Sa place devrait être derrière des fourneaux. Pourtant, aujourd'hui, Fabio Berrera vend des produits italiens dans l'épicerie fine d'Alessandra Pierini, RAP, à Paris (9e). Diplômé de l'école hôtelière de Chiavenna, en Italie, une opportunité l'a propulsé en 2003 au poste de second du chef Ivan Schenatti, alors aux manettes de l'Emporio Armani Caffé, à Saint-Germain des prés (6e). Il va y rester sept ans. Puis retour sur les bancs de la fac, le temps d'une Licence pro ciblée sur l'hôtellerie de luxe, à Nanterre (92), qu'il fait en alternance dans les cuisines d'Eric Frechon au Bristol (8e). Pour compenser la perte de son salaire de l'Armani Caffé, en fin de journée Fabio Berrera fait des extras chez RAP. Il s'initie à la vente. Il apprend à échanger avec la clientèle. Ça lui plait. Même si "cuisiner me manque", il ne regrette pas cette double compétence acquise sur le terrain. Pour lui, "c'est un atout". Avis partagé par Caroline Groc. Diplômée de l'Institut Glion, après des expériences dans la restauration, notamment au Moyen-Orient, elle est recrutée pour un CDD de maître d'hôtel dans la Galerie du Plaza Athénée (8e). Dans la foulée, on lui fait une proposition de poste, toujours dans la restauration, mais la jeune femme la décline. La direction du Plaza Athénée insiste avec cette fois une place de… gouvernante. Un pari pour le palace. Un défi pour Caroline Groc. À l'issue de quatre entretiens, elle est retenue, puis formée durant un mois à son "nouveau métier". "Cette double compétence me permet désormais d'avoir une vue d'ensemble de l'hôtellerie", confie-t-elle. Surtout qu'elle ambitionne, d'ici quelques années, d'avoir son propre hôtel. À aucun moment, elle ne parle de renoncement d'un savoir-faire pour un autre : "c'est une nouvelle dynamique. Et je pense que dans l'hôtellerie-restauration, mieux vaut ne pas rester sur ses acquis. Il faut être curieux de tout, tout le temps."
"Mon sommelier est un ancien maître d'hôtel"
Du côté des recruteurs, ces doubles profils ont souvent la cote. "C'est intéressant d'avoir des personnes en cuisine, passées avant en traiteur. Elles apportent d'autres compétences, une autre façon d'appréhender ne serait-ce que l'hygiène et la sécurité", explique Jérôme Faure. Le chef étoilé du Domaine de Fontenille, à Lauris (84), ajoute : "mon sommelier est un ancien maître d'hôtel. Il a envie d'apprendre. J'aime ça." Même ouverture d'esprit de la part du chef David Rathgeber, patron de L'Assiette à Paris (14e). Il se souvient avoir embauché en cuisine un jeune qui avait un CAP charcutier : "Il était motivé, je l'ai pris, je ne l'ai pas regretté." "Face à un double profil, nous nous positionnons en conseil, explique Claudia Raulhac, DRH du Plaza Athénée. Si c'est un candidat extérieur, nous lui suggérons un poste plutôt qu'un autre. Si c'est un cas de mobilité interne, l'entretien d'évaluation pend alors des allures de bilan de compétences. Nous faisons d'ailleurs de plus en plus d'accompagnement de carrières." Fini, donc, les réticences face à la polyvalence. Sur un CV, c'est un vrai plus. Et sur le terrain, ça peut tout changer. Frédéric Hubig, à la tête de cinq restaurants à Paris, se souvient d'un cuisinier qu'il aurait bien mis en salle "car il était très charismatique. Mais je n'avais pas le poste. Dommage."
Publié par Anne EVEILLARD