du 6 janvier 2005 |
L'ÉVÉNEMENT |
Le désastre de l'océan Indien
LE LOURD TRIBUT DE LA PROFESSION
Alors que le bilan du séisme et du raz-de-marée du 26 décembre ne cesse de s'alourdir, alors que le chiffre des victimes
- plus de 150 000 morts -, des blessés par centaines de milliers et des millions de sans-abri constituent la plus grande catastrophe humaine depuis 1945, les ravages du tsunami n'ont pas épargné les Occidentaux venus en vacances à l'occasion des fêtes de fin d'année sur les plages de rêve des Maldives, du Sri Lanka et de Thaïlande mais, du paradis, les vacanciers sont passés en enfer en moins d'une minute.
Nos envoyés spéciaux Gaëlle Girard et Bruno Marchandise se sont rendus à Phuket et à Khao Lak. Reportage.
Sous le soleil tropical gît ce qui reste du Sofitel Magic Lagoon de Khao Lak. Au sol, d'innombrables débris. Des vêtements et des effets personnels épars témoignent d'une trace humaine récente, mais il n'y a plus âme qui vive dans ce resort ravagé par la vague de 4 mètres qui a déferlé sur la côte sud-ouest de Thaïlande, faisant 5 000 morts et 6 000 disparus. Un sentiment de désolation règne sur ce complexe hôtelier qui déplore au moins 350 victimes. Seule présence visible sur les lieux, une équipe de sauveteurs. Pertes humaines inconcevables, dégâts irréparables. Le raz-de-marée a tout emporté sur son passage.
Une clientèle avant tout
familiale
L'île de Phuket était hier
encore un paradis touristique très prisé des visiteurs occidentaux : hôtels,
restaurants, bars et échoppes de plongée avaient colonisé le bord de mer et ses
alentours. À l'heure actuelle, il ne reste plus rien. Une perte considérable pour la
Thaïlande, dont 70 % du PIB est alimenté par le tourisme. Industrie qui génère 400
millions de baths à l'année, sur une période de haute saison s'échelonnant de novembre
à mars : 5 mois pendant lesquels se constituent 80 % des revenus liés au tourisme. Sur
l'ensemble des victimes, la moitié serait des touristes venus passer Noël au soleil en
famille.
Sur l'île de Ko Phi Phi, seuls 2 hôtels tiennent
encore debout. Les autres bâtiments, généralement des paillotes et des bungalows de
bois disséminés sur la jetée ou dans la mangrove, ont disparu. Angelo Rasami,
restaurateur francais installé depuis 18 ans sur l'île, raconte 4 jours abominables. Son
restaurant est fichu, mais sa fille, son personnel et lui sont entiers. Alors, dans
l'urgence, on oublie les dégâts matériels pour sauver des vies, tant qu'il en est
encore temps. Courir de part et d'autre pour secourir les victimes
Pour Angelo, il
n'est pas l'heure de penser aux pertes financières, ni à l'avenir incertain. Il faut
d'abord célébrer le fait d'être en vie.
"On était complet jusqu'en mars
2005"
Les 2 Méridiens, situés pour
l'un au sud de l'île et pour l'autre au nord, dans la zone ravagée de Khao Lak, ont
également été durement touchés. Philippe Seigle, directeur régional, n'a pas de mots
pour décrire la journée qu'il a vécue : "L'hôtel de Phuket affichait complet
jusqu'en mars 2005, c'était le pic d'une saison qui battait tous les records
d'occupation. Ce matin-là, on a d'abord senti la secousse, vers 8 h 30 du matin. Puis on
a vu la vague arriver, très vite. Heureusement, seules les chambres au rez-de-chaussée
étaient vides quand l'eau a déferlé. Par bonheur, mon équipe a eu la bonne réaction :
évacuer l'ensemble des 800 clients vers les hauteurs de la colline sur laquelle s'appuie
le complexe. Il n'y a pas eu de scène de panique. Mais pendant 6 heures, j'ai eu 1 500
personnes à gérer, sur le bord de la route, qui était coupée de tout le reste de
l'île. Le soir même, j'ai envoyé une partie de ma clientèle sur le Hilton, qui n'avait
que peu de dégâts et quelques chambres libres."
Le bar-restaurant du
Méridien de Phuket a été complètement vidé
de son mobilier, entraîné à perte de vue par les flots.
Isolés pendant 24 heures
Au Méridien de Khao Lak, on a
malheureusement été moins chanceux. Jean-Louis Ripoche, le général manager, déplore
18 victimes dont 4 enfants et affronte depuis 5 jours le drame qu'il a vécu au même
titre que son personnel et ses clients. "La vague faisait 4 mètres de haut, elle
a couvert une distance de 1 km. Nous avons réuni ce qui restait de mes 228 clients sur le
lobby, l'endroit le plus solide de l'hôtel, avant de partir avec les véhicules en état
de marche vers la montagne. On a pu faire dormir une partie des rescapés dans un hôtel
voisin, et d'autres dans un temple. Le staff avait pensé à tout, à l'eau, à la
nourriture. Une entraide et une solidarité exemplaires se sont forgées spontanément :
les clients volontaires et les médecins en vacances ont tout de suite aidé les blessés.
Le lendemain, on évacuait tout le monde sur Bangkok. Le gros problème fut l'isolement
total qu'on a vécu pendant 24 heures : l'électricité, les routes et les réseaux
téléphoniques étant coupés, on ignorait tout d'une éventuelle réplique et surtout,
il manquait des clients à l'appel. Les rumeurs d'un nouveau raz-de-marée qui circulaient
au sein des rescapés et l'incertitude quant aux disparitions, nous ont vraiment
anéantis, même si on fait face. Les dégâts matériels, c'est une chose, mais les
pertes humaines représentent un véritable drame." L'hôtel avait ouvert en juin
dernier.
Les vagues ont ravagé le
complexe hôtelier du Sofitel sur 1 kilomètre.
Le courage de tous
Selon Philippe Seigle, évaluer
les dégâts reste difficile, mais l'estimation porterait à 10 ME le coût de la
catastrophe pour le seul Méridien de Phuket. "Nous avons décidé de fermer
l'hôtel, ne sachant pas si les structures des bâtiments ont été mises à mal. Les
experts se chargeront de nous en dire plus mais, depuis dimanche, toute mon équipe se
démène avec énormément de courage pour pomper les sous-sols, nettoyer et rassembler ce
qui est récupérable. Les Thaïs sont adorables, et le Méridien fera en sorte de garder
tous les contrats en cours. Nous devons reconstruire, faire revenir les clients, et
surtout leur prouver qu'ils ne risquent plus rien. Il faut, malgré tout,
relativiser." Pour sa part, Serge Consani n'affiche pas autant d'optimisme. Installé
depuis 1998 à Phuket, il gère 5 affaires sur Patong Beach, dont 3 ont subi de gros
dégâts. Son hôtel-restaurant Ma Maison a été épargné par la force des vagues
monstrueuses, mais son agence de voyages et son cabaret-restaurant n'ont pas eu la même
chance. " Suite aux attentats de Bali, au Sras et à la grippe aviaire, on perdait
de l'argent. Depuis le début de la haute saison 2004, on pensait être enfin tranquille :
des réservations jusqu'en avril, 100 % d'occupation, du surbooking, même. Avec cette
catastrophe, j'attends 80 % d'annulations. J'essaierai de ne pas licencier, mais on ne
s'en remettra pas. Il va nous falloir 6 mois pour reconstruire."
La force des vagues a
entraîné des véhicules,
les jetant à plusieurs centaines de mètres de leur emplacement initial.
Trois semaines pour tout nettoyer
Pour Claude de Crissey, il n'est
pas question de baisser les bras. Pourtant, son exploitation hôtelière, Crissey Village
sur Patong Beach, s'est retrouvée sous plus de 1 mètre d'eau. "Certains de mes
clients fidèles n'ont pas renoncé à venir. Ils m'appellent régulièrement pour savoir
quand je serai en mesure de rouvrir. Je me donne 3 semaines pour tout nettoyer, remplacer
le mobilier et la literie. Quand les gens demandent comment nous aider, je leur réponds
simplement qu'il faut revenir à Phuket sans crainte ! La vie reprend son
cours
"
Mais toutes les zones n'ont pas subi le sinistre avec
la même intensité : la topographie des lieux a souvent joué le rôle de facteur chance.
Le Chedi (ex-Pansea) de Surin Beach, par exemple, ne déplore que de
très sommaires dégâts, comme le Novotel de Patong, totalement épargné par les eaux.
Ces 2 hôtels situés en hauteur, à flanc de colline, se sont vus ainsi éviter le pire.
Mais, à part les journalistes qui réservent toujours des chambres, rares sont ceux qui
désirent encore séjourner à Phuket. Et les bureaux de réservations se transforment en
bureaux d'annulations
zzz99
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L'Hôtellerie Restauration
n° 2906 Hebdo 6 janvier 2005 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE