de juin 2004 |
PARCOURS |
La Tamarissière à Agde, dans l'Hérault
Le 26 septembre prochain, après le service du déjeuner, le plus célèbre restaurant de la station héraultaise fermera ses portes. Pour toujours... A 66 ans, Nicolas Albano baisse le rideau faute de pouvoir donner un avenir à la maison familiale. Rencontre avec un chef créatif, grande gueule et très attachant.
Jean Bernard
"Quand je suis rentré, en 1962, la famille m'a poussé à rester un
été... J'en ai finalement passé quarante-deux", s'amuse Nicolas Albano.
Quand Nicolas Albano cherche dans l'histoire familiale, les souvenirs personnels ne suffisent pas. Et pour cause !
Les aïeux de Nicolas Albano, tous d'origine italienne, ont rejoint
la France alors que Napoléon III en était l'empereur, et c'est dès 1882 que Philomène,
l'arrière-grand-mère du chef actuel, ouvrait une guinguette au bord du fleuve Hérault
Quatre murs en planches et des petits plats en toute simplicité pour ceux qui venaient
vivre quelques heures près de la mer.
Le lieu évolue après la Grande Guerre et l'activité se développe, lorsque
Mathilde et Janvier Albano, les futurs parents de Nicolas, prennent la succession. Ils
devront cependant attendre la fin de l'autre guerre pour raser le premier bâtiment en dur
construit deux décennies plus tôt et édifier un hôtel de 16 chambres avec restaurant.
"Là, maman a créé le premier drugstore français de l'histoire. Ici, il y avait
des bals du samedi, des projections de cinéma dans la cour l'été, mais aussi une
épicerie, la vente de journaux, de bonbons, de gaz, et même de produits cosmétiques..."
Né en 1938, Nicolas Albano garde ainsi quelques images merveilleuses ou amusantes
de sa vie dans ce coin de l'Hérault. Ses études de droit, qui le conduisent jusqu'au
notariat, émaillent sa jeunesse, comme ce séjour sous l'uniforme en Algérie. "Quand
je suis rentré, en 1962, la famille m'a poussé à rester un été... J'en ai finalement
passé quarante-deux", s'amuse-t-il aujourd'hui.
Comme il n'a pas de formation, c'est chez des amis de ses parents, à Sète puis
Font-Romeu, qu'il apprend le métier. "Quand j'ai voulu qu'on passe de la nappe en
papier à celle en tissu, ça a été un combat. Puis, en déplaçant le bar, j'ai
vraiment eu l'impression que je volais l'enfant de mon père. Pourtant, on ne pouvait plus
servir l'apéritif dans le restaurant..." Il passe aussi un hiver au Negresco et
un autre à L'Hermitage à Monte-Carlo avant de prendre la responsabilité du Chalet de la
Loze à Courchevel, de 1968 à 1973.
Ensuite, finies les saisons ailleurs ! En 1975, il achète le terrain jouxtant
l'hôtel, porte le nombre de chambres à 42 avant de le ramener à 24 et 2 suites. Une
piscine a aussi complété l'équipement de La Tamarissière.
Un symbole qui fermera ses portes le 26 septembre prochain, après le déjeuner. Un
ultime service chargé d'émotion. Inévitablement.
Ensuite, il y aura sur place une vente aux enchères de tout le matériel, et même
de la cave, puis les démolisseurs raseront la construction. Et le promoteur, nouveau
propriétaire des lieux, lancera son programme immobilier.
Nicolas Albano (en haut à gauche) et l'équipe de La Tamarissière. |
Nicolas Albano et son équipe
"Je pense que, malgré mon caractère, j'ai été un bon patron. Une femme
de chambre est là depuis 35 ans, la lingère depuis 25 ans, le maître d'hôtel depuis 27
ans. C'est significatif, non ? Depuis 1980, je n'ai passé que trois seconds de cuisine.
J'ai gardé le chef pâtissier 10 ans et s'il est parti, c'est pour s'installer à son
compte. Malheureusement, comme pas mal de saisonniers, je suis un peu déçu par le
personnel que l'on trouve. Il aurait fallu parvenir à former une équipe stable, à
l'année, mais l'activité hors saison ne le permettait pas. Après une année sabbatique,
j'aimerais bien vivre une dernière expérience professionnelle, comme la création d'un
restaurant italien à Montpellier ou à Sète avec mon second, Laurent Barrière. Il
mériterait bien ce coup de pouce."
Nicolas Albano et son caractère
"Je n'ai pas mauvais caractère... j'ai du caractère ! Je suis un type
entier qui n'aime pas les compromis. Souvent, cela m'a plus desservi qu'autre chose.
Pourtant, au départ, je n'étais pas ainsi. Mais quand on veut diriger une affaire comme
celle-là, il faut aussi savoir se faire respecter. D'ailleurs, dans la vie normale, je
n'ai pas ce caractère pénible que j'affiche à La Tamarissière. Au travail, je tape
assez régulièrement des colères. Neuf fois sur dix, elles sont justifiées. Je leur dis
de tout mais comme je ne suis pas rancunier, dix minutes après on va boire un coup
ensemble. Simplement, je n'aime pas les tire-au-flanc. Mon second, aujourd'hui, me
ressemble de plus en plus."
Nicolas Albano et sa cuisine
"Les maisons où je me suis formé étaient assez classiques, la cuisine
que je pratiquais au début aussi. Et puis en 1976, j'ai découvert la nouvelle cuisine au
Camélia à Bougival chez Jean Delaveyne. J'ai compris que tout ce que l'on faisait
jusque-là n'était plus dans le ton. Je me suis lancé à ma façon, et cette avance
prise m'a permis d'être rapidement connu et reconnu de tous les guides. En
Languedoc-Roussillon, j'ai été le premier chef honoré par deux toques au GaultMillau.
Ce sont eux qui m'ont le plus boosté. Ils m'ont poussé à me perfectionner et à bien
m'entourer pour faire de 'La Tama' la maison dont j'avais envie. J'étais alors une
locomotive pour cette région, avec tout ce que cela peut apporter de gloire et
d'aigreur... Avec Michelin, ça n'a jamais fonctionné. Pour eux, j'étais sans
doute un hôtelier-restaurateur quelconque. Un gars auquel on n'a jamais fait de cadeau.
Pourtant, s'ils avaient fait un pas vers moi, je pense que j'aurais fait encore mieux."
Nicolas Albano et la formation
"C'est sans doute là que j'ai connu le plus de satisfaction. Jacques
Pourcel, Jérôme Reuzeau, Laurent Arazat ou encore Dominique Laporte, le sommelier, tous
sont un jour passés à La Tamarissière. Chacun a poursuivi son parcours, mais j'ai au
fond de moi le sentiment de ne pas avoir raté ce que je leur ai appris. Ils ont toujours
du respect pour moi."
Nicolas Albano et sa succession
"Mon successeur, c'était Stéphane, mon fils. Il était ma copie conforme.
Malheureusement, il est décédé il y a douze ans. Cela a beaucoup changé ma vie. Quand
on perd un fils, il y a beaucoup de choses qui vous passent au-dessus de la tête.
Souvent, il y a des larmes, mais on les garde pour soi... Un cuisinier est là pour donner
du bonheur, du plaisir, pas pour partager ses problèmes. Je serai très triste de voir
démolir ce que j'ai fait, mais je suis bien obligé de m'arrêter, faute de combattant.
Quant à mon fils Lionel, il a choisi de voler de ses propres ailes."
Nicolas Albano et ses confrères
"Dans la région, je pense les avoir beaucoup aidés sans attendre un réel
retour. J'aime faire plaisir aux gens que j'apprécie. Paradoxalement, les quelques amis
très sincères que j'ai dans ce métier ne sont pas du Languedoc. Peut-être que ma
façon de vivre a dérangé, ou provoqué des jalousies. J'ai toujours aimé les belles
voitures et toujours fumé le cigare. On préférait sans doute l'image du cuisinier
malheureux, souffreteux, mais ce n'était pas moi... Par contre, beaucoup de grands chefs
m'ont traité avec considération."
Nicolas Albano et les politiques
"Localement, par exemple, ils n'ont jamais rien fait pour améliorer
l'environnement de La Tamarissière, ce coin d'Agde qui semble perdu. On a préféré tout
miser sur Le Cap. Au niveau régional, j'ai joué le jeu de la promotion dans des
conditions parfois difficiles. C'était une période où il fallait vendre notre pays à
Paris, à Séoul ou à Barcelone. Malheureusement, j'aurais dû apprendre à fermer ma
gueule le jour où j'ai avoué que Jacques Blanc comme Georges Frèche étaient capables
de bien diriger le conseil régional. La majorité Blanc qui a alors été réélue ne me
l'a pas pardonné. J'ai découvert une mesquinerie affligeante et une rare méchanceté..."
Nicolas Albano et l'avenir de la cuisine en
Languedoc-Roussillon
"Elle évolue beaucoup, et cela se passe en parallèle avec le vin. Il y a
aujourd'hui beaucoup de jeunes avec un talent fou. Ils sont plus nombreux qu'il y a vingt
ans, au moment où la génération précédente s'affirmait, et sont très inventifs. Il y
a des parfums, de la recherche, de l'esthétique. Un rapprochement se dessine avec les
autres cuisines du bassin méditerranéen, c'est une bonne façon de puiser des idées.
Les chefs d'aujourd'hui sont des gens intelligents qui ont d'autres passions dans leur vie
et qui ne manquent ni d'instruction ni de raffinement. Quant aux vins que nous aidons à
faire connaître, ils s'accommodent beaucoup avec notre cuisine. Peut-être que ces
viticulteurs et ces vieux chefs qui ont montré la voie à suivre ont bien uvré,
pour que cette jeune pousse de talentueux cuisiniers s'affirme maintenant !" < zzz22v
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L'Hôtellerie Restauration n° 2876 Magazine 10 juin 2004 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE