Daniel Pommier : Il y a d'abord, selon moi, un gros problème d'ordre philosophique. Nous avons, dans notre secteur, beaucoup de vrais professionnels, qui vendent une prestation mais qui oublient de vendre du plaisir. Un des phénomènes très significatifs, c'est quand on ne sert plus au comptoir. Or, le comptoir, c'est la convivialité, le sourire, être en relation directe avec la personne qui prépare le café, tire la bière. C'est pouvoir s'amuser et amuser le client... Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à faire rire un consommateur... J'ajouterais aussi que dans beaucoup d'établissements, le prix est dissuasif. Je sais, on va tout de suite me dire qu'on croule sous les charges. C'est vrai, mais quand un client paye 5 euros un demi d'une bière qu'il peut avoir chez lui à un prix nettement inférieur, il y a problème. Savez-vous aussi combien représente un Mohito à 8 euros dans le budget de quelqu'un qui gagne le Smic ? Si on veut vendre, il faut que les gens puissent acheter.
Votre politique de prix à l'Extérieur Quai ?
Le café est à 1,20 au comptoir et 1,60 en salle. Le plat du jour est à 9 euros et le menu, entrée/plat ou plat/dessert est à 12 euros le midi. Le soir, on propose Moules au choix et sa bière à 14,90 euros.
Pour vous, le fait maison, fait partie d'une stratégie prix accessible. Dans quelle mesure ?
Nous faisons nous-mêmes nos terrines, nos rillettes. Faire soi-même fait baisser les coûts à l'achat et cela demande du personnel pour l'élaboration. Dans le contexte actuel, c'est une adéquation qui est bonne pour la société. L'emploi est valorisé et on s'y retrouve. Derrière, il faut avoir le bon matériel et avoir une ligne de conduite cohérente.
Par exemple ?
Nous fabriquons nos croissants. J'ai installé le four adéquat. Cela me revient bien moins cher que si je les achetais chez un boulanger, la qualité que je prends est nettement supérieure et le client est heureux. Il faut faire très attention à la qualité du produit. Le consommateur y est très sensible. J'achète le poisson à Rungis et il m'arrive de mettre en plat du jour un bar rôti entier de 350 g. Après, c'est une question d'équilibre. Il savoir être généreux. Des actes généreux, ça manque dans nos établissements. Au Bouillon Belge, mon prédécesseur faisait la soirée coucous gratuit. Mais il servait des petites portions. J'ai conservé la formule en proposant une assiette bien remplie. Eh bien j'ai nettement augmenté le chiffre d'affaires des ventes additionnelles, que ce soit les boissons, les desserts ce soir-là. C'est un rendez-vous différent que l'on donne à la clientèle.
La terrine sur table et à volonté, que vous pratiquez à l'Extérieur Quai, s'inscrit dans cet esprit ?
Oui. Et ne croyez pas que les consommateurs abusent. Rares sont ceux qui se goinfrent et la balance penche résolument du bon côté, du côté des clients satisfaits et qui reviennent. Le café/bar n'est pas un restaurant même si nous faisons une prestation repas. Cette prestation repas doit être pensée dans le cadre d'une activité qui est avant tout celle du débit de boissons. Le café doit conserver son identité s'il veut fonctionner.
La bière est un produit phare chez vous…
La bière est aussi complexe que le vin et si on sert la même bière que son voisin, je ne vois pas où est l'intérêt pour le client. La bière n'est pas considérée à sa juste valeur. On la prend souvent comme un accessoire. Au Bouillon Belge, nous proposons 14 bières à la pression et 10 au Bouillon Stef. Ici, nous avons 9 becs et je vais en rajouter 4 prochainement. Je travaille des bières peu connues des consommateurs de bière lambda en m'appuyant sur le savoir-faire de SAB Miller. J'ai un large choix de bières à la bouteille également. J'ai des clients qui viennent uniquement pour le plaisir de boire telle ou telle bière.
Vous êtes vice-trésorier du collectif Bars-bar. Pourquoi cet engagement ?
L'objectif est de remettre le café à sa place dans la société. On oublie complètement que le café est un vrai régulateur social, qu'il soit en ville ou en zone rurale. Quant au fait de faire venir des artistes, c'est important. Mais il ne faut pas organiser une soirée en pensant que c'est l'artiste qui va faire venir du monde. C'est au bistrot de faire venir la clientèle et de lui faire découvrir un spectacle ou un artiste. La notion est très importante. On revient à cette notion de générosité que j'évoquais tout à l'heure.
Publié par Propos recueillis par Sylvie Soubes
mardi 10 décembre 2013