Ça vous est arrivé : "Je me dissimulais pour visiter le chantier de mon restaurant"

Honfleur (14) Bien des restaurateurs sont confrontés au casse-tête de travaux d'embellissement, de mise aux normes ou d'agrandissement. S'il est rare que des travaux tiennent les délais, l'aventure tourne parfois au cauchemar.

Publié le 26 mai 2017 à 19:14
Le restaurant doublement étoilé SaQuaNa, à Honfleur (Calvados) a-t-il été victime de sorcellerie ?"Je ne crois pas à ces choses-là mais cette hypothèse a été envisagée", rapporte, sans rire, Alexandre Bourdas. En septembre 2012, le chef loue avec sa famille un gîte pour quatre mois, le temps de rafraîchir l'appartement situé au-dessus de son restaurant. Il va y rester quatre ans. Très vite, son maçon l'appelle : "une voûte menace de s'effondrer et tout l'immeuble avec." Le bâtiment ne tient que par un effet de compression de masse. Le propriétaire, qui a 90 ans, devrait supporter les travaux et la perte d'activité, mais il fait un AVC. "Sa fille m'en a tenu pour responsable", explique le cuisinier, qui a finalement racheté l'immeuble au prix du terrain après quatre années de procédures. Alexandre Bourdas sauve la valeur de son fonds de commerce mais doit injecter 1,8 M€ de travaux. Le double de la somme envisagée.

Rien ne se passe comme prévu

Après le premier coup de pioche en janvier 2016, une cheminée mitoyenne s'effondre, les murs se révèlent sans fondations et surtout la présence de plomb infirme les expertises liées à la vente : "Le plomb a été retiré en trois mois par des ouvriers habillés de scaphandres. La rue était bloquée. Les riverains et les commerçants étaient excédés. J'ai dû embaucher un agent de sécurité pour nous protéger, le chantier, les ouvriers et moi aussi. Je devais me cacher pour venir sur le chantier. Les voisins avaient créé un groupe Facebook pour se prévenir lorsque je venais sur place. J'ai été menacé physiquement. Le maire a organisé une réunion de conciliation avec des personnes qui refusaient d'entendre ou de lire la réalité de la situation. Pour eux, j'étais un chef arrogant qui massacrait leur qualité de vie et leurs affaires avec des travaux parce qu'il visait une troisième étoile. J'ai quitté cette réunion comme l'on sortirait d'un ring. Je n'ai même pas retrouvé mon chemin. Dès lors, je me suis fait suivre par un psychologue", souffre encore Alexandre Bourdas, qui reconnaît avoir changé :"Ma fille me dit que je suis moins drôle qu'avant. Le restaurant a rouvert le 18 octobre dernier. Je reprends goût à la cuisine mais je suis devenu parano. Je ne reste jamais statique dans la rue. Quand je vais saluer mes clients, je suis sur la défensive. Je travaille sur les menus de l'hôpital Gustave Roussy avec l'empathie de celui qui n'est pas guéri." La malédiction se poursuit encore puisque Alexandre Bourdas connaît actuellement des soucis fiscaux : "L'administration ne me rembourse plus la TVA sur travaux depuis juillet, soit un encours de 100 000 €. Je m'en suis inquiété. En réponse, on m'a dépêché deux inspectrices !"

 

Le même architecte mais pas les mêmes difficultés

De son côté, Thierry Campion exploite la brasserie montmartroise La Mascotte depuis avril 1992 et partage trois points communs avec Alexandre Bourdas : des origines aveyronnaises, l'engagement d'énormes travaux et surtout le même architecte : "Alexandre Bourdas est passé visiter, en 2012, ma cuisine en construction avec Thierry Chalaux." Cet architecte semble celui des projets impossibles. "Il fut la clé de la réussite de mes travaux mais comme Alexandre Bourdas, je pense avoir perdu mes derniers cheveux dans le dossier technique", s'amuse le patron de la Mascotte. Pas simple, en effet, de creuser sur la butte Montmartre. "Les commerçants et les riverains ont été compréhensifs, mais j'ai dû convoquer trois assemblées de copropriétaires. J'ai redouté que mes voisins bloquent le permis de construire. La construction sur 100 m² en sous-sols d'une cuisine, d'un labo de pâtisserie, d'un local technique, du stockage froid et sec et des vestiaires impliquait l'extraction de 40 bennes de terre. L'enjeu a été de faire comprendre aux propriétaires que mes travaux allaient renforcer la structure de l'immeuble", résume le restaurateur, qui a fait percer deux verrières dans la salle de restaurant. "Thierry Chalaux matérialisait en 3D tout le projet même l'emprise de table passant de 55 à 70 cm de largeur pour accueillir les plateaux de fruits de mer dans un meilleur confort", s'enchante Thierry Campion qui n'a pas augmenté ses prix à l'ouverture, en décembre 2012 : "Pour pas que les clients se disent que je finançais ainsi mes travaux."

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Publié par Francois PONT



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