
Recette Mathieu Viannay.
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© Editions de l'Epure |
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n Jérôme
Soonberg : grimper à l'étage
Jérôme Soonberg est Lyonnais. Formé chez
la Mère Brazier, Orsi, Constantin et Lacombe. Puis métamorphosé par un passage chez
Gagnaire. Serait-il le garant des traditions lyonnaises ?
Pas davantage. "J'ai appris sur des bases que l'on dit classiques et je suis allé
de découverte en découverte : l'amour de la cuisine chez Brazier, la rigueur chez Orsi
et l'ouverture d'esprit chez Constantin. C'est lui qui, un jour, m'a invité chez Pierre
Gagnaire." Le voilà le virage. "Je me suis dit que j'avais des bases,
mais que l'avenir c'était ce que je venais de voir. La cuisine, c'est cela : se créer un
univers où l'on fait l'amalgame de ses connaissances et de ses envies." A Lyon
comme ailleurs ? A l'évidence. "Ici les gens ont une culture gastronomique. La
cuisine est à la fois un loisir et une tradition. A table, les gens parlent de cuisine.
Les gens sont peut-être un peu plus difficiles à convaincre... mais ensuite ils sont
fidèles."
Il le faut pour monter les deux étages qui mènent au restaurant salle à manger d'où
l'on domine la place des Terreaux. Là encore, point d'andouillette ou de tablier de
sapeur dans l'assiette.
Sardines farcies aux câpres et oseille, granité de tomates au basilic. Magret de canard
séché, caramel de balsamique au pastis. Filet de buf sauce beaujolais. Filets de
rouget en tempura, aubergines à la japonaise. Carpaccio d'ananas et sorbet clémentine.
Et des prix sages à 18 et 26 e. "En matière de cuisine et de concepts, la ville
bouge. Une nouvelle génération arrive et ça fonctionne. Je crois que l'on ne voyait pas
cela, il y a quelques années. J'ai aussi réalisé que la cuisine ce n'est pas qu'être
derrière son fourneau : c'est aussi aller voir ailleurs." Une façon comme une
autre de revisiter le fameux "la cuisine ce n'est pas que des recettes"
cher à Alain Chapel !
n Sonia
Ezgulian : l'instinct !
Dans le même quartier de l'Hôtel de Ville, Sonia
Ezgulian ne démentira pas. Cette journaliste de formation est naturellement curieuse. Et
ouverte à tout. Trois ans déjà qu'avec Emmanuel Auger - ex-coéquipier photographe à Paris
Match aujourd'hui mari et complice de salle -, elle a créé Oxalis. Le couple s'est
installé dans les lieux même où jadis, le grand Jean Vignard régalait les gourmets de
la ville et fit l'apprentissage d'une kyrielle de surdoués. C'est là, Chez Juliette,
qu'Alain Chapel et Pierre Gagnaire, derniers apprentis en date, firent leurs classes.
Sonia ne renie pas le passé. Le sien lui sert de viatique dans son nouvel univers où le
piano tient désormais la plus grande place. "Dans ma famille arménienne, les
femmes cuisinaient pendant des heures. Les gens étaient heureux de déguster des choses.
C'est ce que je veux recréer avec une cuisine très épurée, en apparence très
simple." Dirait-on autre chose aujourd'hui de la cuisine des Mères ? Pas si
sûr, même si chez Oxalis le cardon n'est pas gratiné à la moelle mais apprêté comme
un risotto. Affaire de génération. Dauphine d'escargots au jus d'herbes. Crème de
lentilles, maquereau en croûte de pain d'épices. Brochettes de Saint-Jacques à la
vanille. Chez cette funambule du goût, la générosité d'une cuisine de femme demeure. "Je
n'aspire qu'à donner du bonheur aux gens. Les voir repartir heureux de mon restaurant est
une formidable récompense. Je sais alors que j'ai su leur communiquer le plaisir que j'ai
eu à faire ma cuisine."
Plaisir rare : faute de trouver le personnel souhaité, on travaille en couple chez
Oxalis. Et on limite les services à 15 couverts, pas un de plus. Menu à 20 e changeant
quotidiennement au déjeuner, carte courte le soir. "J'ai envie de faire tellement
de choses", s'enflamme Sonia. Son livre sur le Lyonnais Pierre Poivre, suivi sur
la route des épices, en est la preuve évidente...
n Manuel
Viron en sa maison
Dernière adresse à la mode, Maison Borie.
Manuel Viron a quitté Ampuis et son Côte Rôtie pour s'installer dans ce quartier de
Gerland en perpétuelle ébullition. Depuis l'expérience avortée du Cirque voici
quelques années, il avait envie de retrouver à Lyon un cadre où s'exprimer. "Mon
principal souci est de mettre en corrélation ma cuisine et l'ambiance qui va avec. Je
voulais utiliser le potentiel de ma maison."
Au bord du Rhône, celle-ci n'était pas restaurant. Le lieu a été créé avec la
complicité de Pierre Gangloff, artiste peintre et frère de vigneron. "C'est une
affaire de connivence entre 2 artistes, chacun sur son terrain d'expression",
explique Viron qui savait important d'apporter un plus à des clients déjà bien servis
en matière de gastronomie. Ceux qui le connaissent affirment que sa cuisine lui ressemble
: inclassable. Avec ses traits de génie et ses excès. Consommé de gambas juste saisies
au gingembre et à la citronnelle. Carré de porcelet caramélisé sur la couenne, jus de
boudin infusé au piment d'Espelette et lait de coco. Buf de Salers grillé, anchois
de Collioure et câpres, sauge ananas en tempura.
"Au début, il nous fallait réduire l'équation du financement global par rapport
au nombre de places assises. Nous avons convaincu les banquiers que l'on pouvait raisonner
autrement", explique le chef. "Depuis quelques années à Ampuis, je
n'avais plus la même conviction en cuisine. Je voulais m'agrandir, bouger, partir en
agglomération." Le voilà à Lyon. Avec une équipe de 24 personnes dont 12 en
cuisine. Une formule simple au déjeuner (25 e), plus sophistiquée pour le dîner (40 et
49 e). Et une envie folle de contribuer à cette évolution de la cuisine lyonnaise où
pas un mois ne passe sans une ouverture, une nouveauté gastronomique ou conceptuelle. De
retour des Etats-Unis où il seconda Daniel Boulud, Frédéric Côte est au Caro de Lyon.
Second de Jean-Christophe Ansanay-Alex lorsqu'il décrocha sa deuxième étoile, Laurent
Franceschini associé à Hervé Le Saulnier et Fabien Duranel a repris l'Industrie pour
créer le Jardin des Saveurs dans le quartier de Montchat. Passé chez Chabran, Le Stanc
et Lacombe, Thomas Ponson vole désormais de ses propres ailes dans le quartier d'Ainay
où son restaurant porte son prénom. Fabrice Chaffardon et Frédéric Marx se font
désormais plaisir à l'Art et la Manière.Voilà le souffle nouveau. Les adresses que
l'on s'échange pour des bonheurs gourmands à venir. A Lyon, capitale de l'innovation
culinaire.n
zzz 22v
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Lyon, nouveaux lieux, nouveaux concepts
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L'Hôtellerie Restauration n° 2803 Magazine 9 Janvier 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE