L'Hôtellerie Restauration : Quels changements observez-vous dans le secteur de l'hôtellerie aujourd'hui ?
Eric de Bettignies : Des années 1990 jusqu'à 2005 environ, on a assisté à un développement focalisé des réseaux. L'enjeu était le développement immobilier rentable. Puis virent Booking et Tripadvisor. Pour devenir l'égal de Booking, il fallait grandir aussi vite que possible. Pour une société comme Accor, cela voulait dire vendre les murs pour dégager des ressources et augmenter plus vite son réseau. Les marques étaient mises à rude épreuve avec Tripadvisor dont les avis postés prenaient une grande importance auprès du consommateur. La solution était donc de rendre les marques encore plus puissantes tout en les simplifiant. Chez Accor, ce fut le cas d'Ibis, un succès.
Aujourd'hui, le nouvel enjeu est la révolution communautaire, avec de nouveaux acteurs de type Airbnb, qui n'ont même pas eu besoin d'acheter leur réseau puisque l'offre était déjà là. Les hôteliers se trouvent aujourd'hui devant un vrai impératif s'ils veulent rester dans la course : bien entendu, ils doivent agir sur un plan légal pour imposer les mêmes contraintes sociales et fiscales que les leurs aux nouveaux entrants mais surtout ils doivent reprendre la parole auprès de leurs clients, et renouveler leur offre. Car l'important aujourd'hui est à la fois de surprendre, de donner envie et de simplifier toutes les étapes du voyageur. Il faut pour cela une vraie taille critique pour innover simultanément sur ces deux terrains.
Cela veut-il dire diversifier ses activités ?
Pas forcément. La consolidation donne les moyens pour associer à l'offre d'hébergement plus de services et plus de loisirs, en s'appuyant sur des logiciels et des applications très perfectionnés.
Selon vous, pourquoi AccorHotels a-t-il choisi d'arrêter la vente des murs de ses hôtels ?
La taille critique s'exprime maintenant en masse de marge et plus seulement en nombre d'hôtels. Au-delà de la taille critique, il faut tenir compte de la profitabilité rapportée par le réseau.
Car le problème est simple. Dans l'hôtellerie jusqu'au milieu de gamme, l'actif vaut par la rentabilité de ses opérations. Si un emplacement perd de sa valeur, l'opérateur doit pouvoir se désengager et se redéployer, ce qui est impossible avec un contrat de quinze ans et avec une foncière. Dans le haut de gamme, c'est différent. Le retour sur capitaux employés par les seules opérations est faible, mais la valeur de l'actif immobilier s'apprécie d'elle-même et ce, sur de très longues durées. Il est donc normal de dissocier la propriété et les opérations.
Que pensez-vous du changement de nom, avec Accorhotels qui englobe toutes les marques ?
Le principe de regrouper des offres sous une bannière unique est une nécessité. En revanche, il est indispensable d'offrir une cohérence, une vraie raison pour le consommateur d'aller réserver sur la plateforme. Les spécialistes parlent de coexistence possible quand on ne dépasse pas trois niveaux de gamme, par exemple, budget, eco et midscale. Je ne suis donc pas convaincu de l'utilité de regrouper toutes les marques au sein de la même entité. Quelle cohérence entre Sofitel et Ibis Budget ? En revanche, Accorhotels a certainement raison de vouloir doubler dans les cinq prochaines années, quitte à élargir son offre de réservation aux meilleurs hôtels en dehors de ses marques. Avec un parc de 10 000 hôtels sur sa plateforme, AccorHotels aurait ainsi une légitimité face à Booking qui dénombre 600 000 ou 700 000 hôtels !
À votre avis, qui devrait gagner cette bataille ?
L'enjeu pour tous consiste à grossir mais en même temps à surprendre. En transformant Bercy en AccorHotels Arena, le groupe hôtelier montre sa légitimité d'offrir de nouvelles expériences pour ses clients. Quand le groupe rachète RFHI pour agrandir le parc Sofitel, trop petit avec ses 200 hôtels, cela a du sens. Il en est de même quand Sébastien Bazin parle de racheter des start-up innovantes. Mais la bataille n'est pas finie. Les groupes américains sont bien placés, notamment en Chine. Quant aux Chinois, on connaît leur appétit dévorant pour les marques françaises, qu'ils sont prêts à payer très cher.
Publié par Catherine AVIGNON