"Il est de plus en plus dur de trouver du personnel qualifié", "Les jeunes manifestent moins d'attrait pour l'hôtellerie et la restauration", "Nous rencontrons beaucoup de problèmes liés à la région, notamment au transport et au logement des personnels"... En matière d'emploi, notamment saisonnier, les grands hôtels de la Côte d'Azur, palaces et 5 étoiles, n'échappent pas à un constat propre à bien des régions de France dans un secteur pourtant recruteur. La conjoncture, malgré une bonne tenue de l'hôtellerie haut de gamme, n'explique pas tout et la plupart des directeurs des ressources humaines (DRH) évoquent changements de mentalité, démotivation, formation insuffisante.
Au Majestic - qui emploie environ 260 CDI, jusqu'à 162 saisonniers l'été (70 en moyenne) et 100 à 300 extras selon les mois et l'activité -, Thierry Secchi, directeur des ressources humaines, évoque cette évolution problématique. "À l'origine, la difficulté concernait principalement cuisiniers ou pâtissiers. Désormais, elle s'étend à tous les métiers. Cette année, nous avons ainsi eu du mal à trouver des femmes de chambre qualifiées, gouvernantes, réceptionnistes de nuit... En outre, les modifications d'attribution de l'allocation chômage pour les saisonniers produisent des effets pervers qui détournent des candidats potentiels."
Manque d'implication et de qualification
Même écho de la part de Valérie Nyul, DRH du Negresco à Nice, qui évoque manque d'implication et de qualification ou encore inadéquation des profils :"Cela demande un investissement croissant en matière de formation avec, ensuite, le risque de démission pour 'aller se vendre à la concurrence' ! Le personnel est de plus en plus volatile, sans doute en raison d'une mauvaise image de nos métiers du point de vue des salaires, de la durée et des conditions de travail, etc.". Au sein du groupe Oetker, propriétaire de l'Hôtel du Cap Eden Roc à Cap d'Antibes et du Château Saint-Martin & Spa à Vence, la vision est sensiblement différente en raison même des sites des palaces. Pour l'Hôtel du Cap (279 à 300 employés en été, CDI et saisonniers), le taux de fidélisation est de 80 % d'employés (saisonniers à 79 %) revenant chaque année et de 47 % au Château Saint-Martin (125 CDI et saisonniers), plus éloigné du littoral. "À Vence, la difficulté réside dans le transport. Alors qu'au Cap, c'est trouver compétences et profils bien établis d'établissement 5 étoiles qui pose problème. Nous l'avons vérifié cette année pour un poste de lingère. Beaucoup trouvent enfin les conditions de travail trop dures", regrette Philippe Perd, directeur général des deux établissements.
À Cannes, au Palais Stéphanie (140 personnes à l'année, 60 saisonniers), la DRH Sophie Petrolesi, parle aussi recrutement aléatoire (chefs de rang, cuisiniers...), inadéquation, nouvelles attentes des jeunes générations qui veulent des horaires réguliers, "encore incompatibles avec nos métiers". Enfin, problème récurrent sur la Côte d'Azur, le logement : tous les établissements ne peuvent pas, notamment comme le Martinez, proposer une trentaine de logements à leur personnel.
Prime au recrutement local
Pourtant, tout n'est pas si noir au pays de la Grande Bleue. La cherté du coût de la vie y est bien réelle et pèse lourd sur le marché de l'emploi mais elle favorise aussi le recrutement local. Les palaces cannois, qui pratiquent les 35 heures, embauchent ainsi plus volontiers sur un bassin où le personnel peut être déjà logé et recrutent marginalement dans le reste de la France. "D'où l'importance de l'école hôtelière de Cannes, sur laquelle nous fondons beaucoup d'espoirs, ou encore celle de Nice", ajoute Sophie Petrolesi. "Au Martinez, indique Stéphane Carrière, le DRH de l'établissement, nous avons des partenariats avec les écoles hôtelières comme avec des organismes de formation professionnelle pour adultes (Afpa, Greta, Prom'Hôte...), tout en privilégiant des profils avec expérience à l'étranger." Saisonniers ou personnel régulier, un équilibre se situe entre 70 à 80 % de recrutement en région (jusqu'à 90 et 84 % pour les hôtels du Groupe Oetker) et 20 à 30 % France et étranger (13 % au Martinez avec 27 nationalités différentes). Au Negresco, on est "100 % Niçois" pour le personnel français, avec 11 % d'employés hors Union européenne, notamment pour des emplois non qualifiés. "Cette stratégie de recrutement donne satisfaction mais, compte tenu de notre longue fermeture pour travaux en 2010 [six mois, NDLR] et de la rénovation importante de l'hôtel, nous nous laissons un an pour avoir une bonne visibilité en matière d'emploi et corriger éventuellement notre politique", indique Valérie Nyul.
Transmettre les savoirs
Enfin, les directions hôtelières, qui recrutent via petites annonces, les différents sites internet ou, pour certains cadres, auprès de cabinets spécialisés, soulignent la nécessité de transmettre savoirs et compétences. "Ces savoirs se perdent. Heureusement, nos personnels en place sont très formateurs et les candidatures ne manquent pas", constate Philippe Perd. "Les métiers de l'hôtellerie et les filières pro ne sont pas assez valorisées et le manque de qualification augmentant nous oblige à pallier par des programmes de formation interne", précise Thierry Secchi. Rien d'étonnant à ce que la Côte d'Azur des palaces, au rythme saisonnier mais attachée à la qualité du service et à un niveau élevé des compétences, nourrisse plus d'inquiétudes que d'espoir.
Publié par Jacques GANTIÉ