L'Hôtellerie Restauration : Pourquoi ces chiffres sont-ils
inquiétants ?
Philippe Maître : Malheureusement, ces chiffres
signifient que de nombreux professionnels du secteur veulent vendre mais n'y
parviennent pas ou, quand ils y parviennent, c'est à moindre prix. Le site de L'Hôtellerie
Restauration affiche plus de 27 000 fonds de commerce à vendre et selon
le sondage réalisé par CHD Expert en 2015 auprès de professionnels du secteur,
un tiers des dirigeants déclarait avoir mis en vente son établissement et un
tiers envisageait de vendre dans les 24 prochains mois. Or, selon le Bulletin officiel des annonces civiles et
commerciales [Bodacc], le secteur CHR a enregistré seulement 11 000 cessions
en 2015. Cela montre qu'il y une disproportion entre l'offre - qui existe bel
et bien - et la demande. Associés à une économie morose, ces chiffres sont
inquiétants.
Les prix de cession en souffrent-ils ?
Oui, les prix baissent en raison de l'abondance de l'offre et de la
rareté des acquéreurs. Cela est vrai pour tous les commerces, comme les
chiffres du Bodacc le révèlent avec un prix de cession en recul de 5 % en
2015 - une chute de 10 % en trois ans ! On le constate également sur
le marché de la transaction de droit au bail avec une baisse de l'ordre de 17 %
de la valeur du droit au bail et de 6 % de la valeur locative selon les
chiffres de l'Argus de l'enseigne. Pour autant, il y a un vrai décalage entre
le prix de vente affiché et le prix de cession réellement agréé. Sur le site
cession-PME, les restaurants en vente s'affichent en moyenne au prix de 285 000 €,
alors que selon le Bodacc, un restaurant se vend en réalité 130 000 €
en moyenne*, soit une baisse de plus de 50 % par rapport au prix moyen de
mise sur le marché. Cette décote est également de l'ordre de 30 et 45 %
pour les débits de boissons.
Que révèle, selon vous, ce décalage entre le prix de mise sur le marché
et le prix de vente réel ?
Cela montre que le marché de la transmission en France souffre d'un
manque de dynamisme pour faire face aux besoins de chefs d'entreprise du
secteur, notamment de ceux qui atteignent l'âge du départ à la retraite. Les
acquéreurs sont-ils découragés par les prix de vente trop élevés qui ne leur
garantissent pas un revenu suffisant ou par leurs conseils qui les incitent à
davantage de prudence ? Difficile à dire. On peut également s'interroger
sur les efforts déployés par les pouvoirs publics pour encourager la création d'entreprises
alors qu'il y en a de nombreuses à reprendre et que les chances de succès sont
plus favorables pour les repreneurs : 88 % de ceux qui ont repris une
entreprise en 2011 étaient encore actifs en 2015, alors que le taux de survie des
entreprises à cinq ans, selon l'Insee, s'élève à 51,5 %.
Un conseil pour les propriétaires qui envisagent de céder leur fonds
dans le contexte actuel ?
Il n'est jamais bon qu'une affaire traine sur le marché. Plus les délais
de mise en vente s'étalent dans le temps, plus l'exploitant est à même de se
décourager, ce qui peut se traduire par une baisse de son chiffre d'affaires et
donc une perte de valeur du bien. Le délai moyen en France atteint 400 jours !
La réalisation d'une expertise par un expert indépendant avant la mise en vente
du fonds peut être utile. Cela permet au chef d'entreprise de se faire une idée
de la valeur vénale de son fonds. Et, si celle-ci est inférieure à ce qu'il
espérait, cela lui donne des pistes d'action pour agir en conséquence. Les
membres de la chambre des Experts Ceif-Fnaim sont d'ailleurs de plus en plus
nombreux à proposer ce service.
*160 000 € pour la restauration traditionnelle et 80 000 €
pour la restauration rapide
Publié par Tiphaine BEAUSSERON